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19 janv. 2018
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Emmanuel Le Roch (Procos) : "Pour le bien des centres-villes, arrêter de pointer l’autre du doigt"

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19 janv. 2018

La fédération Procos pour le commerce spécialisé a, depuis des années, tiré la sonnette d'alarme quant à la désertification commerciale des centres-villes. Alors que le problème a l’an passé atteint un niveau critique, le gouvernement a annoncé la mobilisation de cinq milliards d'euros dans le cadre du « Plan Mézart », destiné à redynamiser les villes tricolores. Un motif de satisfaction pour l’organisme professionnel ? FashionNetwork est allé poser la question à son délégué général, Emmanuel Le Roch.

Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos - Matthieu Guinebault/FNW


FashionNetwork.com : Quelle a été votre réaction face aux annonces du gouvernement ?

Emmanuel Le Roch : Très clairement, nous sommes très contents. C’est une bonne démarche qui résulte des nombreux échanges entre acteurs menés depuis juillet. Il y a eu une vraie prise de conscience de tous les acteurs, publics et privés, d’une vraie problématique touchant au centre-ville. C’est donc une bonne première étape, y compris méthodologique, puisqu’il s’agit d’apporter de la compétence et de définir des règles particulières dans les territoires. En revanche, nous pensons qu’il faut élargir le plan d’action, peut-être sous des formes différentes. En permettant par exemple à des zones d’avoir des règles plus simples et une fiscalité allégée. Car il faut aller au-delà des 30 villes qui sont visées par le Plan Mézart. Surtout quand, dans tout cela, il y a deux sujets. La transformation nécessaire du commerce, d’abord, compte tenu des développements d’Internet. Et la ville elle-même, ensuite, qui nécessite la mise en place de mesures de dynamisation allant au-delà du commerce. Les grandes villes ont accès à une grande compétence. Il faut aider les plus petites à pouvoir également y prétendre. Surtout quand les villes doivent apprendre à raisonner en termes de territoires, pour bien comprendre une vie commerciale basée sur les flux de consommateurs. Il faut poursuivre l’effort engagé en 2018.

FNW : Vous avez décidez d’interrompre le baromètre sur la vacance commerciale, notamment en raison de l’utilisation qui en a été faite. Pourquoi ?

ELR : Tout a été cristallisé sur le centre-ville. Et on peut comprendre pourquoi : nous y sommes tous attachés à titre personnel, pas seulement professionnel. Cependant, nous ne pensons pas que c’est par la réintégration du commerce de périphérie que nous aiderons les centres-villes. Il y a encore un travail à faire sur la logique de commerce de proximité : en alimentaire, les achats récurrents fonctionnent et les gros opérateurs ont ainsi repris place depuis des années dans les cœurs de ville. Il faut aussi comprendre que les choses ne peuvent se faire au niveau national. Dans les métropoles, il faut moderniser, faire de la densité, restructurer. Dans les villes moyennes, il faut inventer de nouveaux modes d’activité, réintégrer des flux autres. Les problématiques sont autres. J’espère qu’en échangeant sur les différents enjeux, bien qu’il y ait plusieurs écoles, y compris dans les ministères, nous arriverons à rapprocher les points de vue.

FNW : Le débat du budget 2018 a vu des parlementaires mettre en opposition centres et périphéries, puis commerce et e-commerce. Les élus sont-ils réellement pour une approche concertée ?

ELR : Le sujet est vaste et complexe. Chacun a une vision parcellaire, avec des problèmes jugés plus graves que ceux des autres. Les maires de communes sont préoccupés par leur centre-ville, mais les élus des villes voisines s’inquiètent eux pour leur territoire. Localement, déjà, il y a un travail à faire pour créer des feuilles de route partagées. Au niveau national, même problème. Le Sénat est préoccupé par les petites villes, mais certains sénateurs ont bien conscience qu’un commerce dans un bourg ne peut être comme celui d’un centre, du fait que l’attractivité d’un territoire prend en compte la périphérie. Nous allons arriver à des points de vue plus équilibrés, mais cela prend du temps. Il faut aussi que cela soit coordonné par une vraie volonté politique d’aborder le sujet de manière globale et non saucissonnée. C’est ce que nous demandons, nous.

FNW : C’est-à-dire ?

ELR : Il faut une intégration globale des paramètres. Pour le bien des centres-villes, il faut arrêter de pointer l’autre du doigt. Que ce soit l’e-commerce, qui perturbe les anciens équilibres et doit être pris en compte. Ou la périphérie, qui souffre aussi d’absence d’équité fiscale avec le Web. Dire « on va surfiscaliser la périphérie et les entrepôts multicanal », il est bien évident que cela va, à terme, fragiliser le modèle physique. Il y a une grande question à laquelle répondre au sein de ce problème. Est-ce qu’on veut des magasins essentiels pour la dynamique de la ville et la relation sociale ? Ou est-ce qu’on laisse se développer des modèles favorisant des logiques de logistique produit qui vont faire des dégâts assez clairs sur la dynamique des villes ?

FNW : Spartoo veut racheter André, Galerie Lafayette reprend La Redoute, Carrefour investit dans ShowroomPrivé… Pensez-vous que cela va contribuer à créer des ponts pouvant faciliter les échanges ?

ELR : Oui, très clairement. D’abord parce que cela va accélérer l’émergence d’un vrai omnicanal, à savoir pas uniquement au niveau des ventes, mais faisant travailler ensemble des pure players et des acteurs physiques historiques. C’est toujours difficile de changer de monde. Mais ces rapprochements peuvent faire gagner du temps dans la mise en place de solutions opérationnelles. Et sur la notion de coûts, cela peut également avoir de vraies conséquences. Puisque, forcément, pour un pure player comme Spartoo, il est intéressant d’avoir des boutiques pour deux raisons : le référencement sur Internet coûte cher et un client qui vient chercher sa commande en magasin est plus intéressant que celui qui se fait livrer. Et inversement, pour le magasin, c’est l’occasion de générer des visites supplémentaires. Personne ne dit que c’est facile quand on vient de deux mondes différents. Mais il est évident que c’est le seul moyen assez efficace d’accélérer le phénomène et de mieux répondre à des attentes de consommateurs qui sont parfois excessives. Et c’est une autre question importante : doit-on répondre oui à toutes les attentes des consommateurs ? Chacun aura à trancher là-dessus. 

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