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Les echos
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14 juin 2011
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Affaire Bettencourt : ce qui se cache derrière la nouvelle plainte de la fille

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Les echos
Publié le
14 juin 2011

En prenant sa charge de " mandataire aux biens " de l'héritière de l'Oréal, l'avocat Pascal Wilhelm a constitué un comité d'investissement, composé de trois membres (Georges Ralli, ancien patron de Lazard Paris, Simon Robertson, président de Rolls-Royce, et Bertrand Meheut, PDG de Canal+.).

C'est le compte rendu " strictement confidentiel " de la première réunion de ce comité tenue le 20 avril 2011 dont nous publions les actes (voir PDFdu procès-verbal). Ceux-ci sont annotés de la main même de Liliane Bettencourt. A la question " de la présence de la fille de Madame Liliane Bettencourt, de son gendre et de ses petits-enfants aux séances du comité d'investissement sera soumise à Madame Liliane Bettencourt ", celle-ci appose de sa main à l'encre noire un " non " ferme et sans fioriture, preuve que la vieille dame âgée de 88 ans entretient avec sa fille des relations plus que tendues.

Mais on y parle aussi d' " une disposition testamentaire prévoyant le blocage des fonds durant une certaine période ". Selon des sources concordantes cette disposition dont l'avocat indique dans le procès-verbal ne pas pouvoir " en indiquer la teneur " porterait sur la fortune personnelle de Liliane Bettencourt. L'héritière de L'Oréal souhaiterait en effet que sa fortune personnelle estimée à 2 milliards d'euros soit transmise directement à ses petits-enfants _Jean-Victor et Nicolas Meyers_, mais... pas avant un âge que la vieille dame juge " raisonnable ".


Liliane Bettencourt
La fille du fondateur de L'Oréal, Liliane Bettencourt pose, le 30 septembre 2002 à la Fondation Cartier à Paris Photo : Martin Bureau/AFP


Si celle-ci décède avant cet âge plancher, ses biens seront gérés par un trustee. Le reste de ses biens ont été déjà transmis à sa fille, essentiellement les 17 milliards d'euros de titres l'Oréal dont les dividendes sont aujourd'hui (accord approuvé par le protocole de décembre) partagés entre la mère et la fille : 55% à Liliane Bettencourt et 20 % à Françoise, le solde étant conservé par Téthys.

Toujours lors de cette séance du 20 avril est également abordée la question des actions Nestlé. Pascal Wilhelm explique que "les contrats d'assurance vie sont en très grande majorité investis en titres Nestlé et que ces titre doivent être vendus et réinvestis ". Le point est soulevé dans la requête déposée Françoise Bettencourt-Meyers et ses deux enfants : " la somme en jeu est évidemment très importante et le sujet très sensible puisqu'il s'agit des titres de la principale société partenaire de l'Oréal. A quel nouvel investissement nous prépare-t-on ? ", s'étaient interrogés ses conseils.

L'ensemble des pages de ce compte rendu montre l'intérêt de l'héritière de l'Oréal pour la gestion de ses biens. Est-elle manipulée ? C'est la thèse de sa fille. Ce n'est pas neuf. Comme un mauvais remake de cette saga judiciaro-familiale sur fond d'avenir de l'un des fleurons de l'industrie française, après une brève accalmie de six mois, la querelle familiale entre Liliane Bettencourt et Françoise Bettencourt-Meyers, héritières de l'empire L'Oréal a repris de plus belle. Liliane Bettencourt, ulcérée, conseille à sa fille "de voir un psy" dans le JDD ce week-end. De son côté, Françoise Bettencourt-Meyers, accuse des "prédateurs" d'"instrumentaliser" sa mère. Les mêmes peurs émergent, presque avec les mêmes mots, celles de voir sa mère " instrumentalisée ", victime d' " aigrefins " formant " un cordon sécuritaire " autour de la dame âgée de 88 ans héritière d'une fortune colossale. Du côté de la mère on s'interroge sur les motivations réelles de l'entourage de Françoise Bettencourt-Meyers.

De l'avenir des titres l'Oréal et du jeu de Nestlé.
Six mois après avoir réussi à écarter l'artiste François-Marie Banier et le gestionnaire de fortune Patrick de Maistre, Françoise Bettencourt-Meyers a déposé le 7 juin une nouvelle requête devant la juge des tutelles de Courbevoie. Cette fois c'est l'avocat Pascal Wilhelm, désigné pour gérer la fortune de sa mère dans le cadre d'un mandat de protection qui est en ligne de mire. L'avocat se voit reproché d'avoir investi pour le compte de la fille du fondateur de L'Oréal près de 140 millions d'euros dans une société de Stéphane Courbit dont il est, par ailleurs, le conseil. Du côté de la mère, l'entourage accuse la fille unique de la milliardaire d'avoir "rompu" l'accord de réconciliation signé le 6 décembre 2010.

Que dit exactement cet accord ? Il règle tout d'abord la détention des titres l'Oréal : "Madame Liliane Bettencourt détient l'usufruit de la quasi-totalité des actions de Téthys, qui elle-même détient la pleine propriété de 18,22% et l'usufruit de 13,5% des actions de l'Oréal (Françoise Bettencourt et ses enfants détenant la nue-propriété de ces titres Téthys et l'Oréal NDLR)" ainsi que "100% du capital et des droits de vote" de Clymène, société chargée de faire fructifier les avoirs de Liliane Bettencourt. Il est en outre expressément convenu que les revenus générés par la holding familiale seront redistribués comme suit: "55% des dividendes nets annuels de l'Oréal perçus par Téthys seront redistribués annuellement à Liliane Bettencourt", "20% (...) à Françoise Bettencourt-Meyers, le solde étant conservé par Téthys".

Par ailleurs, pour gérer la fortune de Liliane Bettencourt, un " mandat de protection future désigne Maître Pascal Wilhelm en qualité de mandataire aux biens (...) Madame Françoise Bettencourt-Meyers a été associée à la rédaction de ce mandat de protection future dont elle déclare approuver les termes qui sont la condition de son accord au présent protocole." Ce mandat a été activé le 20 janvier 2011. Mais, précise l'accord, "Liliane Bettencourt restera libre de décider seule ou avec l'assistance de son mandataire aux biens, de la gestion et de la tenue des affaires faisant partie de son périmètre personnel, ceci comportant notamment le choix de son personnel, de ses loisirs, l'affectation de ses dépenses personnelles et plus généralement la gestion et l'utilisation de son patrimoine personnel". Plus précisément, "les actifs constituant le périmètre personnel de Liliane Bettencourt seront gérés exclusivement par cette dernière avec l'aide du mandataire aux biens", (Pascal Wilhelm Ndlr), "sans ingérence directe ou indirecte de quelque nature que ce soit. Madame Françoise Bettencourt-Meyers accepte expressément en s'engageant à ne pas contester les décisions de Madame Liliane Bettencourt". En clair, si Liliane Bettencourt a envie d'investir 140 millions d'euros dans la société de Stéphane Courbit sa fille n'a rien à y redire.

Néanmoins précise l'acte il est "convenu entre les parties que dans l'hypothèse où le mandataire aux biens de Mme Liliane Bettencourt se trouverait dans un acte déterminé en position de conflit d'intérêts avec la mandante, celui-ci se rapprochera préalablement à l'accomplissement dudit acte des conseils désignés de Françoise Bettencourt-Meyers pour s'entretenir de l'acte et de ses conséquences au regard des intérêts propres de Madame Liliane Bettencourt.". C'est, entre autres, sur cette potentielle situation de conflit d'intérêt que porte la nouvelle bataille de la fille. " Françoise Meyers n'a pas demandé la mise sous tutelle, mais l'ouverture d'une instruction sur les conditions d'exécution du mandat de protection ", précise-t-on ainsi dans l'entourage de Mme Meyers.

Comme l'écrit Pascal Wilhelm lui-même dans le premier rapport trimestriel du mandataire rédigé par ses soins " le cabinet Wilhelm et Associés assiste Mme Liliane Bettencourt pour l'ensemble des ses dossiers de conseils juridiques et contentieux ". Par ailleurs, l'avocat est le conseil de BetClic une société de Stéphane Courbit et celui de Jean-Marie Messier, dont la banque a servi de conseil pour l'acquisition des parts. Alors, comme l'y engage l'accord Pascal Wilhelm a-t-il avertit les conseils de Françoise Bettencourt-Meyers ? " Non " prétendent les conseils de la fille. " Bien entendu ", rétorque le camp de la mère. Quelle a été son attitude face au " non " comminatoire de Liliane Bettencourt ? C'est ce que devra déterminer l'enquête déontologique ouverte par le bâtonnier de Paris vendredi dernier.

Mais derrière cette bataille il en est une autre, beaucoup plus discrète mais toute aussi importante qui se joue, cette fois à Bordeaux. Le protocole de décembre prévoyait aussi le retrait de l'ensemble des plaintes déposées par les deux parties lors de la saison 1 de la guérilla familiale. Les plaintes contre François-Marie Banier, Patrice de Maistre, Fabrice Goguel ont été retirées par le camp de la fille. Mais celui de la mère n'a pas été aussi diligent. " Seule la plainte pour atteinte à la vie privée n'a pas été retirée ", a expliqué Pascal Wilhelm au Figaro. Pourquoi ne pas avoir respecté cette partie de l'accord ? D'autant plus que les avocats de Liliane Bettencourt n'en sont pas restés là. Ils ont aussi déposé une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC) pour soulever la contradiction entre l'article 427 du Code de procédure pénale qui établit la liberté de la preuve en matière pénale -et accepte l'enregistrement -et le principe constitutionnel de respect de la vie privée. De quoi, pour le camp de sa fille, relancer la polémique sur le fond, tout en ouvrant un nouveau délai en cas de transmission de la QPC à la cour, et, le cas échéant, au Conseil constitutionnel. Pour certains, la requête de la fille pourrait aussi avoir pour objet de rétablir stratégiquement " l'équilibre de la terreur " des plaintes : quand le camp de la mère refuse de retirer ses plaintes pour atteintes à la vie privée qui pourraient inquiéter la fille ou son entourage, ce dernier contre-attaque en cherchant à décrédibiliser le camp de la mère quitte à laisser son entourage s'enferrer dans ses erreurs... Un jeu pervers dont mère et fille sont sans doute les premières victimes.

VALERIE DE SENNEVILLE, LES ECHOS

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