Anrealage voit la mode en grand

Auteur :

Dominique Muret

Publié le
27 févr. 2019

Après s’être focalisé cinq ans sur les effets d’ombres et lumières à travers des prouesses technologiques, Anrealage change radicalement de registre en revenant aux fondamentaux de la garde-robe. Trench, chemise, jeans, chandail, etc. passent sous la loupe attentive du styliste japonais Kunihiko Morinaga, qui est sélectionné aux demi-finales du prix LVMH cette année, pour être restitués dans d’inattendues proportions exagérées dans un jeu raffiné questionnant la mode.

Peut-on apporter une nouvelle vision sur le vêtement ? Le triturer jusqu’à en sortir la substance moelle ? En proposer une lecture différente ? La réponse est oui. Le designer du label Anrealage en a apporté la preuve mardi à Paris avec une collection qui a subjugué. Certes, le thème XXL et de l’oversized a déjà été mille fois exploré par les créateurs, de Martin Margiela à Vetement, mais Kunihiko Morinaga nous en offre une nouvelle lecture, celle d’un détail agrandi de manière démesurée, aboutissant à une mode ludique et jouissive.

Au milieu de la scène, cinq Stockman géants avec un trench camel, un tee-shirt gris, une chemise en jeans, une chemise blanche en coton et une veste marine à boutons dorés. Avec facétie, le styliste japonais s’empare d’un ou deux détails très reconnaissables de ces grands classiques du vestiaire masculin et féminin en les étirant et les élargissant au maximum pour les transformer en de nouveaux vêtements tout à fait portables.

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Comme dans un profond zoom suivi d'un arrêt sur image, le revers d’un trench se transforme en une cape fermée par un bouton énorme. Son col devient une veste imperméable, le tee-shirt s’allonge en robe, le haut de la chemise blanche se mue en tailleur avec la boutonnière devenue une jupe droite, tandis que la veste d’officier prend des allures de manteaux-cape avec son col plongeant jusqu’aux genoux doté d'un unique gros bouton doré.

La parka kaki se fait robe, froncée à la taille par ses lacets, avec un joli col à fourrure blanche. Des étiquettes géantes barrées du nom de la marque Anrealage avec le numéro de la taille, un 46 bien voyant, jouent les écharpes enveloppant les épaules, le haut d’un classique gilet à losange est transformé d’un coup de baguette magique en une sympathique robe tricot. Même effet pour la chemise écossaise à gros carreaux rouges et noirs.

Pour rendre cet effet grossissant, les cols sont tous larges et plongeants, les boutons et boucles de ceintures reproduits en format XL.

Le jeu se poursuit avec les manches : celles en laine pied-de-poule d’un manteau sont recyclées en pantalon, tandis que la manche d’un trench ressuscite en une longue robe bustier fendue sur les côtés. Aucun détail ne manque, de la patte de serrage du poignet muée en ceinture à la doublure qui apparaît dans le haut du bustier légèrement retournée.

Et que dire de la jupe en manche de bomber d’aviateur ? Hyper réaliste avec son poignet en laine côtelée en guise de bustier, la gourmette transformée en ceinture métallique et la robe en nylon gris-vert froncée laissant voir, dépassant vers les pieds, la typique doublure orange ! Quant au morceau d’écharpe tricotée à la main dans de grosses mailles, il s’apparente à une grande cape-poncho avec ses franges démesurées retenue par une énorme épingle à nourrice, tandis qu'une chaussette de montagne s’amuse à jouer les cache-épaules.

« J’ai voulu aborder le décalage entre les images qui nous inondent, toutes similaires, et la réalité. Les photos des vêtements sur les écrans semblent toutes pareilles. Dans le monde digital, on ne s’arrête jamais au détail. C’est sur cet aspect qui nous échappe que j’ai voulu m’arrêter », explique le créateur. Après ses années « technologiques », il a voulu « mettre au centre les vêtements eux-mêmes en cherchant ce qu’ils représentent dans le monde d’aujourd’hui pour en créer des pièces du quotidien ».

Alors qu’Anrealage a fêté ses 15 ans l’an dernier, il prouve qu’il a une belle capacité à se renouveler. Il a aussi apporté un souffle d’air frais salutaire à la Fashion Week parisienne.