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13 mars 2019
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Le textile chinois entame sa lente conversion écoresponsable

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13 mars 2019

La quête de durabilité a de longues années été l'apanage de la mode occidentale. Mais alors que la Chine est devenue l'an passé le premier marché mondial de l'habillement, l'empire du Milieu vit à son tour l'émergence d'une attente de durabilité chez ses consommateurs. Ce qu'illustrent à leur manière les salons Intertextile, Yarn Expo et Chic, qui se tiennent du 12 au 14 mars à Shanghai.


Le développement durable fait face à un intérêt croissant de la part des donneurs d'ordres chinois - Matthieu Guinebault/FashionNetwork


L'annonce en décembre dernier du premier Sustainable Innovation Award, organisé par Kering Greater China et le réseau d'accélération Plug and Play, n'est pas passée inaperçue au sein de la filière chinoise du textile-habillement. L'ex-« usine du monde » a depuis dix ans connu des hausses de salaires, qui ont induit une montée en gamme d'une vaste part des productions, simultanément au lancement de marques locales pour répondre à une demande chinoise en pleine explosion. Les industriels se sont ainsi retrouvés à devoir répondre directement aux attentes de clients finaux toujours plus alertes sur les questions de pollution et de santé. Un phénomène que ressentent désormais dans leur activité les professionnels des fils et tissus. 

« Il y a un intérêt très accru des marques chinoises pour toutes les alternatives à leur sourcing matière depuis maintenant un an », explique Mme Yolanda, directrice marketing du fabricant chinois Huafu, dont l'offre de tissus recyclés teints de manière durable se retrouve dans des produits Gap, Nike, American Eagle, Adidas, H&M, Zara ou encore Uniqlo. « La demande de produits durables était habituellement concentrée sur l'Europe, l'Amérique du Nord et le Japon. Mais le marché chinois commence à comprendre qu'il faut évoluer vers cela. Les entreprises chinoises représentent la moitié de nos clients. Mais il ne fait aucun doute pour nous que la Chine va rapidement devenir un marché majeur pour toutes les offres de textile et d'habillement écoresponsables, à mesure que vont se multiplier localement les études et les enseignements sur le sujet. »

Une offre durable croissante

Les allées d'Intertextile et Yarn Expo voient de fait se multiplier les démarches en ce sens. L'entreprise Lily Textile, via son projet Green Defense, a ainsi développé un polyester antibactérien facilement recyclable, utilisant les apports naturels de l'amande et de la cannelle. Comptant parmi ses clients Nike, Lee et Amer, Hua Mao Nano-Tech poursuit dans l'utilisation du basalte pour augmenter le pouvoir chauffant du tissus tout en favorisant son recyclage. Un chemin également pris par le hongkongais Nano Mintex, qui fait évoluer sa gamme antibacteriénne. Les sociétés Zhonghuitex, Mingchen Textile, Heltin Textile et SF Fiber s'offrent quant à elles un pavillon commun, EcoCosy, dédié à une viscose présentée comme durable.


Les matériaux responsables gagnent en visibilité sur le salon Intertextile - Matthieu Guinebault/FashionNetwork


Et les fournisseurs étrangers positionnés sur ce segment ont bien compris la manne que représente désormais le marché chinois. On découvre ainsi l'offre du japonais Asahi Kasein, avec sa fibre développée à partir de coton biodégradable, ou de son compatriote Toyoshima, qui transforme la nourriture perdue en résidu pour la coloration. La proposition est enrichie par l'émirati Paradise Textile, dont le polyester Biofuze, biodégradable à 72 %, complète une offre de polyester recyclé et de teinture sans eau. Autre signe de cette évolution : le salon Intertextile voit se renforcer la présence d'organismes de certification textile, dont Hohenstein Textile Testing, Testex, Intertex Testing Services, SGS-CSTC Standards Technical Services ou encore TUV Rheinland.

Cette aspiration de la filière chinoise à plus de durabilité, les filateurs de Yarn Expo l'ont également ressentie, à l'instar de l'unique fabricant français de fil de lin, Safilin. Exposant pour sa seconde fois sur le rendez-vous, son directeur du développement, Hervé Denoyelle, évalue que c'est en 2017 que, aspirant à des productions durables et haut de gamme, le marché domestique chinois s'est ouvert. « Nous surfons sur cette vague écolo qui est devenue une tendance de fond », explique-t-il. « Nos avantages résident dans le fait que nous le sommes naturellement, là où le coton doit forcer le trait. Nous restons prudents, mais nous sommes indéniablement face à un nouveau gros marché qui s'ouvre. Surtout sachant que nos droits de douane sont en Chine de 6 % contre 22 % en Inde. » 

Les millennials dans le viseur

Ce glissement progressif du textile-habillement chinois vers le durable ne peut être dissocié de la montée en puissance des millennials chinois qui, plus encore que leurs camarades occidentaux, sont devenus les consommateurs de référence, dans le sillage desquels les marques chinoises tentent de garder le rythme. Des consommateurs particulièrement méfiants face aux discours commerciaux des marques. Ce à quoi l'existence de près de 300 labels écoresponsables dans l'habillement n'aide pas à remédier.


Chen Dapeng, président de la China National Garment Association (CNGA) - Matthieu Guinebault/FashionNetwork


Et pourtant, l'attente dans ce domaine est bien réelle, pour Linda Wegelin, directrice du développement de l'organe de certification Testex, qui opère notamment pour le label Oekotex. « Les consommateurs millennials chinois sont plus conscients et se sentent plus concernés par la durabilité que dans d'autres pays », insiste-telle, citant une étude indiquant que 37 % des millennials expliquent vérifier les prétentions écoresponsables présentes sur les étiquettes textile. « Et ils ont une position très influente quand il s'agit de faire des choix de dépense. L'industrie chinoise se dirige vers ça, incitée si je comprends bien par le plan quinquennal, qui intègre le développement durable. Si les Chinois sont si sensibles à ces questions, c'est que les consommateurs, en particulier dans les grandes villes, voient les impacts, avec ces nuages de pollution que l'on connaît. Ce n'est pas théorique, pour eux, ils en ont l'expérience. Là où, dans d'autres pays, on consomme mieux avant tout pour se sentir mieux. »

Mais, à l'instar de ce que la mode durable a pu connaître en Occident, il se dessine en Chine un décalage entre aspiration de la clientèle et réalité de la production. Ainsi, au salon Chic, dont l'offre cumule mode et industrie de l'habillement, très rares sont les marques qui affichent leur démarche écoresponsable. Sur les stands du grand salon de la production d'habillement, les professionnels confient que les coûts restent pour l'heure un point important dans le choix d'approvisionnement, les donneurs d'ordres comme les clients finaux demeurant soucieux du montant des dépenses. « Quand il deviendra essentiel de se démarquer, je pense que très rapidement beaucoup s'y mettront. Et cela peut venir vite, car la consommation ralentit dans le pays », confie un fabricant dont la marque blanche se destine aux entreprises locales. 


Défilé de marques chinoises sur le salon Chic à Shanghai - Matthieu Guinebault/FashionNetwork


Pour Chen Dapeng, président de la China National Garment Association (CNGA), qui coorganise Chic, l'écoresponsabilité est l'un des trois grands défis identifié de la filière, avec la nécessité d'améliorer qualité et création, et le besoin d'automatisation des outils de production. Pour le dirigeant, c'est d'ailleurs l'innovation technologique qui conditionnera ce virage vert. « Nous devrions n'utiliser que des produits naturels, mais nous savons qu'il n'y en en pas assez pour répondre à la demande », relève-t-il. « Il faut donc d'un côté emmener les consommateurs vers ces matériaux naturels, mais il faut en parallèle trouver, par la technologie, comment rendre tous les autres matériaux moins polluants. Tout cela va prendre du temps. Et la taille de notre industrie ne peut que rendre cette évolution plus longue. Mais ce n'est pas qu'une question nationale : c'est toute la planète textile qui est concernée ». Un défi qui, s'il est effectivement global, verra donc sans doute l'une de ses principales batailles se jouer au coeur même de la première industrie textile du monde.

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