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1 juin 2021
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Geoffrey Bruyère (Bonne Gueule) : "Actuellement, il faut savoir être très pragmatique"

Publié le
1 juin 2021

Née sous la forme d'un blog de conseils en style pour homme en 2007 et active en tant que label de mode depuis 2014, Bonne Gueule fait partie des marques nées sur internet (aussi appelée DNVB) pionnières en France. Un modèle dont les caractéristiques de poids du e-commerce dans les ventes, de transparence et de force de la communauté ont été louées ces derniers mois face aux répercussions de la pandémie de Covid-19 sur le commerce et la distribution de produits mode. Preuve de cette dynamique, Bonne Gueule annonçait une levée de fonds de 6,5 millions d’euros alors qu’était mis en place le premier confinement dans l’Hexagone. Pour autant, l’année qui vient de s’écouler n’a pas été de tout repos pour Benoît Wojtenka et Geoffrey Bruyère, les cofondateurs de la société. S’ils viennent d’ouvrir à Lille leur cinquième boutique et projettent de nouvelles inaugurations dans les grandes villes françaises, ils ont aussi dû s’adapter à cette période complexe. Pour FashionNetwork.com, Geoffrey Bruyère analyse les mutations observées ces derniers mois et précise les ambitions de la marque, qui vise les 10 millions d’euros de chiffre d’affaires.


Geoffrey Bruyère, cofondateur de Bonne Gueule - Bonne Gueule


FashionNetwork.com : Entre la fermeture de vos quatre magasins et la montée en puissance de l’e-commerce, comment avez-vous traversé l’année écoulée?

Geoffrey Bruyère :
Si nous avions été uniquement sur le web, nous aurions fait de la croissance. Mais pour la première fois, nous n’avons pas pu progresser. C’est lié à plusieurs facteurs. D'abord parce que nous avons dû fermer le réseau physique très longtemps. Et concrètement, nous n’avons pas constaté un report de la clientèle des boutiques vers le web. Ces clients reviennent lors de la réouverture. Ensuite, dans la construction de notre offre, la catégorie outerwear (vêtements d'extérieur, ndlr) a toujours été importante, avec le soin que nous apportons à choisir les coupes et les matières. Mais nous avons des clients qui sont dans une approche assez utilitariste du vêtement. Ils aiment choisir une belle pièce quand ils savent qu’ils vont pouvoir la porter. Avec les confinements, l’outerwear n’étaient pas une priorité. Enfin, le troisième phénomène qui a joué contre nous en 2020 était que nous avons eu des retards de livraison sur des pièces saisonnières. Au final, nous allons oublier 2020 et plutôt comparer nos performances à 2019.

FNW : Quel impact avez-vous observé sur les comportements des consommateurs?

GB :
Jusque-là nous avons proposé des nouveaux produits à notre communauté avec des lancements réguliers. Mais je constate qu’il y a une forme d’érosion de l’effet de lancements mensuels. Il est très compliqué de susciter l’intérêt sur des produits régulièrement. Je ressens moins une attente de la part des clients. Et je pense qu’il est compliqué de constamment étonner, de reprendre la parole et d’être audible.
 
FNW : Et côté style, est-ce que la période modifie votre approche de la marque?

GB :
En réalité, pas mal de choses ont changé. Tout le monde le constate, le costume régresse. Mais la veste type workwear ou militaire prend le rôle de nouveau blazer. Il y a une attente de plus de confort et d’aisance. Nous avons adapté plusieurs choses, comme par exemple sur les pantalons auxquels nous avons apporté des fermetures cordon et des bandes élastiquées à la ceinture. Cela permet de le twister avec une flanelle, une laine seiche. Clairement cela permet de sauver cette catégorie.

Nous voyons aussi qu’il y a une bonne réponse sur ce qui est jeans légers, auxquels nous apportons de l’élasthanne pour plus de souplesse. Sur le polo, nous optons pour des tricotages en mérinos et avec moins de jauges fines. Nous cartonnons aussi avec les chaussettes qui sont en mélange de laine de chameau. Il y a un plaisir autour d’un certain cocooning de luxe. L’apport de singularité grâce à l’expertise de Benoît avec ce côté défricheur de matières, comme la laine de Yak ou de chameau, reste très important. Tout le challenge pour nous est d’arriver à développer ces produits "superkiffants" pour les personnes qui nous suivent depuis longtemps, mais sans paraître geeks ou lunaires pour des personnes qui découvrent Bonne Gueule.
 
FNW : Cet aspect expert du produit est véhiculé par la partie média de Bonne Gueule. Est-ce toujours un pôle important?

GB :
Le média a toujours permis d’avoir un lien fort avec la communauté. Pendant l’année écoulée, les gens ont surconsommé du média mais pas forcément de la mode. Nous avons quand même reçu beaucoup de messages de soignants, qui nous disaient lire Bonne Gueule pour décompresser. C’était valorisant d’apporter cette bonne humeur. Maintenant, nous allons évoluer. Nous allons procéder à un renforcement des contenus sur les sujets RSE. Ce sont des thèmes présents dans les produits mais trop peu dans nos sujets. Nous devons aussi animer la communauté avec des jeux, des événements, sans changer le contrat de lecture. Pendant longtemps, nous avions deux environnements pour le média et la marque. Nous changeons de technologie avec une approche "headless" (qui permet une rapidité d’affichage des pages et simplifie les solutions omnicanales, ndlr). Nous allons déployer une plateforme fondue, avec un univers unique, d’ici la fin de l’année.
 
FNW : Il y a un an, lors du premier confinement, vous avez annoncé l’entrée du fonds Generis avec un tour de table de 6,5 millions d’euros. Comment s’est déroulée cette ouverture de capital dans un contexte particulier?

GB :
Nous avions déjà Bpifrance au capital et nous avons toujours été accompagnés par Delphine Le Mintier (NDLR : directeur des investissements mode et luxe). Nous avons eu accès à des formations et des financements. Bpifrance, c’est un énorme portefeuille de services. Avec Generis, c’est un partenaire plus classique. Mais on s’est sentis soutenus car nous avons "closé" l’accord et il n’a jamais été question d'une renégociation pour une baisse d’engagement face au contexte. Ensuite, même s’ils ont des investissements dans d’autres acteurs pour qui la période a pu être moins délicate, ils étaient à l’écoute de notre analyse. En fait, nous avons beau rester majoritaires, avec des investisseurs au capital, on se sent tenus de rendre des comptes. Et c’est très positif. Cela permet de voir les points clés, de faire mieux, de peaufiner. Ces échanges mènent sur les voies prioritaires.
 
FNW : Justement, vous faites en sorte d’être transparents sur votre activité. Vous écriviez à vos lecteurs et clients que, durant la période, il fallait être autant tactique que stratégique. Qu’est-ce que cela signifie?

GB :
En tant qu’entrepreneur, tu dois avoir une vision stratégique sur ton modèle, sur le fait d’identifier tes valeurs, sur quel est l’horizon et quelles sont tes ambitions à deux ou trois ans. Mais c’est une approche de gros bateau. Et actuellement le marché change tous les mois, toutes les semaines. Il faut aussi savoir être très pragmatique, saisir les opportunités. Par exemple, nous avons eu une opportunité pour un emplacement de boutique à Nantes. Cela n’était pas dans notre plan initial mais si le projet est canon. Il faut s’adapter.

FNW : Vous avez levé plusieurs millions d’euros, vous dépassez les cinquante personnes dans l’entreprise... Bonne Gueule n’est plus vraiment une start-up. Qu’est-ce que cela change?

GB :
Sur ce plan, nous avons eu le double effet de grandir et de faire face à la période Covid. Avec le télétravail, il y a eu la question du travail des équipes et de l’intégration des nouvelles recrues. Nous avons constaté que certains projets complexes avançaient rapidement au sein de services, mais que parfois les projets les plus simples concernant plusieurs pôles bloquaient. Pour ma part, j’étais partagé entre les sujets micro et macroéconomiques et je voyais certains projets ne pas avancer. Il fallait réinventer l’organisation. S’il n’y avait pas eu le coronavirus, cette question de la transversalité aurait été gérée en amont. Là, nous avons recruté un DRH, un directeur des opérations, des personnes qui recréent le liant et les points de contact. Cela permet à Benoît de se concentrer sur la direction de la création sur le média et le vêtement. De mon côté, je cède ma casquette marketing pour me concentrer sur les questions de process et de finance.

FNW : En ce qui concerne les boutiques, vous venez d’ouvrir un magasin à Lille. Mais le projet a pris plus d’un an de retard entre les travaux et les périodes de confinement. Cela ne vous a pas refroidi sur le fait d’investir dans le commerce physique?

GB :
Nous avons toujours eu la vision d’un rôle important des boutiques pour Bonne Gueule. Le plus "challengeant" est de parvenir à la déployer. Nos boutiques fonctionnent bien. Ces derniers mois, lorsqu’elles étaient ouvertes, elles étaient rentables. Dans le cas de Lille, nous n’avions bien entendu pas prévu de lourds travaux face à un problème d’humidité et nous ne pouvions pas prévoir les confinements. Mais c’est l’enseignement: le retail, c’est complexe. Pour autant, nous avons foi dans le retail de mode. Mais pas dans le retail standardisé au prix surchargés. Quand tu proposes des vêtements avec de belles matières, quand tu veux être expert en pédagogie, le conseiller de vente a un rôle primordial. Nous avons trouvé notre manière de fonctionner avec une relation en one to one. Mais pour que cela fonctionne, il faut des boutiques dans les meilleurs emplacements en centre-ville et nous pensons que le lieu doit aussi raconter l’approche de Bonne Gueule. Dans la boutique, nous introduisons les notions d’écoresponsabilité, nous travaillons avec des entreprises du patrimoine vivant sur la déco, nous faisons de l’upcycling des chutes de production de nos vêtements avec l’artiste Jeanne Goutelle, qui a réalisé nos cabines d’essayage.

FNW : Tout cela coûte plus cher…

GB :
En effet, beaucoup plus, car ce sont des savoir faire. Mais au final cela soutient et pousse le concept.

FNW : Vous comptez le déployer dans d’autres villes?

GB :
Nous voyons que nous sommes attendus dans d’autres villes au potentiel encore plus important que Bordeaux, où tout se passe bien. Nous sommes parvenus à négocier plusieurs emplacements pour entrer dans nos budgets. Nous avons signé la meilleure boutique de Nantes, rue Crébillon. A Rennes, nous allons nous installer à la place de la boutique Hermès (fermée en septembre dernier au 6, rue Lafayette) et à Strasbourg nous serons à quelques mètres du parvis de la cathédrale. Ces magasins ouvriront au second semestre.

FNW : L’un des projets réactivé est aussi la construction d’une offre de prêt-à-porter féminin. Quelle est votre approche?

GB 
: Nous avons réalisé de très beaux tests sur le féminin. Des femmes nous lisent et nous relancent pour cette offre. Nous allons progressivement apporter des pièces du vestiaire et nous recrutons pour constituer le pôle du design féminin. L’ambition est de proposer d’ici deux ans une collection complète. Au niveau du style, l’idée est de proposer un vestiaire pour une femme qui ne sera pas garçonne. C’est une femme moderne, féministe, qui veut être habillée sexy, comme les mecs veulent être virils. Nous regardons les Sessùn, Bellerose ou Mister K pour le côté femme affirmée, voire APC ou North pour l’épure. Nous allons travailler le twist matières. Nous avons envie de faire découvrir la laine mérinos extra-fine, le selvedge très souple stretch, la laine de yak ou de chameau, le tout avec une forte logique de label. Je crois que les clientes souhaitent être encore plus être rassurées là-dessus.

FNW : C’est la raison de votre démarche pour être certifié B Corp?

GB :
Nous travaillons depuis des années sur ces questions de l’origine des matières. Nous nous faisons accompagner pour obtenir ce label. Honnêtement, en termes d’exigences, il n’y a rien de plus lourd. Cela pose les questions de l’évolution du cahier des charges fournisseurs et des relations. Pour nous, cela vient consolider l’image que nos clients ont de Bonne Gueule et permet d’avoir un coup d’avance sur nos concurrents.
 
FNW : Quels sont vos objectifs de chiffre d’affaires?

GB :
Notre ambition est de dépasser les 10 millions d’euros en 2021. Et pour la femme, l’objectif est qu’elle représente d’ici trois ans, la moitié du chiffre d’affaires de Bonne Gueule.
 
  
 
 

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