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14 avr. 2020
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Les fédérations prudentes face aux dernières annonces de l'État

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14 avr. 2020

Pour préparer la relance, le commerce avait besoin de visibilité sur son calendrier. Désormais fixées sur le cap du 11 mai, les entreprises de l'habillement ont donc tendu l'oreille les 13 et 14 avril pour connaitre les contours du second mois de confinement. Ce dernier donne en effet lieu à des ajustements dans les mesures de soutien. Des dispositifs qui, s'ils sont bien accueillis, n'empêchent pas une attente renouvelée sur la question des loyers commerciaux ou des soldes.


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"C’est une bonne chose d’avoir fixé une date", affirme à FashionNetwork.com Pierre-François Le Louët, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin (FFPAPF). "Le 11 mai, ce n’est pas une surprise en soi, nous nous attendions à ce qu’il faille laisser passer le week-end prolongé du 8 mai et son risque trop grand de circulation des personnes… Au moins, maintenant nous avons un horizon, même partiel, puisque les conditions de réouverture des commerces ne sont pas encore connues. Cela offre quand même plus de visibilité aux entreprises et va leur permettre de s’organiser un peu mieux."

Un motif de satisfaction qui ne se retrouve qu'en partie, du côté de la fédération Procos pour le commerce spécialisé. "C'est assez flou, on ne connaît pas encore les conditions de réouverture des magasins", explique son président François Feijoo.

"J'imagine mal les gens se ruer vers les boutiques de mode, ils seront toujours centrés sur leurs besoins de première nécessité. Si certaines boutiques à la reprise ne réalisent que 15 ou 20 % de leur chiffre habituel, cela ne vaut pas le coup d'ouvrir ! Il faudrait générer 60 à 70 % de ventes pour que les enseignes puissent payer les loyers."

La crainte d'une reprise très complexe

 

"Même si nous rouvrons nos portes le 11 mai, il va falloir être extrêmement prudent", insiste de son côté Eric Mertz, président de la Fédération Nationale de l'Habillement (FNH), qui regroupe les indépendants. "Il y a de nombreux éléments sanitaires qu'il faudra prendre en compte, comme la distanciation sur nos surfaces réduites, la remise en rayon après un essayage, la désinfection des cabines et climatisation... Et nous tablons de toute manière sur une reprise très lente, avec -70 % à -80 % de ventes, ce qui va poser des questions en termes de personnel."

L'annonce présidentielle du 13 avril a par ailleurs été suivie le 14 au matin par des précisions du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, qui a notamment annoncé l'assouplissement des conditions d'accessibilité aux fonds de Solidarité ainsi qu'aux prêts garantis par l'État. Des dispositifs dont pourront désormais profiter les structures en difficulté.

"Cela concerne les entreprises en sauvegarde, en liquidation ou en redressement", nous expliquait le 10 avril Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du Commerce (grands magasins, enseignes de mode et de chaussures). "On peut comprendre qu'on ne prête pas à une entreprise en liquidation. Mais quand elles sont en sauvegarde ou redressement, c'est justement là où elles ont besoin qu'on ne leur mettent pas la tête sous l'eau. Bercy disait que ce n'était pas possible en raison de la législation européenne. Or, l'UE a accordé des marges de manœuvres beaucoup plus fortes."

Ce point était également une demande de la Fédération du prêt-à-porter féminin, qui salue aujourd'hui cette avancée pour les structures en difficulté. "Cette exclusion du dispositif de crédit mettait vraiment la tête sous l’eau à des entreprises qui depuis des mois travaillaient à se réinventer et à se relancer", confirme Pierre-François Le Louët. 

François Feijoo salue lui une réponse efficace du gouvernement. "Les TPE et PME notamment sont bien prises en compte, mais il ne faut pas croire que les plus grandes structures et grands réseaux ne souffrent pas. L'Etat peut encore aller plus loin dans le soutien aux entreprises", souligne ainsi le représentant des enseignes spécialisées.

Le ton n'est pas le même du côté des commerces indépendants, notamment au sujet du prêt à 0 %. "Ce n'est pas parce que Bruno Le Maire le dit que cela sera le cas dans les faits", pour Eric Mertz. "Seules 20 % des entreprises qui l'ont demandé ont obtenu un accord de prêt garanti par l'Etat. Ce n'est pas parce qu'une entreprise devient soudain éligible que les banques accepteront de prêter. C'est un principe de réalité. Il faut donc espérer que cela ne restera pas au niveau de l'effet d'annonce."

Les loyers toujours aux centres des préoccupations



Les annonces de Bruno Le Maire, qui devraient se préciser à l'occasion d'un projet de loi de finances rectificatives, ont par ailleurs marqué par sa prise de position sur la question des loyers. Bercy n'a pas manqué d'assister à des échanges toujours plus houleux entre le Conseil national des centres commerciaux et onze fédérations de commerçants. Au point de pousser François Feijoo à aujourd'hui appeler à une trêve dans ce conflit (lire notre article dédié).

"On parle beaucoup des banques et des assurances qui doivent faire des efforts, mais il y a aussi des grandes foncières qui doivent faire des efforts" lâchait mardi matin Bruno Le Maire, qui indique qu'il a demandé à rencontrer les représentants des bailleurs cette semaine. "Je considère que ces grandes foncières, peuvent et doivent faire plus pour aider ceux qui ne peuvent pas payer leurs loyers aujourd'hui. Je demanderai à parler avec elles. Parce que j'ai trop de retours de difficultés encore sur lesquels les grandes foncières ont les réponses, peuvent les apporter et doivent les apporter".


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Pour Yohann Petiot, "c'est le signe que le Président de la République et le ministre de l'Economie prennent maintenant conscience du poids considérable des loyers dans les charges supportées par les commerçants".

Pour l'Alliance du Commerce, qui évoquait récemment des suites juridiques à donner à l'affaire, une solution doit impérativement être trouvée. "Notre demande reste la même : annulation pure et simple pour la période de fermeture, et pour les mois à venir indexation du loyer sur la réalité de l'activité", pour le directeur général. "Les représentants des enseignes ont démissionné du conseil du CNCC, Gares&Connexion a annulé les loyers commerciaux dans les gares, la Compagnie de Phalsbourg prolonge l'annulation des loyers jusqu'à la fin du confinement… Les lignes sont en train de bouger."

De son côté, Pierre-François Le Louët confirme que la question des loyers demeure parmi les priorités de sa fédération. "L’Etat semble mettre la pression aux grands bailleurs mais il faut vraiment que cela soit suivi d’effets et que ces acteurs abandonnent leurs loyers", pour le représentant du prêt à porter féminin. "Idem pour les charges auprès de l’Etat, leur report ne suffira pas pour notre secteur. Nous attendons l’exonération dans les semaines qui viennent. Et même chose du côté des assureurs, dont nous attendons également plus."

La question des soldes toujours en suspens, mais vers un report ?



Comme l'ont démontré les nombreux communiqués fédéraux s'étant croisés ces dernières semaines, un autre sujet est au cœur des préoccupations des commerçants du secteur : les soldes. Qu'il s'agisse des dates, ou de leur allongement, il y a désormais presque autant de propositions que de fédérations. De quoi pousser jusque là Bercy à temporiser, reportant le débat jusqu'à la fin du confinement.

"Nous entendons que ce n’est pas actuellement une urgence pour l’exécutif, celle du report du démarrage des soldes" indique Pierre-François Le Louët. "Avec à ce jour trois positions connues : les partisans d’un lancement début juillet, et ceux d’un report à fin-aout, et enfin une position intermédiaire, la notre à la Fédération Française du Prêt-à-porter Féminin."

Pour François Feijoo, la patience est également de mise. "C'est logique d'attendre la fin du confinement pour discuter des dates des soldes. Si on considère qu'il faut qu'il y ait du monde dans les boutiques pour ce rendez-vous promotionnel, ça ne sera pas pour tout de suite".

Mais Bercy montrerait néanmoins de premiers signes d'ouvertures quant aux soldes. "Bruno Le Maire m'a clairement répondu 'Je pense qu'il est maintenant utile de reporter les soldes'. Et j'espère que les différentes fédérations pourront s'entendre autour du CSF pour présenter un front uni sur la question", indique le président de la FNH Eric Mertz.

Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France relève lui aussi de récents propos "encourageants du ministre de l’Economie concernant le report des soldes d’été 2020 au mois de juillet. La CDF réaffirme et réitère sa demande exceptionnelle pour cette année d’accompagner la sortie de crise du COVID-19, et que l’Etat procède à l'encadrement et la suppression un mois avant la date reportée des soldes, des promotions avec fortes remises permanentes, impraticables pour les indépendants étant donné leurs marges. Sans cette mesure de solidarité de la part des grands groupes et des enseignes, le décalage des soldes ne servira à rien !", martèle-t-il.
 
Au final, si le renforcement progressif des aides d'Etat pour traverser ce second mois de rideaux baissés est accueilli plutôt favorablement, il manque encore aux professionnels un certain nombre d'éléments nécessaires pour préparer leur relance. A un mois du jour J, chaque jour pourrait compter.


Par Matthieu Guinebault, Marion Deslandes et Anaïs Lerévérend.
 

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