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Patrick Vignal (député) : "Commerçants, faute de vous adapter, tant pis pour vous : vous allez mourir"

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9 oct. 2017

Député La République en Marche et président de l'association d'élus Centre-Ville en Mouvement, Patrick Vignal publiait il y a quelques semaines son appel au président de la République à faire des centres-villes une grande cause nationale en 2018. L'élu revient pour FashionNetwork.com sur certaines de ses propositions, de l'encadrement du commerce de périphérie au rôle des managers de centre-ville, en passant par le plus iconoclaste recours aux chômeurs de longue durée.

Patrick Vignal - AFP


FashionNetwork.com : Votre projet repose notamment sur l’encadrement du commerce de périphérie. Pour quelle raison ?

Patrick Vignal : On a une France de 36 000 communes dont on est fier, tout comme de leur centre-ville. Or, aujourd’hui, une majorité de centres-villes sont devenus des mouroirs. Surtout dans ma région : Béziers, Perpignan, Agde, Narbonne, Lodève, Lunel… Même Montpellier a 17 % de vacance. Depuis trente ans, que ce soit la gauche ou la droite au pouvoir, personne ne s’est occupé des centres-villes. Parce que cela ne rapportait pas politiquement. Et on a laissé cela au Front national qui, lui, arrive dans les centres en disant : « On s’occupe de vous, on nettoie, on met des caméras… » Il y a vraiment aujourd’hui un plan Marshall à mettre en place pour redonner aux cœurs de villes, qui sont l’âme de la démocratie, la place centrale qu’ils méritent. Et pour cela, il faut que l’on arrête de construire en périphérie des centres commerciaux, qui sont souvent hideux, tout en structures métalliques. En 2016, il y a eu hausse de 22 % des accords d’ouverture donnés au commerce, dont 90 % en périphérie. Je demande donc un moratoire d’un an minimum, pour que l’on puisse faire des constatations et travailler sur les vraies causes du problème. Le problème n’est pas la périphérie, mais celle-ci a aussi une part de responsabilité.

FNW : Les professionnels de l’immobilier commercial s’opposent à l’idée d’un moratoire national sur des questions locales. Que leur répondez-vous ?

PV : J’ai vu que les professionnels du commerce sont un peu chauds et j’ai bien l’intention d’échanger avec eux. Quand on fait un projet de loi, il tient aussi compte des problématiques territoriales. Et j’ai tellement d’exemples de villes devenues des mouroirs, et pas seulement dans le Sud… Ce que je demande aux représentants du secteur, et c’est une affaire de responsabilité collective, c’est que l’on mène cette réflexion sur un an. La désertification des centres-villes n’est pas qu’un problème de commerce. Le commerce, c’est 25 % du problème. La vraie question est de savoir comment faire revenir des habitants, notamment des couches moyennes et supérieures. D’où, premièrement, cette volonté d’un moratoire. Et, deuxièmement, que les Bâtiments de France cessent d’imposer des normes qui font que personne n’a envie d’investir dans les centres-villes. Troisièmement, il faut inventer une nouvelle fiscalité en fonction du territoire. Et là je peux rejoindre les professionnels de l’immobilier commercial. Le quatrième point, c’est la sécurité, avec notamment l’ajout de caméras.

FNW : Tout repose donc sur une capacité à travailler en commun ?

PV : Je suis profondément de gauche, mais on a raté la politique de la ville, qui a été un plâtre sur une jambe de bois. Ce que je veux redonner aux gens, notamment aux jeunes, ce sont les clefs de la ville. Cela veut dire une nouvelle mobilité, une réflexion sur les flux. Je ne veux pas me mettre en guerre contre les centres commerciaux. Mais je sais qu’en 2016, Auchan a perdu 7 % de marché. Je veux donc convaincre les Français que faire ses courses dans le centre-ville, c’est possible. En s’inspirant notamment de l’excellence des centres commerciaux, pour avoir à terme des centres commerciaux à ciel ouvert dans nos cœurs de ville. Car il n’y a pas de réalité sociale s’il n’y a pas de réalité économique. C’est un peu le souci que j’ai eu dans l’ancienne majorité, où les personnes étaient très souvent venues uniquement de la fonction publique, et qui n’abordaient pas ces enjeux. Pour moi, on ne construit pas une société en opposant des blocs. Il nous faut des professionnels des centres commerciaux, des urbanistes et des sociologues, pour inventer la ville sociale et connectée du futur.

FNW : Quel rôle voyez-vous pour les managers de centre-ville, qui sont au cœur de vos propositions ?

PV : Pour l’heure, le problème des managers de centre-ville est qu’ils sont payés par les villes. C’est le maire qui commande. Et s'il n’a pas du tout de vision ou d’envie de rénover son centre-ville, le manager est tout bonnement coincé. Il faut que l’Etat s’investisse. Je fais donc appel à Emmanuel Macron, qui s’y est engagé, à créer une Agence pour les villes, qui fournira l’ingénierie nécessaire aux collectivités. A qui l’on doit bien cela, puisqu’on les a asséchées récemment avec les dotations. Si l’on veut retrouver la confiance des maires, après une loi limitant leur rôle aux inaugurations et chrysanthèmes, il faut leurs redonner cette place centrale. Le rôle de manager doit reposer sur un vrai diplôme. Et que l’on soit capable de mettre autour de la table mairie, agglomération ou département, selon les cas. A ce moment-là, le manager aurait une demande précise. Que ce soit sur le commerce de périphérie, le petit commerce ou les professions libérales. Encourageons nos amis du commerce. Leur objectif est de faire de l’argent, ce qui ne me dérange pas, du moment qu’ils paient des impôts. Parce qu’au final, moi, je veux que l’on fasse concurrence à Amazon.

FNW :  L’e-commerce est le premier adversaire du centre-ville ?

PV : Amazon, c’est 100 millions de dollars avec 14 salariés. On va se laisser longtemps enfler comme ça par des gens qui ne paient pas d’impôts en France ? A nous d’être créatifs, de bâtir la ville connectée. Il faut que nos commerçants se bougent en se connectant. Sur les commandes Amazon, on se rend compte que dans un rayon de 10 kilomètres autour du client, il y a le produit recherché. Nous devons donc être inventifs et faire en sorte que le commerçant se prenne en main. Il y a un vrai débat collectif à avoir.

FNW : Avant de parler de désertification, il est beaucoup question de l’hégémonie des grandes enseignes dans les centres ? Comment appréhendez-vous cette question ?

PV : ll y a de belles enseignes. Mais, franchement, si ça continue, vous viendrez à Montpellier, Toulouse ou Marseille, vous aurez l’impression d’avoir le même centre-ville, vous n’aurez plus l’impression d’avoir voyagé. Il faut qu’il y ait des locomotives. Mais Il faut aussi qu’il y ait une alchimie entre des enseignes nationales et des commerçants locaux. Il faut que ces derniers puissent rivaliser, sans pour autant les opposer. Ce qui a longtemps été la démarche politique. Il est vrai qu’aujourd’hui, on donne très peu de moyens aux maires pour trouver cet équilibre. Ce serait notamment le rôle de l’Agence. Et vous ne me posez pas la question, mais je vais y répondre, il y a « les commerces ethniques ». J’ai à Montpellier et Figuerolles des commerçants d’origine maghrébine qui me disent : « On en a marre d’être juste entre nous, on aimerait avoir des commerçants blancs ». Il faut que l’on ait des outils pour travailler sur l’offre et la data du territoire, pour identifier les attentes et besoins en termes de mixité de l’offre et des commerces.

FNW : Comment aider les commerçants indépendants à exister face à des grandes enseignes en position de force ?

PV : Pourquoi les franchises ont-elles les cartes en main pour négocier ? Parce qu’elles se sont regroupées, organisées, ont marketé. Dernièrement, j’animais une réunion des représentants du commerce. Et certains disaient : « Vous savez, moi, Internet, ça ne m’intéresse pas, je ne sais pas faire ! » J’ai répondu que moi, Monsieur, je veux bien vous défendre. Mais qu’aujourd’hui les achats se font sur Internet. Vous avez des boutiques et un savoir-faire. En tant que commerçant, faute de vous adapter, tant pis pour vous : vous allez mourir. Il faut des formations et un débat sur la manière de vendre demain, notamment via le Web. Après, il y a peut-être des métiers qui vont disparaître. Laurent Grandguillaume, ex-député, veut travailler sur le projet Territoires Zéro Chômeur de longue durée. Vous avez des femmes et hommes au chômage depuis trois ans et inemployables. Je voudrais que dans les centres-villes, ces gens puissent être mis à disposition. Ils sont payés par nos impôts par Pôle emploi, autant qu’ils soient mis à disposition pour accompagner les commerçants.

FNW : Il s’agirait d’une nouvelle sorte de contrats aidés ?

PV : Même pas. Moi, je voudrais intégrer ces chômeurs ou à une association intermédiaire ou directement auprès auprès du commerçant. D’abord, la personne retrouve la dignité parce qu’elle se remet à bosser. Et elle peut accompagner le commerçant en termes de démarchage, de marketing. Et même certains ne trouvant pas de repreneurs pour leur boutique pourraient former ces jeunes pour qu’ils reprennent la boutique. Ce qui a manqué jusqu’à présent, et j’ose le dire, c’est la volonté politique. Cela n’a jamais intéressé les politiques les centres-villes, car il n’y a que des coups à prendre, que c’est long à porter et que le résultat ne se voit pas tout de suite. Je veux juste qu’il y ait une volonté politique de mon gouvernement. Et jusqu’à maintenant, je vous avoue que je n’ai pas l’impression que ce soit une priorité. Alors que, selon moi, c’en est une.

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