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11 oct. 2019
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Adama Paris : "En Afrique, c'est à nous d'investir dans la culture"

Publié le
11 oct. 2019

La Black Fashion Xpérience (BFX) s'est déroulée au cirque Bormann-Moreno à Paris du 26 au 28 septembre dernier, en parallèle de la Semaine de la mode. Sa fondatrice Adama Ndiaye, figure emblématique de Dakar, est une styliste franco-sénégalaise née à Kinshasa, créatrice du label Adama Paris. Elle a fondé en 2002 la Dakar Fashion Week, puis en 2012 la Black Fashion Week, organisée chaque année dans plusieurs villes sur trois continents. Multi-entrepreneure, elle a créé en 2014 la chaîne Fashion Africa, diffusée par Canal+ dans une quarantaine de pays africains, lancé Adama Paris Agency pour accompagner les créateurs débutants, et a ouvert au printemps dernier le concept-store Sargaale au Viaduc des Arts, à Paris. Adama Ndiaye revient pour FashionNetwork.com sur les enjeux de la mode africaine.


Après trois ans d'absence, Adama Paris (au centre) a relancé sa Black Fashion Week avec un léger changement de nom : la Black Fashion Xpérience - Didier Teurquetil


FashionNetwork.com : Quelle est la singularité de la BFX dans le paysage parisien des défilés ?

Adama Ndiaye :
J'ai cherché un endroit parisien insolite pour proposer une immersion dans la mode africaine. Après avoir organisé la Black Fashion Week au Pavillon Cambon et au Carreau du Temple de 2012 à 2015, j'estime ne rien devoir prouver. Du coup, je pouvais m'amuser et changer la notion de défilé en choisissant le cirque Bormann-Moreno pour deux soirées, consacrer un talk sur l'appropriation culturelle, ainsi qu'une soirée d'ouverture à Sargaale. Les journalistes, acheteurs et VIP ont pu échanger avec une quinzaine de créateurs. Certains sont des habitués de mes événements, comme la Congolaise Sakia Lek ou le marocain Karim Tassi, qui signe son grand retour à Paris. J'en ai découvert d'autres comme l'Angolaise Iracema Mathias grâce à Instagram. La BFX est un mélange entre jeunes talents et stylistes confirmés.

FNW : Pourquoi avoir attendu trois ans pour revenir à Paris ?

AN :
J'ai arrêté à la suite d'un décès familial et il m'a fallu un an pour me relever. Stopper pendant trois ans n'est pas un échec. Il faut prendre le temps de s'arrêter pour voir ce qui est important. Et puis je n'avais pas l'argent, le nerf de la guerre. Les collaborations avec la Fondation Cartier en 2017 puis Daniel Hechter en 2018 m'ont apporté des rentrées financières. J'aurais pu la refaire dès l'année dernière, mais j'ai préféré construire un business plan pour des boutiques parce que c'est une source de revenus pérenne.


Depuis deux décennies, le natif de Casablanca Karim Tassi réinterprète tout en fluidité les tenues traditionnelles


FNW : Le mot "black" a parfois été interprété comme une forme de communautarisme ?

AN :
Cette offre est une alternative à ce qui existe dans le monde de la mode. Comme j'ai eu la chance de beaucoup voyager, le mot "black" n'est pas qu'une couleur mais aussi une sensibilité à une culture qui traverse tous les continents, accessible à tout le monde. Il est possible pour des gens comme nous de faire des manifestations non communautaires mais inclusives. Je me rappelle à mes débuts, certaines institutions comme le Palais de Tokyo nous refusaient la location, malgré nos moyens financiers, pensant que c'était communautaire. Alors que je suis Française, j'ai même pris le parti de m'appeler Adama Paris.

FNW : Quelle est la perception des métiers liés à la mode en Afrique?

AN :
Les regards ont beaucoup évolué en 17 ans car il y a un engouement global autour de l'Afrique et une professionnalisation du secteur créatif, comme à Dakar, avec des producteurs, des photographes, des attachés de presse, des modèles... Avant, les aspirants mannequins se cachaient pour venir au casting de la Dakar Fashion Week. Aujourd’hui, les parents m'appellent ! Pas moins de 1 200 personnes viennent maintenant tenter leur chance. Ils s'organisent en bus depuis les pays frontaliers, de la Gambie jusqu'au Cameroun, voire au Congo. Beaucoup d'événements ont lieu à Dakar, alors certains mannequins arrivent à mieux gagner leur vie que des employés.


Originaire du Congo-Brazzaville, Sakia Lek valorise en particulier le raphia, un tissu de luxe obtenu à partir des fibres de palmiers récoltées en République du Congo - Didier Teurquetil


FNW : Quels sont les défis que le secteur de la mode et du textile doit relever en Afrique ?

AN :
La mode est le premier secteur informel avec les tailleurs, les teinturiers... mais il existe de réelles difficultés pour investir, en particulier dans la distribution. Il est impossible d'avoir un retour sur investissement tangible tant que les Etats ne nous aident pas à structurer toute la filière. Je suis devenue entrepreneuse culturelle car rien n'existait alors en dehors du FIMA (Festival international de la mode en Afrique) d'Alphadi pour montrer notre travail à l'international. C'est à nous de parier sur la culture, à nos hommes d'affaires et à nos gouvernements. Les investisseurs étrangers choisiront toujours des secteurs plus porteurs comme l'agriculture, le BTP ou les télécoms. Or la culture fait rayonner un continent, un pays, une tribu, un clan.



Par Roger Maveau

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