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14 janv. 2021
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Luc Mory (Naf Naf): "À terme, Naf Naf va devenir plus réactif que Zara"

Publié le
14 janv. 2021

Délaissée par son propriétaire chinois La Chapelle, Naf Naf n’a pas résisté au passage par la case redressement judiciaire en 2020, une année pandémique qui a fragilisé les distributeurs mode. En juin dernier, l’enseigne de mode féminine née en 1973 dans le Sentier parisien a été reprise à la barre du tribunal par SY International, l’un de ses fournisseurs de longue date, qui faisait face à une offre formulée par le groupe Beaumanoir. Ce groupe familial franco-turc, qui possède des usines en Tunisie mais aussi un site en Ile-de-France, a maintenu 944 des 1.170 emplois et 200 des 235 magasins, incluant 75 affiliés.

Six mois après ce changement de main, le PDG de la marque depuis 2013, Luc Mory, expose à FashionNetwork.com les axes de travail pour relancer Naf Naf, sur les plans industriel, retail, web, et marketing. Un projet dans lequel il a investi personnellement, devenant actionnaire de la nouvelle structure comme plusieurs membres de l’équipe de direction.


Luc Mory a pris la direction de Naf Naf en 2013. - DR


FashionNetwork.com: Comment se passe la prise en main de la marque par le nouveau propriétaire SY ?

Luc Mory : Sans appréhension, car nous sommes très contents de cette association, et étions convaincus qu’il fallait changer de stratégie. La période est évidemment incertaine, cependant il ne faut pas chercher à prévoir les choses, mais plutôt à bâtir une organisation qui pourra permettre de faire face à tous types d’incertitudes. Cette association de forces entre un fournisseur et un distributeur paraît être une bonne réponse sur le papier, nous devons maintenant l’exécuter.

FNW : Qu’est-ce que cela change concrètement pour l’approvisionnement ?

LM : SY était déjà le partenaire numéro un de Naf Naf mais nous poussons un cran plus loin la relation, avec l’optique de favoriser encore davantage le proche import. Aujourd’hui 80% des collections sont fabriquées dans la zone Euromed, alors que l’Asie représentait encore 70% de nos volumes il y a 5 ou 6 ans. C’est un vrai renversement qui avait déjà commencé avant le changement de propriétaire, mais avec des méthodes qui n’étaient pas assez rapides. Nous accélérons maintenant l’achat à très court terme, c’est-à-dire entre dix jours et deux mois de délai.

La marque sort de la logique de saisons. En ce moment par exemple, nous n’avons pas encore complétement acheté les produits pour le mois de mars, alors que si nos fournisseurs étaient majoritairement basés en Asie nous aurions déjà dû avoir passé commande pour juin. Ce système plus direct permet aussi de pouvoir marquer des pauses, et de repartir, selon les aléas. Mais aussi de ne pas acheter trop, ou pas assez.

FNW : Comment s’est déroulée l’année 2020 sur le plan des ventes ?

LM : Le second confinement nous a arrêtés dans notre élan, le mois de décembre a été très bon (autour de +10%, ndlr). A périmètre identique, les ventes sont stables et le résultat positif. Nous avons prévu une régression en janvier du fait du décalage des soldes, qui n’était pas une bonne idée selon moi sur le plan business. Il faut être lucide, le premier trimestre sera difficile, car on observe une forte baisse du visitorat.

Nous pensons que la situation peut se normaliser à partir de septembre prochain, avec un second semestre "standard" sur le plan commercial. Notre visons 175 millions d’euros de chiffre d’affaires (hors taxes) en 2021. L’exercice 2020 ne peut pas servir de base, le point de comparaison est plutôt 2019, avec 207 millions d’euros générés.


Collection Naf Naf hiver 2020/21 - DR


FNW : Avec le report des soldes, on observe d’importantes opérations de ventes privées, depuis quelques semaines déjà. C’est le cas de Naf Naf. Vous avez besoin d’écouler les stocks ?

LM : Nous allons à fond sur la promotion, mais ce n’est pas un sujet de stock à mon sens. A période exceptionnelle, remises exceptionnelles. Nous n’avons ni trop ni pas assez de marchandises, et s’il y a un troisième confinement, nous ne serons pas gênés.

"Nos produits se vendent deux à trois fois plus vite que l’an dernier"



L’indicateur intéressant, c’est que nos produits se vendent deux à trois fois plus vite que l’an dernier. Par exemple, 100 robes s’écoulent en magasin en trois semaines, contre dix à douze semaines auparavant. Il y a donc moins de résiduel qui encombre les réserves, et on démarque parfois un peu moins. Cette amélioration est directement liée à la fusion de nos opérations avec SY. L’un de ses dirigeants, Selçuk Yilmaz, est très souvent présent dans nos bureaux. Une réunion bilan a lieu chaque semaine. Je pense qu'à terme -car nous devons encore gagner en efficacité-, Naf Naf va devenir plus réactif que Zara, qui s'approvisionne encore beaucoup en Asie.

FNW : Quels autres chantiers lancez-vous pour 2021 ?

LM : Au cours des trois prochains mois, un challenge digital nous attend. Nous changeons nos outils technologiques désuets. Et avons signé de nouveaux partenariats en ce que concerne le hardware, la plateforme e-shop et le marketing digital. Le nouveau site web de Naf Naf, qui sera plus attractif et plus facile à utiliser, va être mis en ligne fin février, début mars. L’ouverture d’un site marchand en Italie se prépare également, et nous regardons de près le développement d’autres marchés sur le web, notamment en Allemagne où nous allons investir de nouvelles marketplaces, après avoir fait notre arrivée chez Zalando. Le principe de la marketplace connaît un développement exponentiel et va devenir dans les années à venir le relais majeur des marques sur le digital, davantage que leur propre e-shop. Pour Naf Naf, l’objectif fixé est de générer 35% des ventes totales grâce au canal digital d’ici quatre ans (contre environ 15% aujourd’hui).

"Le digital et le magasin doivent également se parler de façon beaucoup plus fluide"



FNW : Qu’en est-il du réseau de boutiques: c’est toujours un pilier de l’enseigne pour le futur?

LM : Nous sommes dans une phase de remise à plat du modèle économique des magasins, notamment sur le sujet des loyers. Nous discutons en permanence avec les bailleurs, certains ont été à l’écoute et ont fait des efforts, mais le sujet central est de fixer sur le long terme les loyers selon la variation du visitorat. Nous sommes de fervents partisans du loyer variable, qui permet de s’adapter aux moments difficiles, mais aussi aux périodes plus florissantes. L’équilibre reste encore à trouver. Ensuite, en boutique, les efforts vont êtres concentrés sur l’accueil et le conseil, pour mieux vendre, et vendre plus à chaque client.

Le digital et le magasin doivent également se parler de façon beaucoup plus fluide. L’entreprise a pris du retard et doit s’équiper. Nous faisions déjà de la e-réservation et du click&collect, mais pas de la façon la plus optimale possible. La solution ship from store (stocks web et magasin unifiés, ndlr) nous manque.


L’enseigne s’est installée à Beauvais et Saintes à l’automne 2020. - DR


FNW : Combien Naf Naf totalise-t-elle d’adresses? Suite à la reprise, avez-vous fermé ou ouvert des points de vente?

LM : Le parc compte en France environ 200 magasins, dont 125 succursales et 70 affiliés. A la reprise, nous avons fermé les corners en grands magasins, qui n’étaient pas rentables. Mais nous prévoyons déjà de nouvelles ouvertures, surtout en affiliation: sept sont déjà programmées en 2021. En ce moment, sur le marché français, des affiliés ont des relations compliquées avec leurs enseignes, certains d’entre eux sont intéressés et prêts à travailler avec Naf Naf. Quelques uns de nos partenaires existants ont aussi l’intention d’inaugurer une deuxième ou une troisième boutique Naf Naf. Nous ne visons pas un type de ville en particulier, c’est la qualité du partenaire et de son projet qui prime. Il est vrai que la marque est un peu plus provinciale que parisienne. Mais les opportunités se feront sans doute plus dans les villes moyennes, que les toutes petites localités.

En Europe, nous avons conservé les filiales espagnole et belge. Le réseau suisse a lui été cédé au groupe Etam. En Italie, c’est le manager de la filiale qui a repris l’activité à son compte. Nous allons relancer les ouvertures en Espagne, et regardons le marché allemand avec attention.

Au total, notre feuille de route liste une soixantaine d’ouvertures en France et en Europe pour les années à venir. Il y aura aussi des opportunités de reprise de réseaux en difficulté.

FNW : Sur le plan de l’offre et de l’image, visez-vous toujours la même clientèle ?

LM : Naf Naf va se transformer au niveau marketing: l’enjeu est de passer à l’après "grand méchant look", qui était la signature de la marque, mais qui ne parle pas aux 20-25 ans. L’équipe travaille un nouveau message qui doit rassembler les différentes générations, et permettre de recruter de plus jeunes consommatrices (l’âge moyen de la cliente Naf Naf est de 37 ans, ndlr).

Il ne faut pas que cela soit trop sérieux: la marque a été trop sage par le passé et manquait de modernité. Nous travaillons le second degré, et voulons retrouver l’esprit un peu barjot des frères Pariente (les fondateurs de Naf Naf, ndlr). Nous allons dévoiler cette nouvelle image au printemps, en même temps que notre travail sur le sujet de l’écoresponsabilité.

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