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Amazon Fashion et sa centaine de marques propres à surveiller

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7 nov. 2019

Berlin accueillait du 24 au 27 octobre derniers le premier événement d’Amazon Fashion dédié au jean, Denim Destination. L’occasion pour quelques journalistes internationaux de rencontrer le vice-président d’Amazon Fashion, John Boumphrey. Parler de la discrétion du groupe quant à sa stratégie mode, fusse-t-elle européenne, relève (hélas) du doux euphémisme. Silence dommageable à l'heure où marques et enseignes, qui redoutaient déjà la concurrence de la place de marché, s'interrogent maintenant sur l’avalanche de marques propres d’habillement lancées par Amazon. Des marques sur lesquelles se sont cependant penchées nombres d’études, qui mettent en évidence le potentiel concurrent direct qu’Amazon devient face à ces partenaires que la plateforme héberge.


Amazon Fashion a déployé 5 marques propres en Europe et 103 aux Etats-Unis (Gartner)


A ce jour, comme le rappelle John Boumphrey, le nombre de marques propres d’Amazon Fashion en Europe se limite à cinq. "Nous avons commencé avec Truth & Fable, une marque féminine adaptée aux occasions spéciales avec notamment des robes pour les grands événements", indique-t-il à FashionNetwork.com. "Nous avons ensuite lancé Find, qui est davantage tournée vers une offre streetstyle tirant un peu plus vers la mode. Est ensuite arrivée Meraki, qui entend proposer des produits essentiels de la garde-robe. Après cela, nous avons initié la griffe de lingerie Iris & Lilly, et puis enfin notre marque Aurique, positionnée sur l'athleisure et le sportswear."

Derrière ces cinq marques déployées en Europe, ce sont en réalité 103 marques de mode qui composent désormais l’offre propre d’Amazon dans le monde, donnant une idée des déploiements à venir sur le Vieux Continent. Ces private labels, il ne faut pas les confondre avec les autres 105 marques dites ‘Amazon Exclusive’ comptabilisées en mars dernier par le cabinet de conseil Gartner. Ces dernières sont des marques tierces qui, en dehors de leur réseau physique et portail en ligne, s’engagent à ne vendre que sur le portail Amazon. Qui trouve ici l’occasion de renforcer une offre spécifique à moindre frais. Dans un cas comme dans l’autre, la mode est au cœur du processus, avec 48 % des marques propres et exclusives proposées par le portail.

Un chiffre qui peut expliquer en partie le silence du groupe quant à ses ambitions mode. Entre 2014 et 2016, Amazon lançait cinq marques de mode, puis 54 en 2017 et 44 depuis 2018. Des marques souvent limitées à certains marchés, mais partageant leur modèle d’expansion, laissant présager une multiplication de l’offre. "Tout comme aux Etats-Unis, Amazon mène en Europe un effort concerté pour fortifier ses marques phares", souligne ainsi Gartner. "Les fondamentaux définis par Find sont utilisés comme un tremplin pour s’étendre à de nouvelles catégories – dont tout récemment dans les cosmétiques (le 24 octobre, Amazon Europe lançait sa marque de beauté Belei, ndlr)".

Des labels plutôt positionnés sur l'entrée et le moyen de gamme



Se pose donc la question du positionnement de ces marques, et la manière dont il est choisi par ce géant de la data. "Notre modèle vise à offrir au consommateur choix, valeur et praticité. Quand on demande à nos clients ce qu'ils veulent, ils répondent : plus d'offre, plus de styles, plus de couleurs", avance John Boumphrey. "La raison pour laquelle nous lançons ces marques propres est que nous les voyons et les pensons comme un complément (à celles de la marketplace, ndlr). Avec toujours comme approche de proposer de la bonne qualité à bon prix."


John Boumphrey, vice-président d'Amazon Fashion Europe - Amazon


Le fait est que le prix est une part essentielle du rôle rempli par ces marques propres. Comme le révélait déjà l’an passé Gartner, ces labels sont presque systématiquement positionnés entre l’entrée et le moyen de gamme, en bas de la catégorie, dans une « zone blanche » délaissée par l’offre existante, et identifiée par la magie des mégadonnées.

La cartographie de cette offre est d’ailleurs plus précisément définie par le spécialiste de la data Marketplace Pulse, qui a passé au crible 10 000 produits des marques Amazon sur la version américaine du portail, tous secteurs de produits confondus. Et il ressort ainsi que 49 % de ces produits sont vendus moins de 20 dollars, contre 12,1 % vendus plus de 50 dollars. Plus intriguant encore, 89 % de ces marques disposent de moins d’une centaine références, 25 % en proposant même moins de dix. Le tout sur un panel de marques là encore tourné à 47,7 % vers la mode, la chaussure et la joaillerie.

"De nombreuses marques (propres d’Amazon, ndlr), notamment dans l’habillement, ciblent un type de client spécifique ou répondent à une demande pour un type de produit particulier", explique l’auteur du rapport, Juozas Kaziukénas, qui évoque au passage la capacité du groupe à commander en grande quantité pour faire chuter les prix de vente. "En conséquence, beaucoup d'entre elles sont de petite taille. De l'autre côté du spectre, des marques génériques comme Amazon Basics tentent d'inclure des milliers de produits afin de gagner la confiance des clients avec une seule marque."

Le prix, nerf de la guerre



Car se dessinent en effet deux types de marques propres. D’un côté, celles affichant clairement leur filiation, comme les marques d’équipement pour la maison Amazon Basics, la marque de bijoux Amazon Collection, ou la marque d’habillement homme et femme Amazon Essentials. De l’autre, des marques plus anonymes, comme Simple Joys (mode enfant), Goodthreads (mode homme), ou Daily Ritual et Lark&Ro (mode féminine). Ces dernières seraient  moins performantes que les premières, ayant davantage vocation à attirer pour leur prix que pour leur reconnaissance de marques, à l’instar d’une marque alimentaire MDD de grande distribution.

Ce qui n’empêche pas les labels d’Amazon de s’être construits une certaine notoriété. L’étude menée l’an passé par Coresight auprès de 1 700 consommateurs américains d’habillement (dont 45,9 % avaient acheté de la mode sur Amazon cette année-là) montrait que 18,8 % se déclaraient intéressés par cette offre propre de produits mode et de chaussures. Ils étaient par ailleurs 11 % à en avoir déjà achetés.

Les jeunes de 18-29 ans sont ceux qui affichent le plus fort intérêt aussi bien pour ces labels propres que pour Prime Wardrobe, ou même au sujet de l’ouverture potentielle de boutiques physiques dédiées à Amazon Fashion. Cependant, il s’agit aussi du public le moins désireux de revendiquer une marque Amazon comme sa marque préférée.


Amazon aurait l'an passé mis en vente 23 000 produits via ses marques propres - DR


Plus qu’une destination mode, Amazon Fashion reste largement considéré comme une adresse à prix réduits. Qu’il s’agisse de labels propres ou de marques tiers, 48 % des clients s’y rendent en s’attendant de facto à payer moins cher qu’ailleurs. Ils sont même 32 % à indiquer s’y rendre en premier lieu pour les prix, contre 11,5 % en raison des tendances qui y sont présentées, selon Coresight.

Partenaire ou concurrent ?



Mais, face à la multiplication de ses marques propres, Amazon Fashion ne craint-il pas de passer plus que jamais pour un concurrent ? Nenni, à en croire John Boumphrey. "Nous pensons qu'Amazon est un espace fabuleux pour les marques : ces dernières nous disent apprécier la possibilité de toucher notre vaste audience", explique le responsable. "Et nous développons des outils spécifiques pour accompagner les marques dans leur développement".

Il semblerait pourtant que les emplettes effectuées sur Amazon Fashion aux Etats-Unis se fassent bel et bien au détriment d’autres acteurs. Ainsi, selon Coresight, les clients américains indiquent que les montants désormais dépensés sur le portail ont empiété sur les budgets habillement précédemment alloués à Target (selon 30,3 % du panel), Walmart (24,9 %), ou encore Old Navy (16,6 %), Gap (8,1 %) et Forever 21 (7 %). Une captation des budgets amenée à se reproduire sur chaque zone visée par la mode Amazon.

La méfiance domine en Europe



Et c’est bien cette réalité qui fait qu'Amazon est presque systématiquement évoqué comme une menace dans les conférences dédiées au retail mode. Que ce soit aux Etats-Unis, où il occuperait désormais le trône de premier distributeur d’habillement et où l’AAFA (American apparel and footwear association) tente d’alerter sur la masse de contrefaçons présentes sur certains de ses portails. Ou bien en Europe, là où sa montée en puissance est observée avec inquiétude par les acteurs nationaux, des réseaux physiques aux pure-players. Et le silence de la direction d’Amazon Fashion Europe sur ses ambitions n’est pas de nature à rassurer ces derniers.


L'événement Destination Denim tenu à Berlin du 24 au 27 octobre. - DR


Impossible ainsi d’avoir une idée du déploiement de 'Prime Wardrobe' en Europe, John Boumphrey se félicitant simplement son lancement l’an passé au Royaume-Uni, ainsi que de celui mené en Allemagne voici un mois. "L’idée est d’amener la cabine d’essayage dans votre salon", résume le dirigeant, pour évoquer cette box permettant de recevoir une sélection de produits, pour ne payer que les pièces gardées, les autres étant réexpédiées gratuitement. En attendant, Amazon continue de s’essayer à la production à la demande avec The Drop, une offre de pièces conçues par des influenceurs et proposées à la vente pendant seulement 30 heures ou jusqu’à ce que la limite de produits disponibles soit atteinte.

L’an passé, Amazon a mis sur le marché quelque 23 000 produits sous ses 406 marques propres ou exclusives (données Marketplace Pulse). Des pièces totalisant près de 1,4 million d'avis de consommateurs, qui leur assurent une bonne place dans le référencement de son moteur de recherche interne. Moteur de recherche  qui, selon le rapport 'Enabling Experience-Driven Commerce Anytime, Anywhere' de 2018, est désormais davantage utilisé que Google par les Américains en quête de produits sur Internet.

 
 

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