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28 juin 2013
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Michel Roueau: "Une filiale, avec un chiffre d’affaires inférieur à 8 millions, ce n’est pas rentable"

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28 juin 2013

Ancien directeur international de VF Lingerie ou Europe de Stride Rite (Keds etc.), Michel Roueau a fondé en 1998 The Lifestyle Company. La société est spécialisée dans la distribution de marques en France dont Barbour, Ben Sherman, Fred Perry… A la veille du Bread&Butter, qui démarre ce 2 juillet, il livre à FashionMag ses réflexions sur le secteur et sur les avantages de passer par une structure comme la sienne. Avec 70 personnes et 1 000 mètres carrés de showroom à Paris, à deux pas de Citadium, la société a mis en place une organisation qui lui permet d’intégrer, si l’opportunité se présente, de nouvelles marques. En revanche, sur la partie commerciale, chacune reste autonome.



Michel Roueau, l'âme d'un entrepreneur!




FashionMag: Vous avez récupéré en début d'année la distribution de Hunter et de Manhattan Portage. Comment choisissez-vous les marques avec lesquelles vous travaillez? Par complémentarité ou homogénéité?

Michel Roueau: C’est un peu des deux. Les deux notions ne se combattent pas. Nous sommes contactés par des marques plus ou moins connues car nous sommes le plus important importateur de marques lifestyle en France. Aujourd’hui, vous entendez lifestyle par ci, lifestyle par là, dans l’hôtellerie, l’alimentaire… En 1998, année de création de la société, on parlait tout au plus de Fridaywear.

FM: De cette observation vous est venue l’idée?
MR: Le Fridaywear est une tentative américaine d’être décontracté le vendredi. Mais cela, sous cette forme, n’a jamais pris en Europe. A l’époque, les hommes portaient par exemple le week-end les chemises qui n’étaient plus portables en semaine, soit au bureau. J’étais convaincu qu’il y aurait un changement de fond, que les consommateurs se mettraient à se faire plaisir pour s’habiller le week-end et tout simplement pendant les moments de détente. Au départ, The Lifestyle Company était un nom de code à la manière de The Nature Company.

FM: Vous êtes sollicités, alors comment sélectionnez-vous concrètement?
MR: Nous nous concentrons sur des marques iconiques, internationales, qui appartiennent à des groupes solides et qui ont une vraie politique de développement international. En observant, il y a quatre profils de marques: celles qui n’exportent pas du tout, celles qui le font simplement, les sociétés internationales qui prennent en compte les besoins spécifiques et enfin les globales, comme Nike ou Ralph Lauren. Nous voulons également des marques dont le potentiel de chiffre d’affaires en France est supérieur à 5 ou 6 millions d’euros.

FM: La marque doit-elle déjà être établie en France par exemple pour que vous en repreniez la distribution?
MR: Ah, j’avoue qu’avec le temps j’ai un peu moins de patience. Lancer en France une marque, même connue à l’international, mobilise beaucoup de ressources pour un résultat incertain. Il y a déjà beaucoup de marques sur le marché français qui ne sont pas satisfaites de leur distribution actuelle, voire même de leur filiale. Manhattan Portage, c’est un peu l’exception à la règle. La griffe new-yorkaise vient concurrencer Eastpak. Hunter en revanche, c’est pour moi la marque de référence dans la botte.


Manhattan Portage fête cette année ses trente ans



FM: Quel intérêt ont les marques à faire appel à un importateur, hormis le fait que vous passiez vous-même les précommandes?
MR: Il n’y a pas beaucoup d’options pour se déployer sur un marché étranger. La licence à la manière d'un Woolrich, l’agent, le distributeur et la filiale. Or, une filiale, avec un chiffre d’affaires inférieur à 6 ou 8 millions d’euros, ce n’est pas rentable, ce n’est pas possible. Et de plus, c’est difficile de trouver un dirigeant de filiale qui tienne le coup avec ce volume. Qui attirer, si vos investissements marketing et publicité ne dépassent pas les 500 000 euros, soit 10% d’un chiffre d’affaires de 5 millions? De plus, il y a une tendance, une mentalité, avec la crise peut-être, qui est que les sociétés veulent se concentrer sur leur savoir-faire, le produit. Le bon exemple en est Barbour.

FM: C’est-à-dire?
MR: Barbour a eu une filiale pendant vingt ans avant de nous confier la distribution. La filiale avait un savoir-faire historique sur le créneau de la pêche et de la chasse. La solution aurait pu être de la garder mais, dans ce cas, il fallait recruter et compléter les forces de vente. Ou, alors, la marque décide d’investir en amont, soit le produit, et de sous-traiter la distribution à une structure qui maîtrise le réseau lifestyle.

FM: Cette tendance, selon vous, va perdurer?
MR: La crise va renforcer ce changement. De nombreuses filiales ont des ventes qui n’excèdent pas les 10 millions d’euros. Leurs maisons mères seraient ravies de les fermer si elles avaient un plan B.

FM: Peut-on parler d’un label The Lifestyle Company? Car vous n’avez pas de concurrent.
MR: Notre logo, c’est une étoile dont les branches symbolisent les marques. Certaines marques sortent du cadre… C’est le Thinking out of the Box… C’est notre stratégie résumée dans ce cadre. Il n’y a pas vraiment de concurrent. Royer, c’est le business en licences et Robert Dodd, c’est un agent. Nous, notre équation nécessite beaucoup de capitaux. Nous achetons les produits, les stockons, gérons les douanes, les livrons etc. The Lifestyle Company, c’est un peu comme VF, chez nous, c'est le trait d’union entre nos marques.

FM: Pourquoi vous limitez-vous à la France en termes de marché?
MR: La réponse est simple. Prenez une petite marque américaine… elle a une vision continentale de l’Europe. Elle souhaiterait un même interlocuteur du Nord au Sud. Mais, les marques iconiques, elles ont bien compris que chaque pays européen a sa spécificité et elles veulent le meilleur interlocuteur dans chaque pays. Nous préférons en clair travailler avec 50 marques sur la France qu’avec 5 dans 10 pays. Je sais à quel point la connaissance régionale est importante. Je n’ai aucune connaissance pour Séville, Florence etc. Si je délègue à un agent, je perds la force du savoir-faire de The Lifestyle Company.

FM: Vous êtes en contact avec les marques et avec les détaillants. Quel est votre sentiment sur la situation actuelle?
MR: D’une façon générale, on sent bien que les marques sont devenues plus exigeantes. La situation globale est compliquée. Nous avons une solidité financière et nous continuons à investir. C’est sûr que le printemps/été 2013 ne restera pas dans les annales. Mais, selon moi, le moyen de gamme est mort. C’est mort en termes de marques et de distribution. Après, restent l’entrée de gamme et le haut de gamme.

FM: Enfin, le haut du moyen de gamme?
MR: Oui. Nous nous focalisons sur le haut du moyen de gamme avec des polos Ben Sherman ou Fred Perry dont les prix de vente oscillent entre 69 et 99 euros. Un polo à 49 euros, c’est trop pour ceux qui n’ont pas d’argent et souvent pas assez aspirationnel pour ceux qui ont de l’argent. C’est le positionnement de mes marques qui nous a protégés. Cela nous a permis d’être au-dessus des turbulences. Ce qui est clair, et ce pour plein de raisons, l’été 2013 est compliqué pour de nombreuses personnes.

FM: Vous ne faites que du wholesale. Les marques compensent souvent avec leur retail?
MR: Ce n’est pas vrai que le retail compense le wholesale. Il y un vrai problème de consommation. Là, nous ne savons même plus comment nous habiller. Un degré de moins, c’est une baisse de 1% des ventes. Les monomarques ont la même problématique. Les chiffres sont faussés, souvent en raison des ouvertures de points de vente.

FM: Et les détaillants?
MR: Ils sont inquiets. Ils ne savent pas trop, entre la météo, la politique, le chômage… Après, quand on veut tuer un chien, on dit qu’il a la rage. Il y a une crise de confiance et les gens sont déboussolés. Avant, les causes d’une baisse des ventes chez les détaillants étaient simples, comme un retard dans les livraisons. Là, on a l'impression que le plancher se dérobe. Pour moi, il y a une illusion d’optique. Nous avons eu peu très peu de problèmes d’impayés ; donc, ça ne va pas si mal. On voit que les gens ont eu du mal mais, dans ce mal, on s’en est bien sorti. Tenez Barbour, c’est une marque qui a profité de la météo. Il y aura une baisse des achats chez les détaillants. C’est à nos équipes d’expliquer que les taux de sortie de nos collections sont élevés.

FM: Et les salons. Quel rôle jouent-ils aujourd’hui?
MR: Je suis sceptique sur les salons. Quand on embarque dans une logique purement commerciale… En clair, tu paies tu exposes. Cela perd de son côté élitiste en termes de mode. Aux Etats-Unis, y a des tables sur les stands et des acheteurs qui notent. Ici, c’est devenu très informatif comme rendez-vous. Après les bons détaillants se déplacent.

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