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Publié le
8 juin 2022
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Eric Goguey (24S): "Aujourd'hui, nous sommes App first"

Publié le
8 juin 2022

Même si Bernard Arnault, président de LVMH, a parfois tancé les modèles digitaux et souligne régulièrement la pérennité de son groupe et la solidité de sa rentabilité face à ceux des géants du numérique, le numéro un mondial du luxe a bel et bien pris des positions dans la distribution en ligne de produits de luxe. Pour ses maisons tout d'abord, mais aussi avec sa plateforme multimarques haut de gamme qui fête ses cinq ans. D'abord nommée 24 Sèvres, adresse du Bon Marché, la plateforme multimarques en ligne du groupe LVMH a vite été rebaptisée 24S pour se mêler à la compétition internationale que se livrent les pure-players luxe comme Farfetch, MyTheresa, Net-a-Porter (qui cherchent justement à renforcer leur rentabilité), mais aussi les acteurs de la seconde-main haut de gamme comme Vestiaire Collective ou The Realreal. Présidée par Alexandre Arnault, fils du PDG du magnat Bernard Arnault, 24S est dirigé par Eric Goguey qui est à la direction générale de la plateforme depuis ses débuts. Le directeur général revient pour FashionNetwork.com sur les avancées réalisées par la plateforme, mais aussi sur ses perspectives de développement.


Eric Goguey, directeur général de 24S - 24S



FashionNetwork.com: Depuis les débuts de 24 Sèvres en 2017, jusqu'à l'actualité de 24S, comment a évolué le positionnement de la plateforme ?

Eric Goguey :
Nous avons démarré avec un business simple, d'achat et revente de produits de luxe en proposant 200 marques dans la sélection. Nous avions choisi 24 Sèvres, adresse du Bon Marché, comme nom, et la volonté de mettre en avant notre ancrage parisien. Nous gardons un programme de fidélité et de services en commun avec le Bon Marché, qui est l'un des plus beaux grands magasins au monde et a sa clientèle spécifique. Notre challenge était de proposer une expérience en ligne et nous avons un choix de pièces adapté à la clientèle internationale et à la présentation sur un écran. Cette relation entre Paris, capitale de la mode, et les marques de luxe nous apportait une crédibilité sur le haut de gamme et reste au coeur de notre stratégie. Nous avons opéré le changement de nom dès 2019 lorsque nous avons accéléré à l'international, notamment avec le développement des clientèles asiatiques, en Chine et en Corée du Sud. L'international représente aujourd'hui 85% du volume d'affaires.

FNW: Quel est aujourd'hui le chiffre d'affaires de 24S ? Et comptez-vous ouvrir le site à de nouvelles catégories ?

EG:
Le groupe ne détaille pas ce type de données. Ce que je peux dire c'est que nous avons des croissances annuelles de nos ventes supérieures à 50%, en étant très forts dans la maroquinerie. Je crois que nous pouvons élaborer des croissances sur les catégories de produits que nous commercialisons déjà. Nous avons par exemple des capacités de progression dans l'homme.

FNW: Quels sont les principaux enseignements depuis cinq ans?

EG:
L'un des principaux enseignements, c'est qu'il est plus facile d'exprimer la spécificité d'un produit ou d'une marque dans un univers physique, qu'en ligne. Nous avons un assortiment plus large. L'autre point clé, c'est qu'avec la Data, nous avons des chiffres auxquels nous référer et une très grande connaissance de nos clients.



La plateforme met en avant Paris dans ses campagnes, comme ici pour le printemps-été 2022 - 24S


FNW: Au lancement de la plateforme, la question se posait du potentiel multimarque d'une plateforme estampillée LVMH; qu'en est-il ?

EG :
Notre fer de lance est d'apporter les produits qui vont satisfaire le besoin de nos clients. Le fait de faire partie d'un groupe comme LVMH nous permet de pouvoir proposer des exclusivités, comme avec Moynat et Louis Vuitton. C'est un véritable moyen de traction des visites sur le site. Mais nous sommes totalement agnostiques en ce qui concerne nos sélections. Notre volonté est de présenter le meilleur mix. Je suis ravie de proposer Chloé ou Balenciaga. Aujourd'hui, sur les 300 marques que nous vendons, la très grande majorité ne font pas partie de LVMH. Cette sélection nous permet d'être la plateforme la plus exclusive et la plus chic.

FNW: Comment composez-vous cette offre ?

EG:
Nous l'avons faite évoluer avec un rythme de propositions d'exclusivité et un mélange de grandes marques et de créateurs. Nous constatons que nos clientes ont de moins en moins de Full Look dans une marque, mais composent par exemple avec une pièce de chez Céline et une autre de Jacquemus. C'est une véritable évolution de la demande.

FNW: Les exclusivités sont un véritable outil pour les plateformes multimarques. Sont-elles si importantes dans votre activité?

EG:
Les collaborations impriment le rythme et font l'ADN d'une plateforme. Pour nous, il faut donc que ce soit une proposition qui fasse penser à la Parisienne. Si on ne l'imagine pas porté dans les rues de Paris, on mettra un stop au projet. Nous préférons faire moins, mais avec des propos forts, que ce soit avec des marques établies, comme Balmain lorsqu'ils ont travaillé sur Barbie, ou des jeunes créateurs (les finalistes du prix LVMH sont régulièrement mis en avant sur 24S,ndlr). Nous avons aussi proposé des collaborations avec Nensi Dojaka ou encore Charles de Vilmorin, qui a été un succès. Ces collaborations nous permettent de rester en lien avec une clientèle qui est à la pointe de la mode et attentive à toutes les propositions exclusives.



La capsule exclusive du designer Charles de Vilmorin - 24S



FNW: Qui sont ces clients ? Quel est leur panier moyen ?

EG:
Nous avons un panier moyen au-delà des 500 euros. Nous dédions une attention toute particulière aux services pour nos VIC (very important client, ndlr). Ils représentent plus de 30% de nos volumes de vente. Les relations avec eux dépassent largement le online. Nous devons pouvoir répondre à leurs attentes, dédier une livraison spéciale si besoin. Nous avons un service après-vente qui fonctionne 24h/24, 6 jours sur 7 dans cinq langues car nous devons pouvoir apporter ce degré de service. On ne peut pas se contenter d'un chat automatique. L'humain pour répondre aux besoins du client, c'est ce qui forme la base d'un bon business luxe.

FNW: Au niveau technique, s'il y a cinq ans, la navigation sur desktop était encore très présente, vous avez certainement dû évoluer en mobile first. Qu'est-ce que cela change?

EG:
En 2017, nous étions déjà bien conscients de l'évolution des comportements de nos clients sur le digital et avons travaillé sur le Mobile First. A présent nous sommes App first. Nous avons une chance: c'est que 50% de nos clients ont moins de 35 ans. Pour les digital native il n'y a pas de frein à l'adhésion à une application. Nous avons trois millions de visiteurs uniques par mois et 30% d'entre eux le sont via l'application. Cela permet d'avoir un contact plus précis avec le client, de lui faire des propositions spécifiques. Concrètement, cela limite le nombre de clic pour accéder à l'offre et renforce la fréquence de visite et d'achats.

FNW: Quel autre grand développement avez-vous proposé à vos clients?

EG:
L'un des grands tournants à été pour les marques. Nous avons lancé notre place de marché l'an dernier. Cela donne aux marques la possibilité de nous déléguer l'expérience tout en proposant une bien plus grande profondeur d'offre. Mais avant de lancer cette place de marché nous devions être certains d'avoir "l'hyperqualité" de service. Et nous sélectionnons les marques qui disposent de la structure nécessaire, nous avons de très bonnes notes en qualité de service et nous voulons les conserver. Nous allons compter une centaine de marques prochainement. Nous embarquons par exemple Eres ou Golden Goose. Mais notre objectif n'est pas de basculer vers un modèle de place de marché. Nous voulons proposer un service à la carte aux marques qui selon leur modèle opterons pour l'un ou l'autre voire les deux formats, selon leur structure et objectifs.

FNW: Et comment analysez-vous les opportunités du Web3 ?

EG:
Nous suivons de très près les développements des NFT, du métaverse, etc. Tout comme nous restons attentifs aux innovations. Mais pour l'heure, il persiste une interrogation vis à vis de la qualité de restitution des visuels ou des images de produits dans ces univers. Il y a un manque de réalisme. Avec les produits que nous proposons, tout est dans le détail des vêtements, dans la qualité des matières. Quel est le message si le rendu n'est pas à la hauteur ?


24S



FNW: Quel est votre prochain grand défi ?

EG:
Nous aurions déjà dû commencer le liveshopping, mais nous avons pris un retard avec les défis du Covid. Cela devrait être activé dans le dernier trimestre de l'année. Nous voulons un niveau de qualité qui contentera nos VIC internationaux. Notre volonté est de mettre Paris en avant, donc ce ne sera pas une vision "studio" du propos. On sera dans une approche "one to many" avec une exigence du client du luxe. Mais le projet le plus intéressant est notre lancement sur WeChat. Nous vendons les produits et racontons leur histoire avec notre vision parisienne de la mode. Mais nous devons avoir une relation la plus proche possible avec les clients. Pour le client asiatique et en particulier chinois, cela passe par WeChat, cela va nous permettre de gagner en authenticité et en relation avec eux. C'est passionnant car c'est un lancement sur un autre support et avec une autre culture. Nous avons une équipe en mandarin à Paris, qui travaille dessus. La notion éditoriale est essentielle. Je ne pense pas qu'un client vienne sur notre site pour lire un article, mais cela passe aujourd'hui plus par des visuels qui nous permettent de transmettre notre manière d'interpréter la proposition d'une marque. Pour nous, l'unboxing est aussi l'un des rares moments où nous pouvons raconter une histoire physique au client.

FNW: Vous êtes une plateforme digitale, dans un groupe qui a une culture de maisons de savoir-faire ou de réseaux retail. Vous êtes un peu à part...

EG:
Nous sommes une maison de distribution en ligne. Nous échangeons évidemment avec les autres maisons mais il est vrai que l'approche est différente. Mon deuxième recrutement a été un développeur informatique. Et c'est notre savoir-faire, avec des équipes jeunes, constituées de 200 profils, avec beaucoup de développeurs et data-scientist. Notre équipe est jeune et c'est un avantage car ils ont le même âge que nos clients et suivent les développements et tendances du secteur. Le recrutement est un challenge, car sur les profils recherchés nous ne sommes pas en compétition avec les acteurs du luxe, mais tous ceux qui recrutent des profils techniques. Nous pouvons être en concurrence avec Google. L'avantage c'est que nous développons nos projets à 90% et cela intéresse les profils que nous ciblons.

FNW: D'après vous quelle sera la prochaine évolution du secteur ?

EG:
Nous avons des projets que je ne peux pas dévoiler. Mais je suis convaincu que l'expérience de qualité va s'affirmer comme un élément clé pour susciter les achats des clients du luxe. Et l'expérience en magasin sera un accélérateur dans la séduction des clients. Je suis convaincu de ce rôle du magasin. Nous n'avons pas vocation à ouvrir des points de vente physique mais les réseaux existants ont une connaissance forte des lieux et des spécificités des consommateurs. Les vêtements de créateurs ont aussi des "fit" qui évoluent d'une saison à l'autre: la découverte et le conseil physique peuvent être un atout. Les marques sont nos meilleurs partenaires avec leurs boutiques dans la perspective de cette évolution.

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