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Beauté : comment les millennials remodèlent le marché du maquillage

Publié le
12 mai 2017

Avec 450 millions d’euros de chiffre d’affaires, Nyx affiche une croissance de 125 % en 2016. La marque de maquillage, acquise par le groupe L’Oréal en 2014, compte déjà une dizaine de boutiques en France, et une centaine dans le monde, tout ça sans spot TV ni publicité dans les magazines. Qui plébiscite donc cette griffe qui communique uniquement via les réseaux sociaux ? Les fameux millenials. Cette jeune génération qui accapare l’attention des médias contribue fortement à la mutation du secteur de la consommation. Et du marché du make-up en particulier.


Clientes et influenceuses sont mises en avant sur les sites web des marques (ici Nyx) via leurs selfies postés sur Instagram - Nyx/site web


Connectés et égocentrés ?


Cernons d’abord cette population née à l’aube du digital, aussi appelée génération Y. Elle regroupe les 18-35 ans (nés entre 1980 et 2000), et constitue environ 20 % de la population française. Aux Etats-Unis, les millenials – soit 92 millions de personnes selon Goldman Sachs - sont récemment devenus la catégorie affichant au global le pouvoir d’achat le plus élevé, surpassant celui des baby-boomers. 

Hyper connectés, ces jeunes consommateurs affichent de nouvelles envies beauté. « Ces dernières années, on assiste à une montée en puissance du make-up par rapport aux autres segments de la beauté (soin, parfum), surtout portée par une jeune génération et l’essor des réseaux sociaux, analyse Mathilde Lion, expert du marché de la beauté en Europe chez NPD Group. Un phénomène qui va avec l’avènement de la mise en scène de soi-même, et des produits ‘selfie ready’ ».

De fait, le maquillage tire la croissance du marché cosmétique mondial, estimé à 205 milliards d'euros, avec un bond record de 8,4 % en 2016. Et la génération selfie dépense plus : le budget dédié aux cosmétiques des Américains de 19 à 24 ans s'élève à 49 dollars, contre 37 dollars pour la moyenne nationale, selon une étude Ipsos relayée par L’Oréal.

Razzia des grands groupes

Les acteurs phare du secteur de la beauté ne s'y trompent pas et jettent leur dévolu sur de jeunes marques de maquillage, peu connues du grand public, mais qui ont su séduire les influenceuses et construire une proximité online avec leurs clients. Le groupe Estée Lauder a ainsi déboursé 1,45 milliard de dollars pour acquérir la griffe Too Faced l'an dernier (+ 70 % de chiffre d’affaires en 2016), rachetant aussi Becca Cosmetics la même année. Début 2017, le géant Coty, surtout concentré sur le parfum, s’est adjugé Younique pour 600 millions d’euros, une marque américaine innovante, qui recrute des conseillères beautés vendant ses produits uniquement via les réseaux sociaux. Façon réunion Tupperware 2.0. Rappelons en outre que le Français L’Oréal avait ouvert la voie en raflant Urban Decay en 2012, puis Nyx deux ans plus tard.

Ces griffes, qui avancent masquées aux yeux de ceux qui n’utilisent pas Instagram et consorts, séduisent naturellement en premier lieu les millenials. Mais il serait réducteur de les renvoyer uniquement au cliché d’une génération « zappeuse, narcissique et individualiste », comme le dénonce un rapport publié par Nielsen. D’autres facteurs expliquent leur influence sur le marché de la beauté : leur haut degré d’expertise et un esprit communautaire affirmé.


Le kit des conseillères de Younique, qui mise sur la vente directe online - Younique


Pas de triche possible

Tutoriels, blogs, diagnostics en ligne… Dynamique de groupe oblige, grâce au web, les « beautystas » se regroupent en tribu, partagent leur connaissance accrue des produits et de leurs différentes applications. « Les millenials sont devenus experts, intéressés par les techniques des professionnels du make-up, et endossent même un rôle de conseil auprès des autres générations », décrypte Mathilde Lion, ajoutant que le nombre de requête concernant la beauté avait augmenté de 50 % sur Youtube entre 2014 et 2015.  

Une expertise qui ne permet aucun faux pas de la part des marques. La génération Y veut « comprendre ce qu’il y a sous le capot du produit, affirme Eric Briones, planneur stratégique et co-auteur du livre " La génération Y et le luxe". Ils exigent que les marques de cosmétiques s’adaptent totalement à eux, sans faire la moindre concession. » Dans une logique carrément servicielle.

Ils se sentent également libres de ne pas s’en remettre à un seul label. « Les digital natives ne sont plus fidèles à un produit, à un style en particulier, sont de plus en plus exigeants et demandeurs, témoigne Diane Lucas, communication & community manager de la plateforme The Beautyst, récemment acquise par le site Feelunique. Les réseaux sociaux sont le point de contact entre eux et la marque. Proximité, conseils et astuces beauté : ces canaux font partie intégrante de leur expérience d’achat, pas uniquement concentrée sur l'achat en lui-même ». Le succès de The Beautyst l’illustre bien, puisqu’il s’agit d’une plateforme sociale (et e-commerce) mettant en relation utilisatrices, influenceuses et marques.


Emily Weiss, 31 ans, est à la tête de Glossier, classée en 2017 dans le top 50 des entreprises les plus innovantes par Fast Companies. - Glossier


Des marques incarnées


Et quoi de plus inspirant qu’une personnalité forte à la tête d’une griffe, à laquelle on peut s’identifier ? Récemment débarquée chez Sephora en France, la griffe éponyme Kat Von D, lancée par la musicienne, tatoueuse et make-up artist américaine, se revendique comme l'une des marques de produits de beauté connaissant la croissance la plus rapide dans le secteur. Celle qui réunit 5,9 millions d'abonnés sur Instagram « teste et porte tout ce qu'elle réalise et dessine », affirme le label sur son site. Une ascension orchestrée (sans faire de bruit) par le groupe Kendo, propriété du géant LVMH.

Portés par l’aura d’un « gourou » beauté, de nouveaux modèles d'entreprises 100 % digitales émergent. Prenez la start-up américaine Glossier. Cette jeune marque de soins et make-up, totalement online et en plein essor, a été fondée en 2014 par la jeune Américaine Emily Weiss, qui a bâti autour de son blog Into the Gloss une forte communauté. Estampillée authentique, puisque la dirigeante « se met à nu » au quotidien, Glossier est déjà culte, et attendue comme le Messie sur le marché européen, où elle devrait prochainement débarquer. L’entreprise qui emploie 60 personnes, dont certaines dialoguent en direct sur les réseaux sociaux avec les clients, va prochainement étendre sa ligne de produits et créer 200 nouveaux postes.

Des produits phare

Parmi l’offre pléthorique de maquillage, certaines catégories explosent. « Les produits destinés au sourcil, au contouring (anticernes, enlumineur, highlighter), ainsi que le rouge à lèvres, tous achetés en masse par les millenials, contribuent fortement à la croissance du marché du maquillage en Europe », livre Mathilde Lion, du NPD Group. Dans le secteur de la beauté prestige, les ventes du segment lèvres ont augmenté de 18 % en Europe, en 2016, la catégorie sourcil bondissant elle de 29 %, alors que le marché du maquillage au global ne croît que de 5 % sur le continent.


Lili-Rose Depp est l'égérie des nouveaux "Rouge Coco Gloss" de Chanel - Chanel


Les géants de la cosmétique s’adaptent

Les grandes marques établies, bousculées par ces nouveaux acteurs, revoient leur stratégie pour séduire les millenials. Etre actif en ligne, sur les réseaux sociaux, n’est plus audacieux. C’est devenu une nécessité. « Nous sommes obligés de redéfinir les codes du luxe, jusqu’ici fondés sur la distance et l’intimidation », concède Françoise Lehmann, directrice générale de Lancôme, dans une interview donnée au Monde.

« Comme ces marques alternatives changent la donne, les griffes classiques de beauté prestige remodèlent leur offre et créent des lignes dédiées, détaille Mathilde Lion. A l’instar de la ligne Edit d’Estée Lauder qui a pour égérie Kendall Jenner, elles recrutent des ambassadrices qui leur parlent ». Dior Beauty s’est ainsi offert les services de la it-girl Bella Hadid, tandis que Chanel a enrôlé la jeune Lili-Rose Depp.

Chez Shiseido, « les millenials sont clairement devenus un sujet prioritaire au niveau mondial pour la marque », annonce Lindsay Azpitarte, directrice marketing EMEA de la griffe nipponne. « C’est une génération qui va grandir, qu’il faut donc capter assez tôt, afin qu’ils deviennent clients fidèles. Mais il faut rester vrai dans ce que l’on promet, puisqu’il s’agit d’une population informée sur les cosmétiques et déjà éduquée à la beauté ». Le storytelling en ligne s’impose comme un moyen pour les séduire : Shiseido a récemment recruté l’influenceuse Poppy Delevingne pour incarner ses tutoriels make-up.


Sephora déploie des points de vente "phygitaux" pour rester dans la course - Sephora USA


Le retail intégré au parcours d’achat

Bien que l’e-commerce explose, les magasins font encore partie de la routine des millenials. Encore faut-il y intégrer des options digitales poussées, comme l’a récemment dévoilé Sephora dans ses magasins de New York et Val d’Europe en France, à coup d’écrans géants, de tablettes et de simulateurs de maquillage. « ‘Web to store to web’, la nouvelle génération ultra connectée a un rapport à l’achat qui évolue : elle va aller chercher en ligne les meilleurs prix, passer en boutique pour essayer le produit puis se renseigner sur les réseaux sociaux, avant d’acheter », observe Diane Lucas, de la plateforme The Beautyst.

Il y a donc encore de la place pour la beauté sur les artères commerçantes. Alors que L’Oréal implante maintenant des magasins à l’enseigne pour ses marques (L’Oréal Paris, Urban Decay, Nyx), l’enseigne italienne de make-up à petits prix Kiko a déjà essaimé plus de 1 000 magasins dans le monde en 20 ans, et inauguré près de 200 succursales en France en l'espace de sept ans.

Et l’on en oublierait presque que les Millenials ne sont pas seuls. « C’est la population à cibler pour l’avenir, mais on assiste aussi à une semi-overdose, note Mathilde Lion. Attention à ne pas oublier les autres tranches d’âge ! » Un point de vue partagé par Lindsay Azpitarte, de Shiseido : « Notre client type a plus de 35 ans. La clé, c’est de proposer une offre pour chaque génération. » Et donc de s’ouvrir aussi aux 15-18 ans, les prochains à bousculer le marché.

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