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10 oct. 2018
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La valse des dirigeants d’enseignes mode bat son plein

Publié le
10 oct. 2018

Des nominations en cascade ont nourri l’actualité des enseignes de mode françaises ces dernières semaines. Qu’il s’agisse d’entreprises plus ou moins en difficulté ou en mutation, les actionnaires et propriétaires de chaînes d’habillement Pimkie, Camaïeu, Promod ou encore André ont tous nommé un nouveau PDG ou directeur général depuis la rentrée 2018. Et dit au revoir à un précédent dirigeant. Transition réfléchie ou tentative de la dernière chance, chaque cas a sa propre justification mais la concordance temporelle de ces recrutements suscite la réflexion, sur un marché de la mode et du textile qui a perdu en France 14 % de sa valeur en dix ans, selon les données de l’IFM. Une tendance qui se confirme à nouveau sur les huit premiers mois de l’année, où les ventes du secteur s'affichent en repli de 2,2 %.


Se donner un nouvel horizon en nommant un nouveau patron ? - Pixabay


La recherche de profils plus diversifiés

Dans ce contexte de ventes atones, changer de dirigeant est une des options privilégiées pour tenter de sauver l’entreprise et quitter un vieux modèle. « Le contexte est différent à chaque fois, mais l’évidence c’est que personne n’a encore identifié de solution pour retrouver un modèle de croissance, analyse Anne Raphaël, directrice France du cabinet de recrutement Boyden. Chacun joue sa partie, il y a de la part des actionnaires une vraie volonté de prendre des décisions face à une décroissance du marché du retail. »

Il n’y a pas un profil type pour les patrons de mode mainstream, mais de nouveaux critères se dégagent toutefois. « Le job numéro un du dirigeant aujourd’hui c’est d’avoir une vision : avant, on plébiscitait les patrons ayant une monoculture (c’est-à-dire ayant fait toute leur carrière dans la chaussure par exemple, ndlr), moins crédibles aujourd’hui dans le cadre de transformations de fond. Des personnes au parcours riche, passées par différentes entreprises sur des secteurs diverses, et/ou qui ont été confrontées à l’adversité, sont privilégiées », observe Anne Raphaël. A l’image de Yann Hinsinger, arrivé en septembre pour émanciper l'enseigne Bizzbee (groupe Happychic), qui a piloté par le passé la restructuration d’Eram et de Tati. Il peut aussi s’agir d’une personne possédant des compétences clés « à l’international, ou dans le sourcing et la supply chain qui est selon moi un point crucial actuellement pour rendre plus efficace les enseignes ».

Faire table rase du passé

Avec un nouveau propriétaire aux commandes, le turnover est souvent de mise. C'est notamment le cas chez André, acteur historique de la vente de chaussures, repris cette année par l’e-commerçant Spartoo, qui vient d’introniser Pierre Lagrange (ex-Aigle, Benetton et Esprit). Idem chez Kookaï : la marque du groupe Vivarte cédée au groupe australien Magi en 2017, a annoncé le mois dernier la nomination d’Antoine Bing, ex-DG adjoint chez Paule Ka, en remplacement de Laurence Bénat.

Un redressement jugé trop lent, et le couperet peut rapidement tomber. Dans le monde de la mode, les fruits d’un repositionnement (style, concept magasin…) ne se font pas sentir immédiatement. Pressés par le besoin d’un rétablissement ou d’un accroissement de la rentabilité, les actionnaires laissent-ils suffisamment de temps aux dirigeants qu’ils nomment, et à qui ils demandent une vision à long terme, pour faire leurs preuves ?


Chez San Marina, Axelle Mathery est remplacée par Laurent Portella. - dr


La firme Vivarte, un groupe « en mode survie » selon la chasseuse de têtes Anne Raphaël, n'a conservé Axelle Mathery qu'un an et demi à la tête de l'enseigne de chaussures San Marina, après les huit ans de règne de sa prédécesseure Nathalie Le Brun. Elle vient d'être remplacée par Laurent Portella, qui a roulé sa bosse chez Orchestra, Celio, Grain de Malice et Beaumanoir. Un représentant syndical de l’enseigne de souliers ne mâche pas ses mots : « Ce n’est pas un nouveau départ pour l’enseigne, mais plutôt le début de la fin. La direction du groupe change de direction générale pour mieux pouvoir démanteler l’entreprise ».

Des dirigeants de court terme pour les situations les plus critiques

Le secteur bousculé du retail fait aussi émerger des dirigeants temporaires. Des spécialistes du retournement d'entreprises parachutés au sein d’enseignes, comme ceux du cabinet Prosphères qui ont oeuvré à la restructuration de Jules, Tati ou Chauss'Expo, mais aussi des personnes nommées pour effectuer une tâche bien précise. Christine Jutard ne sera ainsi restée qu’un an à la tête de Pimkie, le temps d’enclencher un plan de départs volontaires et de fermetures de magasins. « Il s’agissait d’un manager de transition », précise un porte-parole de la société. Elle a été remplacée début octobre par une experte du retail sur le plan international, Béatrice Lafon, ex-présidente Europe de Claire’s.

L’injonction à la transformation digitale des enseignes de mode modifie elle aussi les profils recherchés. Les spécialistes du e-commerce sont ainsi de plus en plus sollicités à des postes de direction. En septembre, Nicolas Woussen, ex-directeur général (en charge des finances) du site ShowroomPrivé, passé aussi chez Cdiscount, est devenu le président de Camaïeu. Il a remplacé Elisabeth Cunin, qui est restée en poste durant cinq ans. Une transition pensée en amont, puisqu’il était arrivé dans la société un an auparavant, au poste de directeur général.


Julien Pollet, 40 ans, est le fils du fondateur de Promod. - DR


Une passation de pouvoir qui s’est organisée dans le giron familial pour Promod. Julien Pollet, fils du créateur de l’enseigne (Francis-Charles Pollet), a pris en septembre dernier la présidence de la société aux 779 points de vente répartis dans 34 pays. L’homme de 40 ans dirigeait auparavant la cellule innovation du groupe. Anne Raphaël de commenter : « Le rapport au temps change dans le secteur de l’habillement, le modèle des soldes va mourir, la fast-fashion s’est établie… Un coup de fouet intellectuel peut être le bienvenu ».

Fini le modèle du patron seul aux commandes, place au collectif

La capacité du dirigeant à s’entourer semble enfin de plus en plus prégnante. « Les entreprises cherchent quelqu’un d’armé à réfléchir en dehors du cadre, et en équipe. Ceux qui réussissent ne sont pas seulement leader, ils savent mettre en place un collectif, un comité de direction solide, poursuit-elle. La réussite de SMCP, c’est d’avoir maintenu les fondatrices mais recruté énormément de grands cadres d’horizons divers ».

C'est aussi dans cet esprit que Fashion3 (le groupement d'enseignes mode de la famille Mulliez) a été créé l'an dernier avec le recrutement des experts Pingki Houang à la direction omnicanale, Liz Simon à la direction de l'offre et Frédéric Taquet à la direction des ressources humaines, qui interviennent sur les différentes enseignes du pôle, à savoir Happychic, Pimkie, RougeGorge, Grain de Malice et Orsay.

L’accumulation de talents favorise ainsi la prise de décision collective. Encore faut-il que l’entreprise ne soit pas trop au bord du gouffre, quand le choix de la réduction de son périmètre semble le seul possible.

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