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12 juin 2019
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Ethiopie : la course aux bas salaires nuit gravement à la productivité

Publié le
12 juin 2019

Désignée comme le nouvel eldorado de la production à bas coût, l’Ethiopie s’est fait forte d’attirer ces dernières années les investisseurs textiles étrangers, et notamment chinois. Mais un récent rapport du Centre Stern pour les affaires et les droits de l’Homme de l'Université de New York pointe le fait que les structures déployées au niveau local se heurtent à un choc des cultures et à une démotivation des équipes qui freinent grandement la productivité des usines du pays.


Une usine textile à Addis-Abeba - Shutterstock.com


Comme l’évoquait précédemment FashionNetwork.com, le rapport de 24 pages cite en exemple le cas du parc de production d’Hawassa, situé à près de 270 kilomètres de la capitale Addis-Abeba. Fleuron de l’industrie locale, où a notamment pris ses quartiers le groupe américain PVH en joint-venture avec l’indien Arvind, ce site regroupe 25 000 ouvriers du textile. Et si l’installation moderne offre de bonnes conditions de sécurité, les équipes peineraient à suivre le rythme, notamment du fait de la déception engendrée par des salaires moins élevés qu’espérés.

Le niveau de production varierait de 15 à 75 % selon les entreprises présentes dans le parc, selon le responsable local de Decathlon, Anas Tazi, cité dans le rapport. Un document qui oppose ce qui fait de l’Ethiopie sur le papier une destination textile idéale et ce qui localement vient contredire ce portrait industriel.

Pour rappel, le principal argument de l’industrie ethiopienne est le très faible coût du travail. Sans salaire minimum imposé dans le privé, les ouvriers textiles touchent 26,6 dollars par mois, contre 340 en Turquie et 326 en Chine, selon l’étude. Le pays est même bien en dessous du Bangladesh et du Myanmar, eux-mêmes pourtant en bas de classement avec 95 dollars, ce qui avait massivement attiré les investisseurs chinois à la faveur des hausses de salaires décidées au début de la décennie par Pékin.

Démotivation, formation et cultures

Dans le détail de l’enquête, il ressort que le salaire textile a été fixé pour s’aligner sur le salaire minimal instauré dans le secteur public. Ce qui, relève le document, fait qu’un opérateur de machine textile touche autant qu’un responsable d’entretien des bâtiments publics. Une déconvenue pour les recrues de l’industrie textile, souvent mal informées sur ce qu’ils toucheront.

A ceci s’ajoute le fait que les salariés sont dans l’impossibilité de trouver des logements à proximité des usines, et courent le risque d’être rançonnés, parfois par bus entiers, dans les allers-retours vers celles-ci.



L'Ethiopie arrive en bas du classement par pays des salaries minimum dans l'industrie textile - Stern


Une réalité complexe qui conduit de nombreux employés à ne par faire long feu dans les usines. Sur le site d’Hawassa, c’est ainsi 100 % du personnel qui aurait changé entre 2017 et 2018. Ce qui, outre un nivellement de l’expérience par le bas, pousse vers le haut les coûts et délais de formation des équipes. Délais qui seraient en moyenne réduits à deux semaines d’apprentissage avant de rentrer dans le rythme de production. Une réalité qui a déjà poussé les employés d’Hawassa au débrayage, pour protester contre le manque d’instructions reçues quant à leurs rôles respectifs.

Ces difficultés en cachent une autre, encore plus problématique : le choc culturel entre salariés africains et managers venant de l’étranger, et en particulier du Sud-Est asiatique. Une réalité sur laquelle s’était penché en 2015 un reportage de France 2. « En Inde, ça crie en permanence (dans les usines textiles, ndlr), car il est dit que si l’on ne crie pas, les gens ne travaillent pas. En Ethiopie, ce n’est pas acceptable », explique à Stern un manager indien d’Hawassa, soulignant qu’élever la voix est localement jugé particulièrement insultant, et non sans conséquences sur la production.

Un coût du travail plus cher qu'attendu

De cet ensemble d’éléments ressort une conclusion : la production textile éthiopienne « coûte considérablement plus chère que ce que le gouvernement a initialement prétendu », selon Enterprise Community​ Partners, ONG britannique travaillant localement pour les droits des travailleurs. Et là où l’on aurait pu les croire acides envers une main d’œuvre locale moins efficace qu’espérée, les manageurs eux-mêmes désignent la pauvreté des employés comme le premier frein au succès des centres de production.


les ouvriers textiles éthiopiens touchent en moyenne 26,6 dollars par mois, contre 340 en Turquie et 326 en Chine - Stern


Au-delà de l’Ethiopie, ou même de la pauvreté dans laquelle les produits textiles sont très largement produits à travers le monde, ce rapport de Stern rappelle une nouvelle fois la nuance entre prix et compétitivité. Un point sur lequel l’Institut français de la mode (IFM) s’était penché l’an passé, relevant notamment que la Chine demeurait, malgré ses coûts plus importants que par le passé, plus compétitive que ses concurrents en raison d’un rythme de production supérieur.

Une donnée que confirmait récemment Frank Weiand, de la Chambre de commerce américaine au Vietnam. Une relativisation de la place du salaire dans le choix des pays de production qui s’effectue en parallèle d’un appel de l'HONG umain Rights Watch à en finir avec la course aux prix dans le textile.

Le groupe Calzedonia inaugurait fin 2018 sa première usine en Ethiopie, annonçant qu’elle emploierait 1 500 personnes à l'horizon mi-2019. Il s'agit là de la dernière grande opération en date effectuée localement, après l’annonce faite par le gouvernement de deux nouveaux parcs industriels dédiés à l’habillement. Le groupe H&M fut déterminant dans la désignation de l’Ethiopie comme nouvelle oasis de production à bas coûts, avec des ambitions affichées depuis de début de la décennie.
 

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