
Olivier Guyot
27 juil. 2023
Analyse du marché de l'immobilier commercial avec Christian Dubois (Cushman&Wakefield)

Olivier Guyot
27 juil. 2023
La vacance commerciale est en recul en France par rapport à 2021. A l'occasion de la journée de Rencontre de l'Alliance du commerce, réunissant nombre d'acteurs français de la distribution mode, chaussures et accessoires, les chiffres tirés des études du spécialiste Codata s'affichaient en grand.

En France, dans les centres-villes, le taux de vacance serait passé de 9,61% en janvier 2021 à 9,11% en 2023, celui des centres de périphérie et retail-park de 14,31% à 13,73% et celui des centres commerciaux de 7,63% à 6,54%. Tout cela alors que la France compte plus de 224.000 magasins pour plus de 76 millions de mètres carrés. Pour qui suit l'actualité des enseignes de mode, et voit le secteur accumuler les procédures collectives et les plans de restructuration, la donnée peut paraître difficile à croire.
Le spécialiste de l'immobilier commercial Cushman & Wakefield a récemment livré une étude sur le retour en pleine forme des Champs-Elysées avec les marques de luxe et les enseignes de sport qui s'activent pour occuper les espaces encore disponibles de l'avenue phare parisienne. JD Sport vient ainsi d'annoncer son arrivée alors qu'Adidas s'offre un nouveau flagship... et pourrait garder l'ancien le temps des JO. Cushman & Wakefield souligne d'ailleurs qu'avec les Jeux Olympiques de Paris, les Champs-Elysées bénéficient d'un engouement exceptionnel, notamment pour l'installation d'espaces éphémères. Ceux-ci se négocieraient 130% plus cher que la valeur locative habituelle d'un espace, alors que l'usage veut que celle-ci soit plutôt 70% moins cher, selon Christian Dubois, qui dirige les Services Retail France de Cushman & Wakefield. Mais le dirigeant tempère ce retour en forme après les années Covid-19.
"Cette dynamique autour des pop-ups ne concerne que les Champs, précise-t-il. Dans l'immobilier de commerce, il faut bien se méfier du biais de lecture. Sur les Champs-Elysées nous sommes sur une dynamique jamais égalée. Toutefois à Paris, l'attractivité est globalement dynamique. Nous sommes quasiment revenus à des valeurs locatives d'avant Covid sur Montaigne ou Rivoli. Le Marais est dynamique, l'axe Madeleine-Opéra est en recomposition mais devrait fonctionner. Je dirais que le boulevard Saint-Germain revient, et que la rue de Rennes et le boulevard Saint-Michel ont perdu de leur superbe avec des corrections des valeurs, qui étaient montées très haut, de l'ordre de 30% à 40%, puis un rattrapage de l'ordre de 15% à 20%.".
En régions, certains grands axes commerciaux majeures bénéficient d'une belle dynamique comme la rue de la République à Lyon ou la rue Sainte-Catherine à Bordeaux. Mais ce retour en forme n'est pas écrit dans toutes les villes. Les statistiques de Cushman & Wakefield relèvent que les valeurs locatives d'axes forts comme la rue Neuve à Lille ou la rue Saint-Férréol à Marseille sont inférieures à celles de 2013. Les impacts du Covid, selon les projets ou les démographies, n'ont pas eu les mêmes résonances. Ce qui est certain c'est que les acteurs de la mode, de la chaussure et de l'accessoire ont du composer avec ces répercussions dans tout l'Hexagone.
"Le prêt-à porter connaît une période de difficultés. Il y a une quinzaine d'années le mix commercial d'un centre était composé à plus de 60% d'équipement de la personne. Le taux de vacance est toujours à peu près le même. En revanche, la proportion d'équipement de la personne passe souvent en dessous de la barre des 40%, analyse Christian Dubois. Ce recul profite essentiellement aux enseignes de sport et à la restauration. Ces acteurs sont venus se substituer aux enseignes textiles moyen de gamme.".

Avec la période Covid les clients acheteurs de mode ont en effet pris de nouvelles habitudes, notamment via l'achat digital et de seconde main. Des comportements qui ont un impact sur des acteurs historiques du secteur. Et depuis 2022, le challenge de l'inflation frappe ces acteurs, d'abord avec une augmentation des coûts de revient de leurs produits, une baisse du pouvoir d'achat de leurs clients qui cherchent des prix plus bas et enfin une hausse des loyers: l'indice des loyers commerciaux étant indexé sur l'inflation. Beaucoup des acteurs de la mode n'arrivent plus à rentabiliser leurs surfaces commerciales.
"Le constat est général, mais il y a des notes plus positives, avance le spécialiste de l'immobilier de commerce. Les équipements périphériques résistent bien. Ils ont attiré les acteurs du discount, mais aussi parce que l'indexation sur les loyers peut être moins douloureuse sur 1.000 que 15.000 euros. La seule difficulté pour les propriétaires de ce type d'équipement c'est que la loi climat leur impose de travailler sur du remembrement. C'est peut être plus compliqué à concevoir que des retail parks qui se développent sur un terrain vierge. Les équilibres sont plus difficiles à trouver qu'avant autant du côté des bailleurs que des enseignes".
Un contexte qui explique aussi que le nombre de projets d'ouvertures de centres commerciaux s'est atrophié ces dernières années et que les ouvertures concernent le plus souvent des extensions d'équipements existants. En 2022, ce sont plus de 300.000 mètres carrés qui ont été ouverts en centres commerciaux et retail parks, bien loin du faste des années 2010. Selon Procos, hormis le projet Neyrpic de Saint-Martin D'hères à côté de Grenoble, les plus grandes ouvertures prévues en 2023 dépassent rarement les 10.000 mètres carrés. La valeur locative du mètre carré en centre commercial est en moyenne légèrement supérieure à 1.000 euros selon Cushman & Wakefield, alors que celle en retail park est en dessous des 250 euros.

"Il faut prendre en compte qu'en centre-ville la surface moyenne est de 160 mètres carrés, elle est d'environ 300 mètres carrés en centre commercial et de 700 en retail park, rappelle Christian Dubois. Cependant les retail park de dernière génération proposent quasiment tous des cellules d'environ 250 ou 300 mètres carrés. Ces formats sont plutôt à 400 ou 500 euros le mètre carré. Mais les charges, autour de 70 euro le mètre carré contre jusqu'à 200 euros dans un centre commercial de centre ville en font des équipements très compétitifs par rapport aux centres commerciaux. D'autant qu'ils sont composés d'enseignes de destination. Pour certains opérateurs c'est intéressant de s'insérer dans un mix marketing diversifié.".
Ces formats plus réduits, moins couteux et attractifs pourraient bien séduire des acteurs de la mode aux marges sous pression qui pour beaucoup recherchent des surfaces plus petites qu'avant. D'autant que le Covid-19 n'a pas fait émerger de nouvelles zones commerçantes au sein des villes. Pour autant, s'agit-il de la solution pour des acteurs qui peinent à équilibrer leur modèle?

"Je n'ai jamais opposé le modèle de périphérie et le centre-ville, même si je n'ai pas de naïveté sur certaines villes moyennes dans lesquelles les équipements périphériques peuvent faire de l'ombre aux équipements de centre-ville, avance Christian Dubois. Ce que je crois c'est que les centres-villes qui fonctionnent ce sont des coeurs de ville qui sont dans la proximité relationnelle du commerçant avec son client et la proximité géographique. Comme Bordeaux, où les rues qui fonctionnent très bien sont les rues sans voiture. L'omnicanal est aussi omnigéographique. Beaucoup d'enseignes sont présentes en périphérie, centre commercial et centre-ville. Une ville comme Toulouse a des galeries marchandes de périphérie très fortes donc on peut avoir un emplacement en centre-ville et un en galerie. A Strasbourg, cela peut être en centre-ville et dans le park périphérique de Vendenheim développé par Frey. Le choix ne correspond pas à un modèle, il dépend des territoires.".
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