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7 mars 2019
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Frank Boehly (Conseil National du Cuir) : "J'ai quelques réserves sur le financement du contrat de filière"

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7 mars 2019

Quelques semaines après la signature du contrat stratégique de filière "Mode et Luxe", FashionNetwork.com a rencontré Frank Boehly, président du Conseil national du cuir, qui représente un secteur de 9 400 entreprises générant annuellement 25 milliards d’euros, dont 10,6 milliards à l’export. Une filière satisfaite d’être reconnue par les pouvoirs publics, mais qui s’interroge sur le financement du projet commun, sur fond d’abaissement du financement du Centre technique du cuir par Bercy (via les taxes affectées) et de prudence quant à la réforme de la formation professionnelle (OPCA).


Frank Boehly - CNC


FashionNetwork.com : Quel regard portez-vous sur la récente signature du contrat stratégique de filière "Mode et Luxe" ?

Frank Boehly : Nous le voyons de façon très positive. Déjà car nous avons été identifiés par le gouvernement comme un pilier de l’industrie, de par nos produits que les leaders mondiaux du luxe exportent. C’est donc extrêmement important que le cuir soit intégré dans ce contrat. Nous avons beaucoup de points communs avec nos amis de la mode, bien qu'ils soient eux identifiés comme représentants de la filière. Certaines de ces entreprises réalisent beaucoup de leurs ventes via le cuir. Nous allons travailler ensemble, et avons identifié un certain nombre de projets sur lesquels travailler. Même si la faisabilité, sur certains points, pose encore question. Car mettre les projets sur la table ne signifie pas forcément que l’on sait comment les mener à terme.

FNW : Quel projet vous semble le plus complexe ?

FB : Il y a de nombreux projets, mais j’en retiens notamment un, qui est la traçabilité. J’ai beaucoup insisté pour que ce projet soit distinct entre le cuir et l’habillement, car nous ne sommes pas sur les mêmes sujets. Via le Centre technique du cuir (CTC), nous sommes déjà très avancés sur la traçabilité de la peau. Car il est primordial pour les maisons de luxe de pouvoir raconter l’histoire de la matière. Donc, alors que certains parlent d’origine des produits, nous, nous parlons d’origine des matières. C’est de fait un sujet sur lequel nous allons être très mobilisés. Même si j’ai quelques réserves, et je suis modéré dans mon expression, sur le financement du contrat de filière.

FNW : Des réserves d'ordre budgétaire ?

FB : Dans nos fédérations, tout revient toujours au financement. Et, dans ce cas particulier, à la taxe affectée. Nous sommes identifiés par l'Etat ; fort bien. Qui finance le projet commun ? Les filières industrielles, qui, dans le même temps, sont privées par l’Etat d’une part de leurs ressources. Le CTC a perdu 820 000 euros de ressources via le projet de loi de finances. Et, pour participer au comité stratégique de filière, on nous demande 500 000 euros supplémentaires C’est donc 1,32 million d’euros qu’il va falloir retirer au CTC, qui mène les actions de la filière cuir. Cela pose un réel problème. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les professionnels italiens ne sont pas traités de la même façon, les pouvoirs publics locaux étant beaucoup plus clairvoyants sur la façon dont on développe une industrie. En l’aidant, pas en coupant ses ressources. Je suis enchanté par ce contrat. Mais je voudrais que les actes suivent les paroles. A défaut de nous aider comme le fait l’Italie pour sa filière cuir, qui pèse 90 milliards d’euros, contre 150 milliards en France, qu’a minima on ne diminue pas nos ressources.

FNW : Que pensez-vous du projet d’accompagnement des entreprises ?

FB : L’une des démarches transversales est effectivement l’identification d’un certain nombre d’entreprises qui doivent être soutenues par la filière pour se développer. J’y suis d’autant plus sensible qu'avec Au-Delà du cuir (ADC, organisme d'aide aux jeunes créateurs travaillant le cuir, ndlr), nous avons déjà créé une structure dont c'est le rôle, et qui accompagne les entreprises pendant trois ans. Ce projet transverse me semble donc positif. Bien que confier à la Banque publique d'investissement (BPI) le soin d’accompagner ces entreprises, cela ressemble à choisir un organe trop important par rapport à la cible. Car les TPE ne sont pas vraiment dans le radar de la BPI, qui a plus l’habitude de suivre des structures plus massives. Il y a donc peut-être un outil plus à l'échelle que la BPI à mettre sur ce projet. Même si réussir à intéresser la BPI aux TPE serait vraiment une bonne chose.

FNW : La réforme des OPCA et de la formation professionnelle reste-t-elle une inquiétude ?

FB : C’est une réforme essentielle, et qui inquiète tout le monde. Car personne n’y voit clair. Les industriels ont cette obsession compréhensible de savoir où ils vont. Globalement, nous pensons que la démarche est positive. Confier aux branches professionnelles les moyens de mettre la formation sur pied, cela paraît pertinent. Nous sommes plutôt favorables à la démarche. Mais nous avons beaucoup d’interrogations sur la mise en place. Et nous espérons que la période de transition ne nous sera pas défavorable.
 

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