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Publié le
14 avr. 2004
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Le linge de lit atypique de Lust-Project

Publié le
14 avr. 2004

Anne Margreet Honing, quel est votre parcours personnel ? Je suis hollandaise mais j’ai grandi à Paris où j’ai fait les Beaux-Arts. Je suis diplômée en peinture et photo. Il y a 7 ans, je suis partie vivre à New York pendant 4 ans et demi. Le premier projet que j’ai réalisé était une critique sociale des ghettos à Brooklyn. Dans le Bronx, le seul faire valoir social est la quantité d’or que les mecs portent autour du cou. Ils sont sur-lookés. Je trouvais fascinant que ces mecs qui n’ont pas assez d’argent pour vivre décemment dépensent autant d’argent pour leur look. Parallèlement, les fils à papa branchés, intellos et artistes reprenaient de manière un peu sarcastique ces bijoux de rappeurs. Je trouvais ce fossé si violent que j’ai voulu créer un lien entre ces deux classes sociales. J’ai fabriqué des colliers non pas avec des prénoms mais avec des mots définition comme «bourgeoise», «hypocrite», «guilty», «wealth fare», les boucles d’oreilles «socialiste» et la bague «snob». Je les ai présentés chez «A life», un magasin new-yorkais très branché. Ils ont adoré et m’ont envoyé chez Colette à Paris qui m’ont acheté 50 bijoux. Pour la première fois l’une de mes créations artistiques devenait un objet de mode. De fil en aiguille, j’ai compris que n’importe quel support pouvait servir à la création. Pourquoi avoir choisi le linge de lit ? Lorsque je suis rentrée à Paris il y a 2 ans, je me suis lancée dans la fabrication artisanale de tee-shirts avec une amie. Je faisais des collages, j’insérais des empiècements de feutre, j’utilisais la machine à coudre comme un crayon. Ces tee-shirts ont eu énormément de succès. En 5 mois nous avons eu des rendez-vous avec de grands bureaux d’achat. Nous avions un grand nombre de pièces uniques à réaliser en très peu de temps et mon amie n’était pas souvent là. Nous avons paniqué et nous nous sommes séparées. J’ai commencé à travailler sur des coussins. La mode change à une allure folle alors que la déco reste très classique. J’avais le sentiment qu’il manquait quelque chose sur ce marché. J’ai alors travaillé sur des housses de couettes. J’aime ce support car il ressemble à une grande toile de tableau. Mon idée était de proposer aux gens de changer de housses de couettes plus vite qu’ils ne changent les tableaux sur les murs. Il s’agissait d’une proposition artistique. Pouvez-vous nous présenter le concept Lust-Project ? J’aime les pieds de nez, les critiques sociales ou les trucs complètement absurdes. Si je faisais des nappes, je les ferais avec des grosses tâches de graisse et des miettes de pain incrustées. Le concept de Lust-Project, c’est d’abord une certaine prise de position qui va à l’encontre de toutes les conventions que ce soit dans la déco ou dans la manière de survivre dans ce monde où les règles sont strictes. J’ai été rassurée de voir que plein de gens avaient le même sens de l’humour. Travaillez-vous seule ? Non, j’ai rencontré Christophe Guyot. Il cherchait un boulot dans la production. Je lui ai proposé de s’occuper du commercial de la société. Nous avons eu un rendez-vous avec la personne de Scène d’Intérieur (maison et objets) et nous lui avons parlé de notre projet de linge de lit punk-rock. Elle a aimé et la machine s’est lancée rapidement. Elle nous a proposé de passer un concours pour exposer à Scène d’Intérieur dans la section jeunes créateurs. Nous avons réussi et en septembre, nous avons eu un stand. Quels sont les modèles qui se vendent le mieux ? Les modèles qui ont très bien marché sont «I love my bed» et la housse noire avec des broderies rose fluo. «I love my bed» était un clin d’œil à New York : les empiècements rappellent les chemises des hommes d’affaire. C’est une manière de dire que les hommes d’affaire dorment aussi et qu’ils feraient peut-être mieux de dormir un peu plus. N’est-ce pas étrange de mettre des têtes de morts sur du linge de lit ? Si, et il y a aussi des chars d’assaut ! C’est un parti pris. C’est un pied de nez à cette société qui nous balance en permanence des nouvelles sordides de manière anodine. Il vaut mieux exorciser ce mal en le rendant ridicule et mignon, en le banalisant un peu comme le font les mexicains lors de la Fête des morts. Notre langage peut paraître noir au premier abord mais il ne l’est absolument pas car, la tête de mort est totalement débanalisée. D’ailleurs, nous avons un bon baromètre avec les enfants, ils adorent ! J’aime l’humour noir, ce contraste entre la dureté des sujets et la façon mignonne et gaie dont ils sont traités. Si on me laissait totalement libre, j’irai plutôt vers le discours hard core qui me fait vraiment rire. Je ne veux pas être trop provoc non plus, j’ai envie qu’on aime mes coussins. Je suis plus Pop Art que Gothique qui est trop agressif et revendicateur. Visez-vous les enfants ? Non, pas du tout. Nous visons plutôt les Beasties boys attardés, une faune ethnique qui existe à New York et arrive à Paris. Ils sont différents des bobos. Vendez-vous toujours à New York ? Oui, chez «A life». Nous étions récemment invités à un super salon qui se trouve dans le Chelsea Hôtel, un lieu mythique. Chaque designer loue une chambre pendant 3 jours et la décore selon son univers. Cette idée correspond parfaitement à notre concept ! Et dans le reste du monde ? A Paris, parallèlement à «Maison et Objet», nous avons fait le premier rendez-vous organisé par la boutique «Surface2Air». J’y ai eu de très bons contacts, aussi bien sur l’Angleterre que sur le Japon et même la France. «Maison et Objet» était également intéressant mais plus déco. Chez «Surface2Air» nous étions sur un créneau légèrement différent car les gens venaient pour la mode homme et ne s’attendaient pas à voir de la déco. J’aime beaucoup être en décalage. Nous sommes toujours à la recherche de lieux qui soulignent le fait que nous ne sommes pas dans la norme. Nous vendons également aux Etats-Unis, en Belgique, Hollande, Allemagne, Angleterre, Australie et au Japon. J’espère vraiment développer le marché scandinave qui correspond parfaitement à l’esprit de Lust-Project. Est-ce difficile de démarrer une marque ? C’est un véritable enfer. Quand on est petit, on est forcément les derniers sur les listes. On est traité comme des moins que rien. Nous avons eu tous les mauvais plans possibles et imaginables. Il s’agit peut-être d’un bizutage ! C’est toute une aventure. Certaines semaines nous ne dormons pas. Nous avons finalement compris pourquoi il n’y a rien en linge de lit et pourquoi les gens sont si mous à changer de graphisme sur une housse de couette. Les minimas sont tellement énormes qu’il est difficile de suivre. Certains fabricants nous demandaient 5000 pièces à la couleur et au modèle. Dès qu’on fait du sur mesure ou des séries limitées, on est obligé d’être extrêmement cher car le moindre bout de tissu nous est facturé plein tarif. Je trouve notre société absurde : les Carrefour, Zara, ces énormes structures achètent le tissu très peu cher tandis que les petits jeunes créateurs qui n’ont pas beaucoup d’argent l’obtiennent à des prix délirants. Il y a très peu d’aide véritable pour les jeunes créateurs. Vous arrive-t-il de douter ? Nous avons une mentalité un peu à l’américaine, «Just do it». Parfois, on a un peu peur et on se demande si on n’a pas mis la charrue avant les bœufs. Mais nous sommes très entourés. Beaucoup d’amis nous soutiennent. Ils ont de bonnes relations et nous en font profiter. La presse est également très positive ce qui nous encourage. Continuez-vous vos productions de façon artisanale ? Les tee-shirt sont toujours des pièces uniques. Chaque empiècement est dessiné, découpé et cousu à la main. C’est beaucoup de travail. Les boutiques pensent que j’ai un programme d’ordinateur qui fait tout automatiquement. J’ai été très vite débordée. Je me suis dit qu’il fallait trouver une solution. Nous sommes en train de démarcher des petites structures qui pourraient travailler à ma façon, à la main, en comprenant l’esprit. Les coussins sont faits mains par un atelier de 3 personnes. Le linge de lit est fait en toute petite série. Nous allons bientôt faire fabriquer au Portugal mais nous voulons que la production reste européenne. Nous avons une petite fierté en pensant que nous allons re-dynamiser l’économie européenne. J’ai envie de garder ma liberté d’artiste malgré les limites du support et la réalité économique. C’est pour cette raison qu’on aime bien la série limitée et le tee-shirt pièce unique, en réaction aux Zara, H&M, GAP qu’il y a dans tous les pays du monde. Face à ce côté uniforme, on propose des écritures très marquées. Allez-vous développer des gammes ? Oui, mais pas pour aller vers la nappe. Peut-être dans les vêtements mais je n’ai pas envie de devenir une marque de mode. Je veux rester atypique, faire à la fois du bois de poche, du linge de lit, des tee-shirts et si demain j’ai envie de relooker les intérieurs de bagnoles, je veux pouvoir le faire. Nous sommes une marque de design en général. J’aime utiliser des objets anodins pour arriver à un concept qui n’a rien à voir, complètement dérangeant et décalé. Cela dit, la housse de couette offre des possibilités infinies. Si un jour les techniques et l’industrie deviennent plus souples et faciles à utiliser, j’aimerais faire des transferts d’image, des collages etc… www.lust-project.com Propos recueillis par Sonia Chevalier.

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