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25 nov. 2019
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Black Friday : un rendez-vous à ne pas brader

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25 nov. 2019

Le Black Friday a déjà commencé ! Bien avant le vendredi 29 novembre, les "Black Weeks" se sont multipliées, dans un contexte particulier. Les commerçants redoutent en effet l'impact des grèves sur les ventes de décembre, et gardent le souvenir de l'effet des Gilets Jaunes sur l'événement promotionnel en 2018. Autant de motifs qui provoquent, cette année encore, un allongement de la durée de cette "Black Week", que beaucoup d'enseignes n'ont pas attendu pour proposer des rabais. Au risque de faire subir au Black Friday la même perte de sens et d'impact que le métier déplore aujourd'hui concernant les soldes.


Shutterstock


Dès le 20 novembre, La Redoute s'élançait pour un marathon de 12 jours. Et pourtant le nordiste était déjà en retard sur Cdiscount, qui lançait sa "Super Black Week" dès le 18 novembre. Amazon, Celio, Brandalley ou Asos se sont eux élancés le vendredi 22 novembre, rejoints le lundi 25 par une flopée d'acteurs comme Spartoo, Courir et ShowroomPrivé. Mais ces dates officielles ne sont que la partie émergée d'un iceberg de promotions qui, pour de nombreuses enseignes, ont rythmé l'ensemble de l'activité du mois de novembre. Au risque d'amoindrir l'effet d'attente causé par le vendredi noir.

Les opérateurs de centres commerciaux, qui ont fait de l'événementiel leur arme contre les chutes de trafic, ont également pris le train de la Black Week. Des affichages signalant dans les galeries les enseignes participantes, de même que la mise en avant des rabais via les réseaux sociaux et applications mobiles, se multiplient au fur et à mesure des éditions. En charge des galeries attenantes aux supermarchés Casino, Mercialys fera ainsi gagner des bons d'achats valables uniquement jusqu'au 2 décembre dans ses 22 principales unités. Frey a lancé pour ses centres une campagne dédiée en presse et radio régionales pour une période de rabais d'un peu plus de dix jours.

Même engouement du côté des grands magasins. "On accompagne les marques qui souhaitent le faire et c’est pour nous un temps fort commercial, où l’on enregistre en magasin environ 30 % de fréquentation supplémentaire", explique de son côté Olivier Bron, directeur des opérations des Galeries Lafayette et du BHV. " Les gens en sont de plus en plus friands. On essaie en revanche d’en limiter la durée, car nous nous inscrivons aussi dans une logique de réduction des promotions, et de prise de conscience sur la valeur du produit ».

Gilets Jaunes, grèves et résistance



L'incertitude du climat social n'est pas étranger à la mobilisation renforcée des détaillants autour de ce Black Friday 2019. Les commerçants évoquaient depuis septembre leurs craintes d'une résurgence des mobilisations de Gilets Jaunes, qui avaient contribué à réduire le trafic dans les commerces des villes touchées. A ceci s'ajoutent les inquiétudes liées aux grèves annoncées avant les fêtes, avec pour point de départ le 5 décembre. Soit trois jours seulement après le Cyber Monday du 2 décembre. Autant d'éléments qui ont poussé les enseignes à miser gros sur des Black Weeks plus longues que jamais.


Le Black Friday n'a pas renforcé les ventes d'habillement de novembre, mais en a capté une part croissante avec les années - Kantar


Il s'agit également d'une revanche sur le Black Friday 2018, qui coïncidait avec la première mobilisation des Gilets Jaunes et ses nombreux blocages de rocades, au grand dam des centres commerciaux de périphérie. Le CNCC évoquait alors pour FashionNetwork.com un fléchissement de 19 % de la fréquentation de ces galeries d'entrée de ville au niveau national. L'Alliance du Commerce nous confiait pour sa part que les enseignes nationales d'habillement et chaussures avaient connu des chutes allant de 30 à 60 % des ventes selon les réseaux. "Les commerçants nous parlent d'un Black Friday atone", confiait alors le directeur général Yohann Petiot.

Un contexte promotionnel dangereux



Cet allongement d'année en année du Black Friday commence en effet à soulever des questions quant à la pérennité de l'aura de ce rendez-vous. Et tout particulièrement dans un secteur de l'habillement cherchant constamment à revenir à l'équilibre. L'arrivée du Black Friday en France, en 2013, a coïncidé avec la prise de conscience généralisée des méfaits causés par la multiplication des promotions. Multiplication qui a amené en 2018 le secteur habillement a réaliser 47,4 % de ses ventes en promotions ou soldes, selon les chiffres Kantar, contribuant à une perte de contact avec la réalité des prix.

La mésaventure des soldes flottants, censés donner plus de liberté aux enseignes, aura à terme seulement permis aux plus grosses d'entre elles d'imposer leur rythme à des acteurs plus fragiles, qui ont logiquement creusé leurs marges. Mais elle aura surtout été le terreau d'une offre bradée à l'année. Par la suite, le passage surprise à six semaines de soldes pour compenser la disparition des "flottants" n'a fait que contribuer à banaliser encore un peu plus l'événement que les soldes ont naguère représenté. Signe qui ne trompe pas : depuis juillet 2018, aucun ministre ne s'est déplacé pour symboliquement inaugurer les soldes d'hiver et d'été. " Nous n'avons même plus de secrétaire d'Etat au commerce", nous rappelait récemment Gontran Thuring, directeur général du Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC).

Une fausse bonne affaire



Mais le Black Friday contribue-t-il à augmenter les ventes d'habillement en novembre ? Non, à en croire Kantar, qui suit l'évolution du rendez-vous depuis son apparition en 2013. Cette année-là, le Black Friday avait pesé 38,27 % des 8,1 milliards d'euros de ventes d'habillement réalisées en novembre. En 2018, le même événement a accaparé 86,13 % des 8,3 milliards de ventes mensuelles. Si la part du vendredi noir augmente, le chiffre de ventes est ainsi sensiblement resté le même. Sans qu'un réel report des ventes de décembre sur le mois de novembre ne soit observé. Pour la directrice Business Développement de Kantar, Mélanie Vinçot, ce succès du Black Friday sur le dernier week-end de novembre tient à un élément très simple.

"L'arrivée de la paye, qui fait que l'on repart sur un nouveau mois de consommation", explique la spécialiste, pointant le cas d'un Black Friday britannique ayant connu une contre-performance en arrivant trop tôt, sur une précédente édition. Mais Mélanie Vinçot constate, à l'instar de la profession, une illisibilité croissante du rendez-vous. "Il est de plus en plus compliqué de comprendre le Black Friday", confie l'analyste, qui constate l'allongement des Black Weeks. "Que cela dure jusqu'à quinze jours, c'est un phénomène assez nouveau. Avec, comme l'an dernier, une opposition croissante de certaines marques et enseignes".


L'importance donnée au Black Friday par enseignes et consommateurs s'appuie notamment sur la perte d'impact commercial et symbolique des soldes, notamment depuis les 'Soldes Flottants' - Shutterstock


Alors que le Black Friday continue de gagner en aura commerciale, certains commerçants ont en effet pris position contre la nouvelle période de rabais. Via le Green Friday, marques et créateurs veulent détourner le rendez-vous pour sensibiliser à la consommation responsable. Tout comme le "Make Friday Green Again" lancé par Faguo, qui rassemble 450 labels, ou le portail lyonnais de mode responsable, WeDressFair, qui baissera le rideau pour le "Block Friday", ses équipes allant à la rencontre des passants pour inciter à une consommation raisonnée. Le 22 novembre, c'était Emmaüs qui descendait dans la rue avec cette même idée.

Et certains opérateurs commerciaux jouent eux-même la prudence : en charge des galeries jouxtant les hypermarchés Carrefour, l'entreprise Carmila indique son souhait de ne "pas se positionner sur le Black Friday". Du côté des enseignes, The Kooples, Claudie Pierlot et de nombreuses autres annoncent bien des promotions courant jusqu'au 1er décembre, mais se gardent bien d'invoquer le Black Friday, lui préférant quelques néologismes maisons.


Shutterstock


Cette grogne en rappelle une autre. En début d'année, les détaillants indépendants d'habillement sont un temps allés jusqu'à soulever l'idée de ne plus participer aux soldes, certaines enseignes et pure-players se sont eux mis en tête de lancer une "réponse au Black Friday". Un coup d'éclat notamment motivé par l'apparition au printemps 2018 des French Days. Une "réponse française au Black Friday" créée par des distributeurs et systématiquement annoncée au dernier moment. Et dont la quatrième édition en septembre 2019 montrait déjà l'essoufflement, selon des responsables d'enseignes et portails consultées.

Préserver le dernier rendez-vous



Le Black Friday reste ainsi le dernier événement générant une attente enthousiaste de la part des consommateurs, et donc des enseignes. Une enquête RetailMeNot table sur une hausse de 4,1 % des dépenses entre les Black Friday 2018 et 2019.  Et la fédération du e-commerce s'attend à des ventes pouvant atteindre 1,7 milliard d'euros, rappelant que la précédente édition avait doublé le trafic et triplé les ventes des portails.

Mais, en étalant la Black Week chaque année un peu plus dans le calendrier de novembre, et en brouillant la frontière avec les promotions qui la précèdent et lui succèdent, les retailers prennent un risque : celui de banaliser ce Black Friday espéré salvateur. Une crainte d'autant moins fantaisiste que ces mêmes détaillants sont ceux ayant contribué à faire des soldes un rendez-vous de moins en moins attendu. Jusqu'à devenir, pour différentes fédérations d'habillement, un non-événement.

(avec la rédaction de FashionNetwork France)

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