Le Limousin, secret du luxe, veut désormais s'exporter

LIMOGES, 19 oct 2012 (AFP) - Au cœur du Limousin, on trouve certains des secrets les mieux gardés du luxe: des ateliers travaillant pour la haute couture, la ganterie, la chaussure de luxe dont les "patrons" sont persuadés que rien ne remplacera jamais "l'intelligence de la main" et tentent de s'exporter.

En dépit de ses trente ans d'expérience, il faut à Bernard trois heures pour achever une couture. Poinçons, aiguilles, alêne et fil poissé pour seule compagnie, il passe encore et encore à travers les épaisseurs de cuir avec ses mains de géant recouvertes de corne. Les chaussures qu'il confectionne sont vendues 1.400 euros la paire, salaire de début de carrière pour cet ouvrier. Bernard travaille chez Weston, produisant 80% de ses paires à Limoges, et fait partie des quelque 860 employés des entreprises du marché du haut de gamme dans le Limousin, générant un chiffre d'affaires de 97 millions d'euros.

L'entreprise J.M.Weston est issue d'une tradition familiale datant du XIXe siècle, disposant désormais de deux tanneries, pour maintenir son savoir-faire en "interne", fabriquant même son cirage.

Dans le cuir toujours, la ganterie Agnelle, dirigée par Sophie Grégoire, arrière petite-fille du fondateur et descendante d'une tradition de gantiers de Saint-Junien remontant au XIe siècle, domine elle aussi toute la chaîne de valeur. Sa mère Josie Leroyer a pris le tournant salvateur à la fin des années 1960 en persuadant la maison Dior de lui confier la fabrication de ses gants. Aujourd'hui Agnelle sert encore Givenchy, Marc Jacobs et Ralph Lauren notamment. Ses vingt couturières produisent quelque 120.000 paires de gants annuellement. Chacune connaît à la perfection la trentaine d'opérations nécessaires à leur réalisation.

Sophie Grégoire a compris "quel savoir-faire unique allait se perdre", témoigne sa chef d'atelier Joëlle Talbot: "Elle a racheté l'entreprise familiale que sa mère avait vendu et réintroduit les fondamentaux du métier: excellence, expertise et savoir-faire maison".

Toujours dans le Limousin, il y a C 2000, atelier de confection et l'un des seuls spécialistes en France du flou et du "grand flou", technique de la haute couture, qu'il met au service de maisons comme Chanel, Lanvin ou Dior.Bernard Blaizeau, son directeur, est conscient qu'il doit maintenir le "niveau de qualité, d'expertise et de savoir-faire" dont ses 32 couturières "sont les garantes". Ici, la main-d’œuvre constitue l'essentiel du coût de production, 70% du chiffre d'affaires.

Son obsession est d'assurer la transmission des compétences: "Nous avons fait le choix de remplacer systématiquement chaque départ à la retraite et d'associer chaque recrue à celle qu'elle remplacera deux ou trois ans avant le départ", explique-t-il: "Chaque nouvelle embauchée a donc une marraine qui lui apprend les ficelles de la haute couture. C'est un gros investissement".

En Limousin, un des trois bassins (avec l'Ile-de-France et le Rhône) les plus richement dotés en "entreprises du patrimoine vivant", ces exemples foisonnent. Pour mettre en valeur ces talents, le Conseil régional va créer un label luxe du Limousin, "Osez la différence", fédérant les entreprises haut de gamme et assurant leur promotion. Pour les préserver, dit le président PS du Conseil régional Jean-Pierre Denanot, il faut "s'exporter sur des marchés à fort potentiel comme ceux des pays émergents", où les "capacités financières sont importantes".

Certaines entreprises on déjà tenté l'aventure, notamment en Russie, en Chine (Shangaï) ou encore en Arabie saoudite", témoigne Jean-Pierre Limousin, de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI), ayant favorisé la création d'une association, "Luxe et excellence en Limousin", regroupant les 13 entreprises "très haut de gamme".

Bernard Blaizeau, abonde dans son sens: "L'international c'est là que se joue la survie de nos métiers", dit-il en espérant que dans ce domaine, les artisans pourront compter sur des entreprises qui ont déjà franchi le cap, comme Weston.

Par Julie CARNIS