
Dominique Muret
10 juil. 2023
Luxe : des boutiques toujours plus grandes, pour des marques toujours plus fortes

Dominique Muret
10 juil. 2023
L’industrie du luxe se résume de plus en plus à une question d’échelle. En particulier concernant le commerce de détail. Si, depuis la pandémie, le nombre de boutiques dans le monde est resté plutôt stable, en revanche, la forme et la dimension des magasins ont fortement évolué. Avec, d’une part, la montée en puissance des géants de l’industrie trustant les meilleurs emplacements et des espaces énormes et, de l’autre, les acteurs plus petits ou de taille moyenne, qui doivent se contenter de ce qui reste. Tel est le constat dressé par Bernstein dans l’étude "Luxury Retail Evolution" réalisée pour l’association italienne des entreprises de luxe Altagamma.

"En quatre ans, depuis la crise du Covid-19, le réseau des boutiques de luxe dans le monde a très peu bougé, le parc augmentant d’à peine 0,5%, surtout en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Si l’on exclut Michael Kors, qui a fermé sur la période 132 boutiques, principalement aux Etats-Unis, le marché nord-américain s’est montré également attractif avec de nouvelles destinations, auparavant boudées par les maisons, telles que Saint-Louis, Detroit ou Austin", synthétise Luca Solca, auteur du rapport et analyste sénior en charge du luxe au sein du cabinet.
Le commerce de luxe se concentre dans un nombre réduit de 25 villes, avec en haut du classement, Tokyo, Séoul, Paris, Hong Kong, New York, Londres, Shanghai, Beijing, Osaka et Taipei. "Les grands investissements s’étant surtout concentrés dans la capitale française", souligne l’analyste, qui met en avant l’exemple du magasin amiral de Christian Dior, au 30, avenue Montaigne, entièrement rénové et agrandi en 2022. L’historique adresse, déployée désormais sur plus de 10.000 mètres carrés, s’est enrichie, au-delà de l’espace purement commercial, d’un café, d’un restaurant, de trois jardins, d’un musée où sont conservés entre autres la cabine des mannequins et le bureau du fondateur, ainsi que d’une suite réservée aux clients les plus aisés, qui veulent s’offrir une nuit dans les lieux.
"Il ne s’agit plus juste d’utiliser les matériaux les plus précieux, comme le marbre et autres, pour impressionner le visiteur, mais de transformer le magasin en un lieu unique et significatif, en lien avec les racines de la marque. L’idée, c’est de rendre cet espace mémorable et non réplicable, avec des éléments distinctifs et instagrammables, d’en faire une destination à part entière au même titre que d’autres sites touristiques parisiens incontournables", explique Luca Solca.
"Le navire amiral de Dior de l’avenue Montaigne est un magasin à plusieurs strates, conçu pour accueillir tout le monde et retenir le plus possible le consommateur. Il s’adresse aussi bien au visiteur qui dépensera quelques euros pour un café qu’à celui qui s’offrira la suite ou des pièces d’exception pour beaucoup plus", poursuit-il, en qualifiant ces nouveaux types de magasin de "machines à cash".

Ces points de vente de nouvelle génération nécessitent d’importants investissements, mais à l’échelle des grands groupes, ces coûts ne pèsent pas énormément, et ces "mégastores" se révèlent au contraire très profitables avec des chiffres d’affaires de centaines de millions d’euros et des marges élevées. Ils dépassent désormais leur rôle d’espace commercial et de support pour l’image des maisons, devenant de véritables attractions, estime l'étude présentée à Milan au cours d’une conférence.
Ce rôle se voit décuplé avec la multiplication d’initiatives parallèles, qui se sont développées de manière exponentielle ces dernières années au sein des magasins (collaborations, pop-up, animations, interventions artistiques dans la boutique ou sur les façades, restauration, expositions itinérantes, salons VIP, défilés, etc.). Elles ont permis à l’industrie du luxe d’augmenter ses ventes au mètre carré, "un indicateur phare, qui doit guider les entreprises du luxe, leur permettant de supporter les coûts fixes (loyers et salaires) et les investissements, tout en engrangeant des bénéfices", souligne Luca Solca.
Lutte déséquilibrée
"Ces initiatives, qui se sont traduites en avantages compétitifs, ont été peu à peu copiées par tous, mais leur accumulation et augmentation continue de la part des grandes maisons ont fini par créer une barrière infranchissable pour les marques plus petites. D’autant qu’en gérant en direct la grande part de leur réseau, ce qui leur permet de contrôler les prix et l’environnement, les grandes griffes se sont assurées une longueur d’avance, qui n’a fait que se creuser ces dernières années", note l’analyste, pour qui "le facteur de l’échelle est devenu un atout fondamental".
"Une entreprise moyenne avec un chiffre d’affaires de quelques centaines de millions d’euros ou même d’un ou deux milliards d’euros, ne pourra jamais rivaliser avec une société qui injecte 500 millions d’euros dans une seule boutique, comme l’a fait LVMH pour le flagship de Tiffany à New York", lâche-t-il.

Or, cette course au gigantisme se poursuit, comme l’illustre la disposition des marques au sein des nouveaux grands centres commerciaux en Chine, à l’instar du Plaza 66 ou du IFC Mall à Shanghai. "Il y a encore deux-quatre ans, si une griffe se déployait sur deux niveaux, cela était considéré comme un grand succès. Aujourd’hui, il faut disposer au minimum de quatre étages", relate l’analyste de Bernstein. Du coup, faute de place ou de beaux emplacements, plusieurs griffes ont dû sortir de ces grands complexes, à l’instar de Zegna, pourtant pionnière en Chine.
"Dans ces conditions, on ne peut pas jouer sur le même terrain. Il est clair que Louis Vuitton, Dior, Chanel et Hermès disputent un match à part", commente le directeur général d’Etro, Fabrizio Cardinali, qui participait à la conférence d’Altagamma. "Nous sommes confrontés à un marché du luxe toujours plus positionné de manière oligopolistique", conclut-il.
Avec moins de moyens, les entreprises de luxe de moyenne taille peuvent néanmoins agir sur d’autres leviers, comme la créativité, sans chercher à copier les grandes marques, ce qui s’avère souvent contre-productif. "Il faut du pragmatisme pour trouver des emplacements moins coûteux et une certaine dose d’humilité et de réalisme en utilisant originalité et inventivité pour se différencier", estime Luca Solca.
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