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26 janv. 2021
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La mode Made in France peut-elle être compétitive ?

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26 janv. 2021

Produire en France coûte trop cher. Le refrain est connu, et se retrouve par conséquent dans le viseur du rapport "Relocalisation et mode durable" récemment publié par le Comité Stratégique de Filière (CSF) mode et luxe. Au sein de ce document d'une soixantaine de pages, les professionnels, experts et représentants de filière dessinent les contours des modèles qui pourraient faire mettre le Fabriqué en France sur un pied d'égalité avec ses concurrents étrangers.


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Un chantier sur lequel la marge de manœuvre est dès le départ limitée, insiste le rapport. Qui souligne l'importance du geste dans les activités de confection, ce qui limite les possibilités de renforcement des productions via automatisation et robotisation, déjà observées dans le tissage et le tricotage. Une importance de l'expertise artisanale qui se traduit également dans les secteurs de la maroquinerie et de la bijouterie-joaillerie. "Le modèle 'un opérateur pour une machine' reste dominant dans la confection, alors que le coût de la main d'œuvre représente, pour la confection d'un jean par exemple, environ 70% du coût de revient, contre par exemple 40% au Maroc ou 20% au Pakistan (sans compter un prix de revient total inférieur de respectivement 42% au 63%)".

Trois scénarios sont ainsi proposés pour permettre à la mode made in France de gagner en compétitivité. Le premier, bien connu, repose sur une montée en gamme des productions. Un investissement prioritaire sur les produits nécessitant une expertise et des savoir-faire spécifiques permettant ainsi de justifier un coût du travail élevé.

La deuxième voie proposée consiste, à l'inverse, à privilégier les produits nécessitant peu de temps à confectionner. Une approche qui permettrait d'optimiser la part du coût du travail dans la structure de coût du produit. Limitant ainsi "le désavantage comparatif de la production en France".

Le troisième axe est vraisemblablement celui qui retiendra le plus l'attention des industriels. Le CSF estime que la filière tricolore doit "jouer sur les leviers de la compétitivité hors-coûts". Parmi ces leviers, le rapport évoque en exemple la réactivité. Un avantage permis par le nombre important de petites unités industrielles réparties dans l'Hexagone, et qui permettent notamment de réduire les délais de livraison pour les donneurs d'ordres.


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"C'est pourquoi un focus prioritaire sur le recours aux producteurs français pour des commandes nécessitant de la souplesse (ajustement des couleurs, matières, quantités…) ou via un double sourcing pour les besoins en réassorts des marques peut être envisagé", pointe le Comité. "Attention, un tel modèle n'apparaît viable qu'à condition de trouver un équilibre entre volume global des commandes et flexibilité du fabricant satisfait pour l'ensemble des parties".

Pour le CSF, cette logique s'inscrit au passage dans la logique d'une diminution des invendus et d'un lissage des trésoreries, via des commandes plus courtes et répétées. Plutôt que de transférer le risque d'invendus sur le producteur, le Comité recommande au passage de privilégier la réservation de capacités de production annuelle, avec une souplesse sur les produits à réassortir.

Une filière plus concertée pour plus de compétitivité



Une large partie du rapport insiste sur la nécessité pour la filière du textile-habillement de travailler de façon plus coordonnée pour optimiser les coûts. Comme le rapportent les dirigeants de filière, la crise sanitaire a ainsi été l'occasion de renouer le contact entre tisseurs et façonniers. Contacts qui s'étaient réduits depuis plusieurs décennies, mais a trouvé dans la production coordonnée de masques un renouveau bienvenu, notamment autour de Savoir-Faire Ensemble. Pour le CSF, la grande distribution et les grandes enseignes pourraient à l'avenir jouer un rôle dans ce développement de l'industrie locale.

Le rapport pointe le besoin de faciliter l'intermédiation entre acteurs de la chaîne et la constitution de réseaux marques/fabricants. "Il s'agit de poursuivre le développement de logiques de filières plus intégrées, en rapprochant l'amont et l'aval de la chaîne dans une logique d'écosystème solidaire, avec une proposition de valeur satisfaisante pour l'ensemble", indique le document. "Par ailleurs, la qualité des produits et de la relation commerciale et technique avec le fabricant compte autant que le prix". Est ainsi évoqué le besoin d'outils de mise en relation à chaque étape de la chaîne de production, pour par exemple embrayer le pas aux écosystèmes productifs développés en Italie et au Portugal.


Une usine Louis Vuitton en avril dernier - David Gallard


Est également pointé le besoin de développer les fonctions commerciales et l'offre de services, ainsi que la connaissance mutuelle entre les acteurs de la chaine. Le rapport propose notamment de développer l'intermédiation externe via des gens accompagnant donneurs d'ordres et fabricants. Ou encore le soutien à la formation et à l'accompagnement des acteurs de la filière, notamment afin de permettre aux acteurs de mieux appréhender les savoir-faire à leur disposition. Sont par ailleurs évoqués l'organisation de voyages d'études dans des pays concurrents, la formation au prototypage, l'échantillonnage et la gestion partagée de projets, sans oublier la mise en valeur du rôle du Made in France dans les cursus.

Est en outre sollicité un soutien aux projets de co-investissement dans des outils industriels durables portés par marques et industriels. Des projets durables car garantissant à priori un partenariat dans la durée entre fabricants et donneurs d'ordre. A l'image du projet Linpossible porté par marques (1083, Le Slip Français, Splice), filateurs (Emanuel Lang, Safilin, Tissage de France) ainsi que coopératives et associations (Terre de Lin, Lin et Chanvre Bio…). "Il pourrait être envisagé (…) de renforcer les montants de cofinancement pour les projets viables et de long terme co-portés par des marques et industriels".

Sécuriser les fabricants et industriels



Le CSF estime que la grande distribution (9% du marché) et les enseignes (40% du marché) pourraient contribuer au développement de filières françaises si plusieurs conditions sont respectées. Parmi ces conditions, il y a la justification auprès du donneur d'ordre et du consommateur des prix plus élevés du Made in France, et la démonstration que la production locale peut être rentable pour la grande distribution. Il faut également que l'ensemble de la production se fasse à proximité afin, par exemple, d'éviter qu'une production locale ne soit retardée par l'arrivée d'étiquettes venant d'Asie. Enfin, le rapport propose "d'adapter la politique RSE des donneurs d'ordre habitués au sourcing mondial aux conditions de production en France et en Europe", le document pointant que les risques sont "à priori différents de ceux liés à une production dans un pays à très bas coûts".


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La commande publique n'est évidemment pas oubliée, jugée indispensable pour favoriser le sourcing tricolore et ses TPE. Un rappel au "devoir d'exemplarité" de la commande publique qui s'applique en particulier dans l'univers des vêtements professionnels et de défense/sécurité. Parmi les nombreux points évoqués, le CSF propose que les cahiers des charges portant sur du textile-habillement et chaussure intègrent systématiquement des clauses relatives à la qualité des matières, à la durée de vie des produits, et aux conditions sociales et environnementales de production. Des demandes plus spécifiques et exigeantes, donc, qui seraient à même de profiter aux entreprises françaises.

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