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Face aux crises, les enseignes de mode testent de multiples réponses

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29 juin 2022

Luttant contre l’inertie qui plombe parfois les grandes entreprises, les enseignes de mode s’astreignent à une nouvelle gymnastique consistant à ‘expérimenter, tâtonner, se tromper, puis re-tester. L’objectif? Pérenniser leur activité et se projeter dans le futur en amortissant au mieux les bouleversements actuels (Covid-19, guerre en Ukraine, inflation…) et en épousant les nouvelles attentes des consommateurs. "Crises mondiales, réponses locales: quels enjeux pour le commerce?", tel était le thème central dicté par l’Alliance du Commerce pour sa journée annuelle de débats, qui a réuni le 29 juin les dirigeants de chaînes d’habillement françaises à la Maison de la Chimie, à Paris. Morceaux choisis.


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Si la crise sanitaire a entraîné "des restructurations et la suppression de milliers d’emploi dans le secteur", Christian Pimont, le président de l’Alliance du Commerce, constate qu’elle a également "accéléré la transformation des enseignes, qui ont su innover rapidement". Le mot qui revient sur toutes les lèvres est bien le client, qui doit plus que jamais être au centre des attentions. D’autant plus dans un contexte actuel d’inflation, où les achats textiles sont davantage susceptibles d’être une variable d’ajustement dans le budget des Français. Ainsi, en mars 2022, 36% des consommateurs ont indiqué envisager de réduire leur budget mode, soit 6 points de plus qu’en décembre 2021, livre Hélène Janicaud, directrice du pôle mode chez Kantar Worldpanel.

Pour rencontrer et attirer les clients, la proximité est un enjeu majeur. Géographiquement d’abord. Kiabi multiplie par exemple les formats pour s’offrir de premiers points de contact en centre-ville, en région parisienne, alors que Gémo s’installe chez Intermarché pour toucher de nouveaux clients sans ouvrir de nouveau magasin. "Les grandes enseignes cherchent à construire un réseau plus capillaire, pour se rapprocher des gens", observe Philippe Moati, cofondateur de l’ObSoCo (Observatoire société et consommation), qui rappelle que la proximité se décline aussi sur les plans fonctionnel et émotionnel. "Dans le commerce, l’avenir c’est de s’orienter vers des modèles serviciels, qui fournissent aux consommateurs des effets utiles, et plus uniquement des produits. Il faut expérimenter des modèles de rupture", encourage-t-il.

Lancer le "Vinted de la chaussure"



Ne plus seulement vendre, mais être porteur de solutions, voilà donc une des pistes que testent des marques de mode. Dans un souci de circularité, Bocage (groupe Eram) expérimente depuis 2018 un service de location, dont Hubert Aubry, le directeur de la stratégie et des nouveaux développements du groupe, avoue avoir été surpris du succès. La marque de souliers s’est depuis convertie à la seconde main, tout comme sa consœur Eram. "En septembre, le groupe lancera son "Vinted de la chaussure": une plateforme de revente consacrée à nos enseignes dans un premier temps, mais qui à vocation par la suite à s’ouvrir à d’autres marques", annonce-t-il.

De son côté, Franck Poillon, le directeur général de Jules, reconnaît que les corners seconde main installés en magasin n’ont pas été "un franc succès". Il indique chercher le bon sillon pour délivrer ce service à sa clientèle sans qu’il devienne "un nouvel outil de surconsommation". Depuis trois ans, Jules -qui a fusionné avec Brice- tente de "sortir d’une logique de masse pour remettre du sens dans le produit", selon les mots de son dirigeant. Les axes de travail? Acheter beaucoup moins d’articles, compresser les stocks, géolocaliser l’offre selon les magasins et maximiser la durée de vie des vêtements.


De gauche à droite, Karine Vergniol (animatrice), Franck Poillon (Jules), Hélène Janicaud (Kantar, Hubert Aubry (Eram), Elisabeth Cunin (Kiabi) et Grégoire Duforest (IDKids). - MDeslandes/FashionNetwork


Grégoire Duforest, PDG d’IDKids (Okaïdi, Jacadi…), affirme que le modèle évènementiel, et donc temporaire, est celui qui fonctionne le mieux pour ses enseignes, tandis qu’Elisabeth Cunin, présidente de Kiabi, rapporte quant à elle des problèmes de qualité de l’offre d’occasion. "Nos corners permanents en point de vente fonctionnent bien, mais on bute sur le sujet de la collecte", expose-t-elle.

Les enseignes s’investissent également pour une production moins néfaste pour la planète. IDKids a travaillé avec le Ceti (centre européen des textiles innovants) pour mettre au point un tee-shirt composé de 60% de coton recyclé, Eram va lancer à la rentrée une basket made in France composée de matières recyclées, qui sera consignée. "Avoir encore deux usines en France a été un poids par le passé, mais c’est aujourd’hui un atout formidable", appuie Hubert Aubry. Jules, de son côté, s’est fixé le cap d’atteindre 25% de sourcing proche d’ici 2025. Cela passe notamment par la mise en route cette année d’une usine de jeans dans le Nord, dont le premier modèle devrait sortir en septembre.

Acquérir des marques pour prendre des parts de marché



Autre stratégie à l’œuvre dans le paysage mode français, celle du groupe maloin Beaumanoir (Cache Cache, Bonobo, Morgan…), qui multiplie les rachats: La Halle et Caroll ayant rejoint son portefeuille ces deux dernières années. Son dirigeant Roland Beaumanoir dit s’adapter "à la tendance baissière du marché du prêt-à-porter en prenant des parts de marché". Son parc global rayonne tous azimuts, en périphérie, en centre-ville et centre commercial. Des mutualisations s’opèrent entre les marques, avec par exemple un sourcing commun, même si elles conservent "leur propre marketing".

Concernant les forces vives, Christian Pimont souligne également l’impératif besoin de changer d’approche vis-à-vis des salariés pour endiguer les problèmes de recrutement. "Nous n’avons pas encore trouvé la solution pour redonner envie de travailler avec nos enseignes. Je pense qu’il y a des efforts à faire du côté de la formation et de l’autonomie à donner au sein des entreprises", avance-t-il. Hubert Aubry souligne en outre que le manque de main d’œuvre de production "limite le développement" de ses usines de chaussures, qui lancent d’ailleurs des lignes de fabrication textile.


Caroll, collection du printemps-été 2022


En dehors de leur expertise mode originelle, certaines chaînes et groupes de mode s’immiscent sur d’autres créneaux plus porteurs. A l’image de Beaumanoir qui a développé depuis 2002 une solide activité de logisticien, pour ses enseignes et des marques tierces, mais aussi du groupe Eram qui a lancé il y a deux ans une agence de conseil en maîtrise de l’énergie pour les entreprises du retail. "C’est une piste que l’on explore en s’appuyant sur notre savoir-faire d’exploitant de réseau", justifie Hubert Aubry.

Autre diversification pour le groupe Eram, la restauration. Il n’hésite pas à baisser le rideau de certains de ses magasins de chaussures pour y ouvrir à la place des restaurants en franchise (Colombus Café et Pitaya). Dix adresses sont déjà validées, tandis que le dirigeant annonce 50 ouvertures à horizon 2025. "A Bordeaux, on a fermé une boutique Texto pour y installer un restaurant, qui affiche déjà un chiffre d’affaires deux fois plus élevé, sans parler de la rentabilité". Avec ses différentes expérimentations, le groupe prend un virage, passant d’un spécialiste de la chaussure et du vêtement à "un acteur du commerce et des services", comme le définit Hubert Aubry.

"Repenser le ‘temps long’ face à la dictature de l’urgence"



Pour reprendre un peu de hauteur, Jérôme Fourquet (IFOP) a dressé à la tribune le portrait d’une France extrêmement fragmentée, à l’image des résultats des récentes élections législatives. Il prédit de possibles mouvements sociaux en septembre, dans un contexte de contraction du pouvoir d’achat. "La classe moyenne n’arrive plus à suivre les cadences de consommation imposées par notre société. Si elle n’a plus le pouvoir de choisir ce qu’elle veut acheter, c’est un sentiment de déclassement qui s’installe".

Concluant son intervention, Jérôme Fourquet insiste sur la nécessité pour les acteurs économiques de "bien repenser le ‘temps long’ face à la dictature de l’urgence" qui régit les périodes de chocs majeurs. En ce sens, la crise a permis d’ouvrir les yeux sur la désindustrialisation du pays et accéléré la prise de conscience environnementale. "La reprise en main de nos destins se dessinera par un projet d’avenir commun". Un mantra qui s’applique à l’échelle de la société polarisée, mais concerne évidemment les entreprises de mode.

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