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Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
27 mai 2020
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À la découverte du kimono, depuis Kyoto jusqu’aux podiums

Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
27 mai 2020

Dans un monde antérieur à la pandémie de COVID-19, en février dernier, le musée londonien V&A inaugurait la première grande exposition dédiée au kimono en Europe, proposant un voyage dans le passé de cette pièce emblématique des traditions japonaises, réinterprétée par les créateurs les plus avant-gardistes et devenue une véritable icône de mode. Intitulée "Kimono: Kyoto to Catwalk" (Kimono : de Kyoto aux podiums), l’exposition aurait dû fermer ses portes le 21 juin prochain.


Victoria and Albert Museum


Mais le V&A n’a pas échappé à la règle et son avenir post-coronavirus est encore aujourd’hui bien incertain. Pourtant très attendue, cette exposition a été suspendue deux semaines à peine après le vernissage. À quoi ressemblera une visite au musée dans les prochains mois ? Difficile de le savoir, mais une chose est sûre : cela n’aura probablement pas grand-chose à voir avec ce que nous avons connu jusqu’à maintenant. À Londres, certains centres culturels pourraient reprendre leur activité dès juillet. Mais en attendant de pouvoir vous y rendre en personne, FashionNetwork.com vous propose une visite guidée de cette exposition composée de 315 pièces, que nous avons pu découvrir en exclusivité avant le confinement. Et pour compléter l’expérience, le V&A s’est même fendu d’une série de cinq épisodes publiés sur sa chaîne YouTube afin d’en faire profiter les internautes avant sa réouverture.


Premier épisode de la présentation de l'exposition

"Le musée V&A est connu pour ses merveilleuses expositions dédiées à la mode. Mais la plupart d’entre elles sont centrées sur la mode occidentale", relève Anna Jackson, commissaire de l’exposition. Ce parcours à la découverte de pièces japonaises du XVIIe siècle montre la façon dont "la mode a aussi bourgeonné dans d’autres endroits". Le mot kimono signifie littéralement "quelque chose à porter", et la commissaire nous explique qu’en dehors de la fascination que suscite cette pièce chez les Européens, elle est aussi considérée comme un symbole représentant la culture et la sensibilité de son pays d’origine.

Retour aux origines



Pour comprendre comment le kimono est devenu central dans l’histoire de la mode, l’exposition remonte jusqu’au début de la période Edo en 1615. À cette époque, le kimono était porté quotidiennement par tous les Japonais, indépendamment de leur sexe ou de leur classe sociale. Cette époque sans précédents fut marquée par une grande stabilité politique, une importante croissance économique et un fort développement des villes. À Osaka, le mélange de la créativité et du commerce créèrent des conditions propices à l’émergence d’un sens du style et de la sophistication dans la région. La mode devint rapidement l’un des secteurs déterminants au niveau social et économique, et la place du kimono devint centrale. Créateurs, distributeurs et représentants commencèrent à travailler main dans la main pour exploiter cette nouvelle opportunité commerciale.

Les nouveaux kimonos de luxe ne manquèrent pas de s’attirer les faveurs des militaires et des samouraïs, qui entendaient ainsi faire savoir leur prospérité et revendiquer leur rang social élevé. Dans le monde du spectacle, cette pièce commença également à jouir d’un statut particulier. Ses motifs parfois extravagants avaient un rôle à jouer sur scène, et le style des acteurs devint une source d’inspiration marquant les tendances. Mais au fur et à mesure que les ressources économiques des marchands allaient en augmentant, eux aussi tablaient sur d’élégants kimonos pour exprimer leur prospérité et leur statut nouvellement acquis.


Victoria and Albert Museum


En matière de goûts, les pièces exposées reflètent un style très différent de celui qui était favorisé en Europe, où la coupe et le patronage des vêtements devaient mettre en valeur ou cacher certaines particularités du corps. Dans la confection japonaise, la silhouette n’entrait pas en ligne de compte, mais les riches ornements du tissu, ses motifs, ses couleurs et les techniques utilisées se chargeaient de refléter le statut et la personnalité de celui ou celle qui le portait.

Une tradition exportée à l’étranger



L’ère Edo dura jusqu’en 1868. Jusqu’alors, le Japon était un pays fermé dont les relations avec l’étranger étaient extrêmement restreintes, malgré une dynamique globale d’échanges culturels avec l’Europe dans la région. La Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, notamment, était autorisée à commercer avec le pays et fit partie des premières sociétés à importer des tissus et des kimonos du Japon pour les envoyer en Europe, développant la popularité de cette pièce traditionnelle sur le Vieux Continent. Des versions adaptées y furent bientôt imaginées.

La fin du XIXe siècle marqua le début de l’ouverture au monde du Japon. L’industrie textile nationale se modernisa et la mode devint plus accessible que jamais. Le développement du commerce poussa le pays à créer des vêtements spécialement pensés pour l’exportation. Bientôt, le Japon ne fut plus en mesure de satisfaire seul l’appétit des Européens pour ces créations exotiques. L’Inde commença à recevoir elle aussi des commandes de kimonos, dans une version adaptée en coton. Pendant l’ère Meiji (1868/1912), caractérisée par d’importants contrastes, l’engouement pour le kimono persista. En Europe, les lignes du kimono commencèrent à exercer une influence significative sur le design dès le début du XXe siècle. Au Japon, en parallèle, le style vestimentaire acquit une importance accrue en politique et les membres de l’élite japonaise adoptèrent un style occidental censé incarner la modernité et l’égalité dans le pays.


Au centre, une création de Yoshikimono - Victoria and Albert Museum


Alors que les hommes japonais adoptaient presque unanimement le costume, les femmes devinrent les gardiennes de la tradition du kimono. Mais pendant la seconde guerre mondiale, l’utilisation de cette pièce devint presque anecdotique, réservée aux occasions spéciales. Le statut du kimono évolua vers celui d’un symbole représentant, selon les mots d’Anna Jackson, "un pays où le passé et l’avenir cohabitent en harmonie". Cette caractéristique unique est probablement ce qui explique sa survie au fil des siècles. "Contrairement à d’autres expressions culturelles menacées d’extinction, l’utilisation du kimono a été soigneusement codifiée", rappelle la commissaire d’exposition. Elle mentionne la création d’écoles spécialisées pour enseigner aux femmes l’art de porter le kimono.

Kimono Pop



La décennie des années 1950 sonnait le début d’une nouvelle vie pour le kimono. À ce moment, de nombreux créateurs adoptèrent ses lignes, jouant avec sa simplicité, le reconstruisant ou le transformant complètement. C’est bien ce que reflète l’exposition du V&A, qui rassemble des créations signées Paul Poiret et John Galliano pour Dior, ou encore Thom Browne, Yves Saint Laurent, Duro Olowu ou Yohji Yamamoto. Jean-Paul Gaultier imagina également une pièce inspirée d’un kimono pour Madonna, et Rei Kawakubo signa un kimono pour Comme Des Garçons. L’influence du vêtement japonais dans le cinéma fut également considérable, apparaissant dans des films comme "Star Wars" ou "Mémoires d’une geisha". Réinterprété par la culture pop, le kimono fut porté par Freddy Mercury et par Björk sur la couverture de son album "Homogenia", vêtue d’un modèle signé Alexander McQueen.



Victoria and Albert Museum


Mais le personnage le plus incontournable de la diffusion internationale du kimono est assurément Yoshiki. Inconnu en Occident, le leader de l’emblématique groupe de rock japonais "X Japan" est devenu une star médiatique sur le continent asiatique et a vendu plus de 30 millions de disques. Il y a dix ans, il a fondé sa propre marque, Yoshikimono, avec laquelle il a défilé deux fois à la Fashion Week de Tokyo afin de faire connaître le kimono japonais dans le monde entier. Aujourd’hui, l’une de ses créations inspirées du groupe Kiss est exposée au musée londonien. "Je suis content que l’industrie du kimono soit enfin reconnue (…). Il y a 100 ans, personne n’aurait imaginé que la cuisine japonaise serait un jour populaire dans le monde occidental. Qui sait ? Peut-être que dans un siècle, les gens porteront des kimonos dans l’espace", a-t-il commenté au moment du vernissage.

L’influence internationale du kimono est célébrée par la commissaire de l’exposition : "Depuis la culture sophistiquée du XVIIe siècle à la créativité contemporaine des défilés, le kimono est unique par son importance esthétique et son impact culturel, ce qui lui donne une place fascinante dans l’histoire de la mode". Cette place unique est aujourd’hui reconnue par le musée V&A qui, depuis sa fondation en 1852, collectionne assidûment l’art et le design japonais et possède l’une des collections de vêtements et textiles japonais les plus importantes au monde. Grâce aux nouvelles technologies et à la volonté de divulgation du musée, il n’est même plus nécessaire de voyager jusqu’à Londres pour s’en rapprocher. Même par temps de confinement, l’influence du kimono est plus sensible que jamais.

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