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19 nov. 2021
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Handicap: la mode, un secteur pas si inclusif

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19 nov. 2021

Ce dimanche 21 novembre s'achève la 25ème édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH). Placée sous le haut patronage du président de la République Emmanuel Macron, cette semaine, qui s’inscrit dans un contexte particulier de relance économique, vise à favoriser les rencontres entre entreprises, politiques ou encore associations et les demandeurs d’emploi en situation de handicap. A l’heure où la mode a fait de l’inclusivité son nouveau cheval de bataille dans ses campagnes médias (à égalité avec l’écoresponsabilité), la réalité dans les bureaux et les ateliers du secteur n’est pas encore à la hauteur de la communication. L’intégration dans l’emploi des personnes handicapées reste encore un sujet tabou.  


Campagne de communication de la Semaine Européenne pour l'emploi des personnes handicapées. - DR


En France, ce sont 12 millions de personnes qui sont touchées par un handicap, dont 80% par un handicap invisible. Accidents de la vie, malformations congénitales, maladies chroniques ou dégénératives, déficience intellectuelle, ces statistiques qui concernent un Français sur cinq soulignent des situations très disparates, mais souvent les mêmes difficultés d’accession à l’emploi. En effet, sur les 2,7 millions de personnes en situation de handicap en âge de travailler, moins de la moitié exerce une activité.

Pourtant, depuis 2005, la loi impose à toute entreprise d'au moins 20 salariés d’employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6% de l'effectif total. En deçà, les entreprises s’exposent à une taxe pouvant aller de 4.000 à 6.000 euros par an par salarié manquant. Une contribution versée par les entreprises du secteur privé à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

Des dispositifs pour favoriser l’intégration des personnes handicapées



"Souvent c’est en fin d’année, quand les patrons voient sur les bilans comptables l’argent qui part, qu’ils commencent à se poser des questions sur les moyens d’agir", explique avec une pointe d’humour Isabelle Journo, en charge des relations presse des Papillons de Jour. Fondée en 2010 par Katia Dayan, cette agence de communication globale est également une entreprise adaptée (EA), c’est-à-dire une entreprise du milieu ordinaire qui emploie au moins 80% de travailleurs handicapés.

Pour permettre cette fameuse 'inclusion" dans l'emploi des personnes handicapées, un certain nombre de dispositifs existent. Outre l’emploi direct encore trop rare, les entreprises peuvent faire appel à des structures qui emploient des salariés handicapés. En d’autres termes, elles peuvent sous-traiter, et dans la foulée déduire jusqu’à 50% du montant de leur contribution Agefiph. C’est notamment le cas lorsqu’elles font appel à une entreprise adaptée comme Les Papillons de Jour et ou encore aux établissements ou services d'aide par le travail (ESAT). Il en existe environ 1.500 en France.


Dimitri Painçon, un des mannequins de Celio - DR


L’enseigne Etam, dans le cadre de son programme RSE "We Care", et plus précisément de son projet "Petit geste, joli soutien" qui vise à offrir une seconde vie à ses soutiens-gorge rapportés en magasins, travaille ainsi avec un ESAT, celui des Ateliers de Jemmapes, où sont triés les articles rapportés en boutiques.

La marque française d’accessoires de mode conçus à partir de matières recyclées La Vie est Belt collabore pour sa part avec l’atelier AlterEos à Tourcoing, où trois salariés en situation de handicap confectionnent les ceintures à partir de rebus de pneus. La griffe Petit Bateau fait quant à elle appel à des ESAT pour ses plateaux repas et l’entretien de ses espaces verts à son siège social.

Enfin, dans le cadre de sa plateforme Be Normal qui se décline en campagne de communication et en collection capsule, l'enseigne de mode masculine Celio a choisi parmi les mannequins présents sur son e-shop Dimitri Painçon, un jeune homme de 27 ans porteur de trisomie 21 représenté par les agences parisiennes Wanted Models et Smith & Smith.
 

Des entreprises encore très réticentes



En matière d’emplois directs, les sociétés du secteur se font plus discrètes et la plupart de celles que FashionNetwork.com a contactées n’ont pas donné suite aux sollicitations. Le groupe spécialiste de l’enfant ÏdKids (Jacadi, Okaïdi…) a pour sa part mis en place il y a un an une équipe de relations humaines dédiée mais s’exprimera l’année prochaine à ce sujet "lorsque les avancées seront suffisantes".  

En 2019, le réseau retail de Petit Bateau a recruté onze personnes ayant la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Si ce nombre est encore faible, le réseau français employant environ 450 personnes, la marque mène de vastes actions pour améliorer sa politique de recrutement mais aussi pour sensibiliser en interne aux questions du handicap.

"Toutes nos annonces d’emplois sont accessibles aux personnes en situation de handicap et, pour les faire circuler, nous travaillons avec Mission Handicap et l’Agefiph. Cinq mardis par an, nous participons également au Mardi du Handicap, une sorte de 'jobdating' avec des personnes reconnues RQTH", détaille Anaïs Martin, responsable retail RH de Petit Bateau, qui chapeaute notamment le recrutement pour 110 magasins français. Pour cette spécialiste des relations humaines, c’est surtout aux entreprises de s’adapter à la situation des futurs salariés. "Avec notre réseau, nous avons la possibilité de nous adapter, donc si nous avons un candidat qui a besoin de s’assoir régulièrement, nous allons privilégier une boutique plutôt grande qui dispose d’une salle de pause", précise Anaïs Martin.


Petit Bateau mène des opérations de sensibilisation au handicap au sein de réseau retail - Petit Bateau


Accompagné d’Aviséa, un cabinet de conseil spécialisé sur les thématiques du développement RH, de la diversité et du handicap, le label Petit Bateau mène des campagnes de sensibilisation au handicap en interne et a également mis en place une ligne téléphonique d’information pour les collaborateurs qui souhaitent poser des questions de façon anonyme. En effet dans le cadre d'une entreprise où la performance reste une notion centrale et la concurrence est fréquemment présente les salariés n'osent pas parler de leur handicap par peur notamment de perdre leur légitimité. " Parler à son manager des difficultés qu'on rencontre constitue souvent une véritable barrière. C’est pour cette raison que nous avons instauré cette ligne téléphonique qui renvoie à un conseiller d’Aviséa, même si nos collaborateurs ont la possibilité de nous joindre directement pour être aidés, par exemple pour obtenir la reconnaissance RQTH."

La reconnaissance du statut de travailleur handicapé reste donc centrale mais souvent complexe comme l’explique Marie Vasseur, assistante sociale: "Dans le parcours d’accès à l’emploi, la difficulté commence dès la demande de RQTH qui est déposée auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Elle est donc d’abord d’ordre administrative. Ensuite, pour accéder vraiment au marché de l’emploi, il faut passer par des organismes spécialisés comme Cap Emploi".


Pour apporter de la visibilité à l'édition 2021 de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, l'agence les Papillons de Jour a fait appel à des personnalités comme ici Alessandra Sublet - Instagram


La nécessité de sensibiliser



Une fois un emploi trouvé, le poste de travail doit parfois être adapté. Une adaptation qui a un coût pour l’employeur, même si selon Marie Vasseur cela ne devrait pas être à frein à l’embauche. "Évidemment que l’adaptation d’un poste de travail pour une personne en fauteuil, par exemple, ou une personne atteinte d’une maladie dégénérative a un coût. Mais dans cette démarche, les entreprises sont soutenues, ils existent des aides financières notamment disponibles auprès de l'Agefiph", indique-t-elle.

Parler du handicap directement au sein des entreprises apparaît comme l’une des solutions pour délier les langues et in fine aboutir à une meilleure intégration des salariés en situation de handicap. "Nous menons très régulièrement des opérations de communication interne axées sur la sensibilisation au handicap, notamment pour sensibiliser sur ce qu’est exactement le handicap. Nous l’avons fait pour Etam il y a deux ans, mais aussi pour Sandro, Foot Locker ou chez Calzedonia. Même le monde du luxe est concerné, et nous avons mené des opérations chez Azzedine Alaïa", explique Katia Dayan présidente et fondatrice des Papillons de Jour.  

A l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, l’agence de communication a même lancé un tee-shirt orné d’un message: "Handicap, on dit Cap". De son côté, Petit Bateau déploiera en 2022 une formation e-learning pour accompagner le réseau de vente sur les comportements à adopter dans l’accueil de collaborateurs en situation de handicap mais aussi pour accompagner les clients de l’enseigne.

Dans un contexte de crise sanitaire encore difficile et qui a particulièrement impacté les personnes handicapées, les jeunes en tête, il apparaît plus que jamais nécessaire de parler du handicap. Informer les futurs salariés de leurs droits mais aussi les potentiels employeurs est l'un des chemins qui permettra de faire tomber efficacement les barrières à l'embauche. 


 

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