Publicités
Par
AFP
Publié le
12 mai 2014
Temps de lecture
4 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Inde: la survie des tisserands de soie ne tient qu'à un fil

Par
AFP
Publié le
12 mai 2014

Vârânasî (Inde), 12 mai 2014 (AFP) - Les saris de Bénarès symbolisent l'élégance vestimentaire depuis des siècles. Bouddha lui-même aurait été enveloppé à sa mort dans un brocart de soie brodé à la main dans la capitale spirituelle de l'Inde, selon une légende locale.

Photo : AFP


Pourtant la survie des tisserands de la ville, connue aussi sous le nom de Varanasi, ne tient plus qu'à un fil.

Les artisans craignent la disparition de leur artisanat d'ici une génération sous les coups de butoir de la fabrication industrielle et de la concurrence chinoise, si l'Etat n'intervient pas. Au point d'en faire un enjeu local des élections législatives marathon en cours dans le pays et qui se tiennent lundi à Bénarès.

"Je fais ce métier depuis plus de 40 ans et mes ancêtres l'ont pratiqué pendant environ 250 ans avant moi", explique Sardar Hafizullah, en tissant un sari vert et or dans sa maison de la vieille ville.

"Mais cela semble être un art qui se meurt. Seuls des gens comme moi le perpétuent", ajoute l'homme, âgé de 65 ans.

Varanasi, une des plus anciennes cités du monde, attire des millions de visiteurs chaque année: des hindous venant se baigner dans les eaux sacrées du Gange ou des touristes venus les regarder sur les ghats (marches) au bord du fleuve.

Mais Varanasi est également réputée pour la qualité de sa soie, fabriquée essentiellement par des musulmans qui peuvent passer 15 à 20 jours à confectionner un sari ou un foulard. Leurs créations les plus fines peuvent valoir plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Il y a dix ans, environ 100 000 métiers à tisser manuels tournaient chaque jour, mais leur nombre a diminué de plus de la moitié aujourd'hui.

"Il en reste environ 40 000", explique Amitabh, l'un des principaux exportateurs de vêtements de la ville.

"Quand on parle de cette +soie Banarasi+, on peut remonter jusqu'à Bouddha, dont elle a enveloppé le corps". "C'est un art, une culture, un patrimoine, mais c'est en voie de disparition", ajoute-t-il.

Leurs concurrents travaillant dans des usines peuvent gagner plus du double, car une partie de leur paye est indexée sur la quantité fabriquée.

"Si vous tissez à la main, vous touchez environ 200 roupies par jour, mais vous en obtenez environ 500 si vous travaillez sur un métier à tisser industriel, électrique", ajoute Amitabh.

"Tout est question de quantité. A la main, vous fabriquez un mètre (de tissu) par jour contre environ 10 mètres avec une machine".

Selon le gouvernement de l'Etat de l'Uttar Pradesh, l'industrie de la soie de Varanasi représente un chiffre d'affaires d'environ 80 millions de dollars par an, dont 20 à l'exportation.

- L'avenir passe par l'électrique -

Dans l'atelier familial, Sardar Hafizullah et ses enfants travaillent côte à côte sur des métiers à tisser à la main. Son fils de 32 ans, Fayaz, n'a guère d'illusions: "Mes enfants feront à leur guise, mais je suis presque sûr qu'ils travailleront sur des métiers électriques. C'est l'avenir".

Quelque 30 000 métiers à tisser industriels étaient recensés dans la région de Varanasi en 2009 contre 2 000 dix ans plus tôt.

Cet artisanat séculaire souffre en outre des importations de produits chinois pas chers.

"Le fil tissé chinois est devenu l'épine dorsale de l'industrie de Varanasi", explique un autre industriel local, Ratandeep Agarwal.

"La soie indienne est de plus en plus un art destiné à un public restreint qui peut se l'offrir, une "niche". Pour le grand public, il est remplacé par des produits chinois", ajoute-t-il.

Un client français a acheté récemment un foulard en soie tissé à la main 300 000 roupies (3 600 euros), raconte Bharat Khmela, qui dirige Raj Gharana, un grand magasin de saris. Mais une telle extravagance est rare.

Les produits industriels perdent leur forme et leur couleur parfois dès le premier lavage mais l'énorme différence de prix pousse les consommateurs à transiger sur la qualité, selon lui.

"Les produits faits main sont de meilleure qualité, mais ils peuvent coûter 3 000 roupies là où un produit d'usine est vendu 300", relève-t-il.

- les espoirs reposent sur Modi -

Face aux perspectives moroses, nombre d'artisans placent leurs espoirs dans le leader nationaliste hindou Narendra Modi, possible prochain Premier ministre de l'Inde, grand favori des élections législatives dont les résultats seront annoncés le 16 mai.

Briguant la circonscription de Varanasi, il a promis d'aider les fabricants locaux.

"La vie des tisserands peut être améliorée grâce à des efforts sur l'image de marque, à des améliorations technologiques et au marketing", a-t-il assuré le mois dernier.

"Si tous ces mécanismes de soutien sont mis en place, je ne vois pas de raisons pour lesquelles nos tisserands ne pourraient concurrencer les Chinois".

Son rival dans la circonscription, Arvind Kejriwal, leader du parti anticorruption Aam Aadmi, a aussi placé le sort de ces artisans au coeur de sa campagne, faisant espérer une survie de cet art séculaire.

Par Bhuvan BAGGA

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 Agence France-Presse
Toutes les informations reproduites dans cette rubrique (ou sur cette page selon le cas) sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par l'AFP. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, modifiée, rediffusée, traduite, exploitée commercialement ou réutilisée de quelque manière que ce soit sans l'accord préalable écrit de l'AFP. L'AFP ne pourra être tenue pour responsable des délais, erreurs, omissions qui ne peuvent être exclus, ni des conséquences des actions ou transactions effectuées sur la base de ces informations.