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20 juil. 2021
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Luxe: un marché italien en pleine recomposition

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20 juil. 2021

Les conséquences de la pandémie sont en train de bouleverser l’industrie du luxe en général et celle italienne en particulier. Après avoir revu leur distribution pour cause de fermetures de boutiques et d’arrêt de leur production, les maisons ont été poussées en 2020 à repenser leur modèle en accélérant sur le digital et le développement durable avec, à la clé, d’importants investissements. Beaucoup n’ont eu d’autres choix que de s’ouvrir à des investisseurs ou de nouveaux partenaires, comme en témoigne la déferlante d’opérations annoncées ces derniers mois. A l’instar d’Etro, qui vient de céder 60% de son capital à L Catterton, d’Ermenegildo Zegna, qui s’apprête à se coter sur la Bourse de New York, ou encore de LVMH, qui s’est adjugé ce mardi la majorité d’Off-White, après être monté à 100% dans Emilio Pucci le mois dernier.


La campagne printemps-été 2021 - etro.com


Les opérations se sont multipliées sur le marché transalpin car son tissu industriel est encore riche en pépites ainsi qu’en entreprises de moyenne-grande taille -les fameuses multinationales de poche-, toujours détenues par les familles fondatrices. Sans compter le pouvoir d’attraction qu’exerce plus que jamais le made in Italy dans un marché du luxe avide de marques historiques et authentiques. Parallèlement, les labels les plus fragiles, qui ont fortement souffert de la pandémie, ont dû faire appel aux aides de l’État. Ainsi Corneliani a évité la faillite en début d’année, grâce à un investissement injecté par son actionnaire Investcorp et par le gouvernement transalpin. Certains sont tombés dans l’escarcelle de groupes plus grands ou de fonds italiens.

En décembre 2020, Moncler a ouvert les danses en s’offrant Stone Island, fleuron du sportswear de luxe transalpin. Le mois suivant, la chaîne à bas coût OVS reprenait la marque et enseigne Stefanel. En mars, c’était au tour de la holding de Renzo Rosso, OTB (Only the Brave) d’annoncer le rachat de la griffe allemande Jil Sander, qui était déjà pilotée depuis l'Italie par le biais de Onward Luxury Group.

Au même moment, Made in Italy Fund, le fonds d'investissement opéré par la société de gestion Quadrivio Group, en joint-venture avec l’agence de communication Pambianco, s’emparait de la marque de prêt-à-porter contemporary Dondup, cinq mois après avoir mis la main sur le label de streetwear de luxe GCDS. En juin, le chinois Fosun s'offrait la griffe de souliers Sergio Rossi. Et il y a quelques jours, l’enseigne sicilienne Giglio.com annonçait son intention de se coter à la Bourse de Milan.

Raisons stratégiques et tactiques



"Deux raisons expliquent cette accélération de deals sur le marché. La première est stratégique. Les difficultés se sont accrues pour l’industrie. Avec la révolution digitale, accélérée par le Covid, le nombre de fronts sur lesquels les entreprises doivent dépenser a explosé", souligne Luca Solca, analyste senior en charge du luxe chez Bernstein. "L’autre est plus tactique. Le pic des multiples d’acquisition a probablement été atteint. Après les résultats du premier semestre 2021, nous allons voir une hausse des estimations pour les années 2021 et 2022 et une progressive modération des multiples", poursuit-il.

D’une manière générale, la concurrence s’est accrue, tandis que les investissements ont augmenté en termes de distribution, de produit, de communication, de digitalisation, de chaîne de production responsable et d’expansion à l’étranger, surtout en Chine, marché incontournable et fondamental pour le secteur. Si 2020 a poussé les griffes de luxe à réduire leurs coûts, rationaliser leurs process et assainir leur bilan afin de surmonter la crise du Covid, 2021 s’annonce comme l’année de la consolidation. Pour les groupes les plus forts, qui ont mieux résisté grâce à leur solidité et leur endettement limité, c’est sans aucun doute le moment idoine pour les fusions et les acquisitions.


La cotation de Zegna doit se réaliser via une Spac avec la holding italienne Investindustrial - © PixelFormula



"En fait, cette effervescence du marché était prévue avec, d’un côté, les géants du luxe et les griffes déjà très développées sur le digital, et de l’autre, les marques très spécialisées ou mono-produit ainsi que celles de taille moyenne, qui ont beaucoup souffert l’an dernier. Pour repartir et rester compétitives, elles ont besoin de finances, donc d’un partenaire ou d’un fonds d’investissement", analyse l’avocat Gianluca Ghersini du cabinet Gianni & Origoni, spécialisé en fusions & acquisitions dans l’univers du luxe et de la mode.

"Au rang des prédateurs, il y a les sociétés de capital-investissement, les grands groupes du luxe ou les holdings financières" - Gianluca Ghersini



Pour rappel, le secteur du textile-habillement transalpin, qui compte 45.000 entreprises et emploie 400.000 personnes, est passé d'un chiffre d'affaires total de 56 milliards d'euros en 2019, dont 32,8 réalisés à l'export, à 42,6 milliards (dont 27,5 milliards pour l'export) en 2020, selon les estimations de Sistema Moda Italia (SMI).

"Au rang des prédateurs, il y a donc les sociétés de capital-investissement, les grands groupes du luxe ou les holdings financières en quête d’opportunités ou de marques, ayant connu le succès par le passé, à relancer. Le Covid n’a fait qu’accélérer le processus", estime-t-il. "Nous allons assister à un phénomène d’agrégation, car seules et trop petites, ces entreprises n’y arrivent pas. Elles n’ont pas la capacité d’affronter les coûts supplémentaires générés par la pandémie. Les fournisseurs de la filière du made in Italy, souvent hyper spécialisés dans une catégorie de produit, seront amenés à se rapprocher, en élargissant leur gammes de services avec différentes typologies de produits complémentaires. Quant aux maisons nécessiteuses de capitaux pour se relancer, elles seront vraisemblablement rachetées", poursuit-il.

Autant dire que le marché de la Péninsule est en pleine ébullition, surtout si l’on y ajoute les opérations réalisées par différents fonds d’investissement italiens au-delà de leurs frontières. A commencer par Style Capital, qui a pris en décembre 2020 une participation majoritaire au sein de la griffe australienne de prêt-à-porter féminin Zimmermann. A la même période, Exor s’emparait de la griffe chinoise Shang Xia d’Hermès. La holding de la famille Agnelli, également actionnaire de contrôle du constructeur automobile Stellantis et de Ferrari, mais aussi du groupe de presse The Economist ou encore du club de foot Juventus, a pris également en mars dernier une participation de 24% au capital de la célèbre marque de souliers Christian Louboutin pour 541 millions d'euros.

Vers un front commun italien ?



Plusieurs observateurs sont prêts à parier qu’elle n’en restera pas là. Ils sont nombreux, en effet, à voir en Exor un potentiel agrégateur de marques de luxe. Luca Solca est l’un d’eux. "Nous allons probablement assister à des opérations de consolidation sur le marché du luxe italien. Exor me semble intéressée à jouer ce rôle", nous indique-t-il. Le groupe de Renzo Rosso OTB, qui constitue déjà un petit pôle de mode, est souvent cité aussi. Après avoir été longtemps les proies d’acteurs internationaux, des colosses français tels LVMH et Kering au fond qatari Mayhoola, qui détient entre autres Valentino, en passant par l’américain Michael Kors, qui a raflé Versace en 2018, les maisons italiennes semblent plus disposées désormais à faire front commun. L’idée d’intégrer différentes réalités du Made in Italy, de préférence complémentaires, au sein d’une nouvelle entité locale ne semble plus impensable.

"La création d’un grand groupe du luxe italien me semble encore lointaine", estime néanmoins Gianluca Ghersini. "Le problème, c’est que le marché reste très fragmenté et spécialisé. De plus, les Italiens ont toujours été enclins à raisonner davantage en termes industriels qu’en termes financiers, c’est pourquoi un pôle de ce type n’a jamais vu le jour dans la Péninsule", expose-t-il, tout en pointant la spécificité du marché italien: "la plupart sont des entreprises familiales, qui sont généralement bien gérées, mais présentent deux limites, celle du développement et celle de la succession. Le marché transalpin peut donc offrir des opportunités très intéressantes car le secteur a certainement besoin de capitaux et de managers".


Giorgio Armani est au centre d'intenses spéculations - SGP



Ce n’est pas un hasard si les groupes, dont les noms circulent le plus en ce moment dans les coulisses des banques et des cabinets financiers, sont ceux de Giorgio Armani et de Dolce & Gabbana, qui sont encore aux mains de leurs fondateurs et n’ont pas de successeurs… Parmi les proies potentielles sont évoquées aussi Salvatore Ferragamo, autre entreprise familiale, tout comme Brunello Cucinelli, cotée en Bourse.

D'autres deals pourraient être annoncés cet été



Au printemps dernier, Dolce & Gabbana démentait un éventuel rapprochement avec Kering, mais se disait ouverte à se rallier "à un projet italien plus large". De son côté, Giorgio Armani admettait pour la première fois qu'il était envisageable pour son groupe "de penser à une liaison avec une importante entreprise italienne", pas nécessairement du secteur de la mode. Sans donner plus de détails, le couturier indiquait juste "qu’un acheteur français n’était pas envisagé". 

En attendant, la filière de la production transalpine a commencé à se réorganiser. En octobre 2020, les fonds VAM Investments, Fondo Italiano d’Investimento et Italmobiliare ont donné naissance à Gruppo Florence, le présentant comme  "le premier pôle productif pour l’habillement de luxe en Italie". En quelques mois, cette nouvelle entité a incorporé quatre fabricants historiques italiens: Giuntini SpA (outerwear et tissu léger), Ciemmeci Fashion Srl (produits en cuir et fourrure), Mely’s Maglieria Srl (maille) et Manifatture Cesari (spécialisé dans le jersey).

En 2020, les managers de Onward Luxury Group, la filiale luxe du groupe japonais en Europe, ont repris les actifs de la société qui a été démantelée, pour créer la nouvelle entité High Italian Manufacturing co. regroupant cinq fabricants spécialisés dans la chaussure, la maille, la maroquinerie et l’habillement, et plusieurs petits labels.

Autre exemple, jusqu’ici impensable en Italie, l’association de Prada et d’Ermenegildo Zegna qui, dans un partenariat inédit, ont acquis, chacune 40% de la filature italienne Filati Biagioli Modesto, spécialisée dans la production de cachemire. Dans un entretien récent ,Renzo Rosso affirmait lui aussi vouloir faire des acquisitions dans sa chaîne d’approvisionnement.

Entre fournisseurs et marques, le marché italien risque de bouger encore et de réserver quelques surprises dans les prochaines semaines. Il se murmure que deux à trois opérations devraient être annoncées d’ici à la trêve estivale.

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