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12 juil. 2023
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Affichage environnemental: comment mesurer l’impact de la fast-fashion?

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12 juil. 2023

Alors que l’affichage environnemental est attendu pour 2024, le ministère de l'Écologie annonçait en mars introduire “l’impact de la fast-fashion” parmi les critères observés. Le 11 juillet, en présence de la secrétaire d’Etat Bérangère Couillard, La Caserne (Paris Xe) accueillait une table ronde qui, si elle n’a pas éclairé sur la forme du futur dispositif, a permis de faire émerger plusieurs consensus sur les écueils à éviter.


Shutterstock


A compter de 2024, sur la base du volontariat, les marques pourront déployer l’attendu “affichage environnemental” prévu par la loi climat et résilience de 2021. “Le législateur laisse ensuite au gouvernement le soin de définir comment rendre cette mesure obligatoire”, a rappelé Bérangère Couillard. Reste cependant le défi de cadrer les méthodologies pour les huit critères de cet affichage: consommation d’eau, durabilité physique, conditions de production, utilisation de produits chimiques, rejets de microplastiques, valorisation des matières recyclées, valorisation des textiles reconditionnés. Et, donc, impact de la fast-fashion.

Mais comment mesurer ce dernier impact? Par la célérité de production de la fast-fashion ? “Fabriquer vite n’est pas forcément un critère: on a peut-être un stock de tissus qui permet de produire juste la quantité qu’il faut et rapidement”, a expliqué lors de cette table ronde Caroline Bottin, qui dirige le pôle éco-conception de Kiabi. Elle souligne l’importance du critère de solidité. “Nous faisons beaucoup de tests car Kiabi n’a pas les moyens de commander des produits qui ne serviront à rien. Il faut donc produire des pièces qui durent longtemps, et qu’on soit capable de prouver cette solidité.”.

Pour Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM), l’ultra fast-fashion marque en outre un changement d’échelle. “Des jeunes vont finir par penser que Zara, par comparaison, c’est du luxe”, s’alarme le responsable. “Shein, Asos… ce sont des modèles économiques qui peuvent devenir des modèles économiques dominants.”.

“Il est effectivement très difficile dans la fast-fashion de trouver des notions qui soient mesurables”, confirme de son côté Lucile Cazaux, chef de projet en charge de l'allongement de la durée de vie des produits au sein du groupe Decathlon. Pour qui la précision du futur cadre sera déterminante pour assurer son succès. “Il faut que des critères soient univoques, clairs, non interprétables selon les entreprises. Et cela passe aussi par une harmonisation des cadres entre la France et l’Europe.”.


Bérangère Couillard (ministère de l'Ecologie), Camille Le Gal (Fairly Made), Marguerite Dorangeon (ClearFashion) et Caroline Bottin ( Kiabi) - MG/FNW


L’un des points de convergence est la nécessité d’une approche française de l’affichage environnemental qui s’inscrit en concordance avec l’Union européenne. Pascal Dagras, spécialiste des impacts environnementaux pour le ministère de la Transition Écologique, a tenu à rassurer sur ce point. “Sur les huit critères retenus par la France, quatre sont déjà encadrés par l’UE (consommation d’eau, conditions de production, valorisation du recyclé et du reconditionné). Et trois autres sont à l’étude (durabilité physique, rejets de microplastiques et impact de la fast-fashion). 

Des vêtements Shein notés “A” ?



“La durabilité est une question complexe, sur un terme qui n’a pas la même signification pour un expert et pour un designer”, a tenu à rappeler Pascal Morand. “Il y a aujourd’hui l’acceptation globale d’un principe de durabilité holistique, ce qui est un progrès. Or, tout dépend des bases de données : si vous prenez le polyester, qui a connu un développement massif ces dernières années, l’ensemble des impacts à long terme ne sont pas tous pris en compte".

Pascal Dagras présentait en effet quelques minutes plus tôt un comparatif des scores d’impact mesurés pour un tee-shirt par des acteurs comme Clear Fashion, La Belle Empreinte, En Mode Climat ou encore la FHCM. Des mesures qui montrent, selon le mode de calcul, des écarts d’impact parfois très grands entre Shein, d’un côté, et Petit Bateau et Loom, de l’autre. “On voit que, si l’on étale l’impact sur la durée de vie des produits, cela peut jouer en défaveur des marques françaises, du fait du choix des matières.”.


Lucile Cazaux (Decathlon), Guillaume Declair (Loom, En mode Climat) et Pascal Morand (FHCM) - MG/FNW


Une crainte partagée par Guillaume Declair, cofondateur de Loom et membre de l’association En Mode Climat. “Le problème n’est pas que tous les produits de la fast-fashion sont individuellement polluants: des produits en polyester produits à l’autre bout du monde sont, à cause des bases de données, avantagées par certaines ACV (analyse du cycle de vie, ndlr). Donc, si on ne fait pas attention, on pourrait un jour voir sur Shein une majorité de produits avec la note A”, prévient le responsable. Pour qui quatre critères s'imposent: nombre de collections, largeur de gamme, taux de décote (vente à prix réduit) et réparabilité.

“On peut aller vers une évaluation qui pousse à produire des vêtements synthétiques à l’autre bout du monde de façon ultra-intensive, ou au contraire vers des vêtements en matières naturelles produits de façon locale”, met également en garde Camille Le Gal, cofondatrice de Fairly Made, spécialiste de la mesure environnementale. “De notre côté, nous analysons un produit de fast-fashion via sa durabilité émotionnelle, liée au rythme des collections, et sa durée de vie physique, via les dispositifs de réparation, mais aussi par les conséquences de ce modèle, dont les risques sociaux, la moins bonne connaissance des fournisseurs, la gestion des ressources naturelles, l’impact sur la biodiversité… Des éléments qui ne sont pas pris en compte dans le cas d’une ACV”.

Environnemental n’est pas social



Mesurabilité, éco-modulation du score environnemental (soit un système de bonus-malus), homogénéité des régulations… Tout cela serait vain si l’étiquetage n’était pas suffisamment clair pour les consommateurs. "Il faut un affichage clair, simple, complet et fiable, avec des informations supplémentaires pour ceux qui veulent aller plus loin”, résume Marguerite Dorangeon, cofondatrice de Clear Fashion, plateforme renseignant sur l’impact environnemental des produits. “Si l’on veut quantifier l’impact de la fast-fashion, il faut apporter des précisions sur ce mode de production. Et c’est important pour cela de tirer parti du travail déjà engagé par les acteurs du secteur privé, et qui apporte des informations sur des aspects sociaux du sujet”.


Pascal Dagras (ministère de la Transition Écologique) présentant un comparatif des différents scores établis pour un même typologie de produit. - MG/FNW


Bien que plusieurs intervenants aient insisté sur la réalité sociale de la fast-fashion, là se trouve une limite infranchissable de l’affichage environnemental.

“On aurait tout intérêt à faire des conditions de travail un critère, car cela mettrait en valeur les productions françaises et européennes. Ce n’est pas ce qu’a dit le législateur, qui a voulu un affichage environnemental”, a rappelé Bérangère Couillard. “Mais nous pouvons continuer à avoir des acteurs extérieurs qui surveillent ce type de critères, pour informer davantage le consommateur. On doit laisser cette liberté-là à la filière”.


Les discussions vont se poursuivre au moins jusqu’à la rentrée pour définir le cadre chiffré des huit critères de l’affichage environnemental. En attendant les premiers étiquetages volontaires en 2024, le gouvernement va déployer à l’automne son “bonus réparation textile”. Un dispositif par lequel l’éco-organisme Refashion prendra en charge une partie du prix des réparations textiles effectuées par les consommateurs chez des artisans et enseignes labellisés.

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