Lucile Deprez
2 juin 2017
Lidewij Edelkoort : « Pour la première fois, la mode est démodée »
Lucile Deprez
2 juin 2017
La seconde édition d’Anti_Fashion a débuté le 2 juin à Marseille. Fondé par Lidewij Edelkoort, à la suite de la sortie de son manifeste en 2015, baptisé lui aussi Anti_Fashion, l’événement vise à rassembler les acteurs du secteur de la mode pour les faire réfléchir à un nouveau système plus responsable. Rencontrée pendant la manifestation, Lidewij Edelkoort revient pour FashionNetwork.com sur son implication et ses engagements.
FashionNetwork : Avec ce mouvement, quel message voulez-vous faire passer ?
Lidewij Edelkoort : Nous aimons bien réfléchir ensemble aux solutions pour renouveler complètement le système de la mode de A à Z, de l’éducation jusqu’aux détaillants. C’est un vaste projet qui va sûrement prendre plus de vingt ans à mettre en place. Nous devons faire des études à ce sujet, travailler avec les étudiants, le gouvernement, les différents acteurs et avec les marques. Quand je vois que la vidéo Anti_Fashion est vue par plus de 250 000 personnes, c’est qu’il y a une vraie alerte aujourd’hui ressentie par tout le monde. En tant que porte-parole, je pense que tout dérange dans le système actuel. Pour la première fois, la mode est démodée. Le secteur n’est plus en phase avec les attentes de la société. J’avais confiance en la mode en tant que précurseur des évolutions de la société, mais soudainement, ce n’est plus le cas.
FNW : Quelles sont les premières personnes concernées pour initier le changement ?
LE : Je pense qu’il n’y a pas de priorités, les choses clochent sur toute la ligne. Il faut commencer un peu partout, dans le domaine de l’éducation, du retail, du marketing, de la fabrication, de la communication. Il n’y a pas de hiérarchie, tout devient urgent. Mais il faut y aller doucement car nous ne pouvons pas changer les choses par la force. Pour cette deuxième édition d’Anti_Fashion, cinq fois plus de personnes sont venues assister à l’événement par rapport à la première année, c’est déjà un premier pas. Je pense que l’évolution va se faire toute seule, c’est comme un virus, à mon avis, c’est quelque chose de viral qui se propage.
FNW : La question du prix a été posée lors de la première conférence, ne pensez-vous pas que cette révolution risque d’engendrer une augmentation globale des prix et rendrait alors la mode moins accessible ?
LE : Il faut aller vers l’augmentation des prix parce qu’il faut bien comprendre que derrière la conception d’un vêtement, il y a beaucoup d’étapes. Le vêtement est le résultat d’une agriculture, de récoltes, il doit être cousu, les fibres sont peignées, filées, tricotées, coupées, teintes. Après, la pièce doit être transportée, photographiée et mise en magasin. Comment un vêtement peut coûter moins cher qu’un sandwich ? C’est insensé. Les personnes derrière la fabrication de ces produits souffrent, nous sommes quelque part coupable d’une sorte d'esclavage moderne. L’opinion publique a son rôle à jouer. Si elle arrête d’acheter ces pièces, c’est déjà gagné. Je ne pense pas que cela engendrerait une exclusion d’une partie de la population. Derrière cette évolution, il y a l’idée de partage, d’échange, de location de vêtements, de faire du neuf avec du vieux. Beaucoup de marques américaines travaillent ainsi aujourd’hui. A l’image d’Eileen Fisher, qui propose de racheter les vieux vêtements pour 5 dollars et de leur donner une seconde vie. Avec ces initiatives, tout le monde peut acheter un vêtement cher moins cher. Il faut bien comprendre qu’un vêtement n’est pas fait pour être porté une fois et jeté, il se porte pour plusieurs occasions, se garde et se transmet.
FNW : Depuis la sortie de votre manifeste, quelles actions avez-vous mis en place, quelle est la prochaine étape ?
L.E. : Je fais des conférences avec des marques, des groupes de luxe, des grands magasins à l’international, j’essaye de mobiliser les acteurs importants. Je ne suis pas un agitateur, une politicienne, j’en parle dès que j’en ai l’occasion. Je travaille aussi beaucoup l’éducation avec les écoles de mode car c’est là où sont formées les mentalités. Plusieurs écoles sont aujourd’hui en éveil et proposent des cours pour repenser le système. Maintenant, je songe à faire dans l’année qui vient, un deuxième volet d’Anti_Fashion sous la forme d’un livre de tendances, résumant les 15-20 directions pensées pour entreprendre les changements.
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