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Publié le
21 oct. 2022
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Miran Ali (industrie bangladaise): "Si Camaïeu est rachetée, son acquéreur devra payer ses dettes s'il veut produire au Bangladesh"

Publié le
21 oct. 2022

En tant que vice-président de l'association bangladaise des fabricants bangladais d'habillement (BGMEA), l'industriel Miran Ali est un observateur aguerri des mécanismes globaux de l'industrie textile. A ce titre, le dirigeant a vu de près le grippage, avec la pandémie de Covid-19, des lignes de productions, mais aussi constaté que les événements politiques internationaux (Ethiopie, Birmanie, Xinjiang…) ont aidé le textile bangladais à dépasser en 2021 les niveaux d'avant-crise. De passage à Paris, le représentant de la filière livre à FashionNetwork.com son analyse des événements, et les leçons tirées du Rana Plaza, près de dix ans après le drame. Aussi, suite à la faillite de Camaïeu, le patron du groupe textile Misami Garment livre un avertissement aux marques françaises et occidentales : les portes du Bangladesh seront désormais légalement fermées aux marques qui tenteraient de se relancer sans rembourser préalablement leurs anciens fournisseurs locaux.


Mira Ali - BGMEA



FashionNetwork.com : Vous suivez de près la situation des marques occidentales, vos clientes. Comment analysez-vous des faillites comme celles de Camaïeu ?

Miran Ali : Je connais Camaïeu depuis 20 ans, cela a été une très belle société. Durant la crise sanitaire, ils ont eu des soucis, et ont été rachetés par FIB, la nouvelle structure, qui reprenait en grande partie l'équipe préexistante. La réputation d'affaires de son repreneur FIB a été utilisée comme argument commercial pour convaincre les fabricants de la solidité de la marque. Là où les problèmes commencent, c'est qu'ils ont fait une demande: le paiement des commandes à 90 jours. Sur le principe, ce délai n'est pas un souci avec un partenaire fiable. Inditex ne travaille qu'à 90 jours, par exemple. Nos usines ont fait confiance à Camaïeu. Ce que, avec le recul, elles n'auraient pas dû faire. Car voilà que Camaïeu est en faillite.

FNW : Beaucoup de fournisseurs bangladais se trouvent aujourd’hui en difficultés ?

MA: Nous avons au Bangladesh des usines assises sur au moins vingt millions de dollars de biens et matières qui ont été importés, transformés, voire déjà expédiés à Camaïeu. Nous sommes à l'heure actuelle en train de compiler les données pour déterminer combien de sociétés sont concernées et sur quelles quantités. La Banque Centrale du Bangladesh n'offre pas de recours face aux clients étrangers en faillite. En outre, l'État détaxe nos importations de matières contre l'engagement que le produit fini sera exporté: comme les matériaux achetés pour Camaïeu n'ont plus de clients, les industriels vont être taxés.

Autre problème: la loi européenne ne donne pas de latitude pour indemniser les fournisseurs, nous arrivons en bas de la liste des priorités. Des industriels bangladais, marocains et autres, vont affronter d'énormes difficultés financières, connaitre des difficultés à payer les salaires, sans aucun recours.

Mais je peux vous promettre une chose: si Camaïeu, qui produit à environ 60% au Bangladesh, est rachetée, son acquéreur devra payer ses dettes s'il veut produire au Bangladesh. Sinon, la marque ne pourra plus jamais produire au Bangladesh, et sans doute dans d'autres pays.

Un "aide-mémoire" pour toutes les marques



FNW : De quel moyen disposez-vous pour bannir une marque de vos lignes de productions ?

MA: Il se trouve que nous avons déjà connu des expériences similaires. L'une fait jurisprudence. Quand le britannique EWM (Edinburg Woollen Mill) a fait faillite, le directeur financier a racheté l'entreprise, et l'ancien directeur est devenu consultant. Malgré les arriérés envers nos fabricants, ces personnes sont revenues les voir pour des commandes, et ont même demandé des rabais de 80%.

Nous sommes allés en justice. Et pour la première fois nous avons fait légalement acter une chose: certes il s'agit techniquement d'une nouvelle entreprise. Mais si celle-ci veut opérer les mêmes marques (Peacock, Jaeger…), aucune entreprise du Bangladesh n'est autorisée à exporter pour ces marques. À moins que l'entreprise ne paye les arriérés de celles-ci, et ne reçoivent ensuite un feu vert de la justice bangladaise.

Et bien nous allons faire la même chose avec Camaïeu. Je n'appellerai pas cela une "leçon", mais un "aide-mémoire" (en français, ndlr) pour toutes les marques françaises. Notamment celles qui seraient tentées de ré-évaluer leurs activités et oublier leur situation passée en espérant revenir sur notre marché sans conséquence. Maintenant que l'ensemble de la chaine d'approvisionnement se coordonne, cela ne leur sera pas si facile. Notamment grâce à la constitution de la Sustainable term of Trade Initiative (STTI, ndlr).

FNW : Quel est le rôle de cette STTI, dont vous êtes un porte-parole ?
 
MA: La STTI réunit dix pays producteurs d'habillement: Chine, Bangladesh, Pakistan, inde, Cambodge, Vietnam, Birmanie, Indonésie, Maroc et Turquie. L'Initiative s'adosse notamment à l'International Apparel Federation (IAF). L'objectif de cette structure est de réinitialiser ("reset", ndlr) l'équilibre des pouvoirs dans l'industrie de l'habillement. Nous sommes une industrie étrange, dans le sens où il n'y a pas de contrat à long terme et d'ententes entre fournisseurs et acheteurs.

En tant qu'entreprise, nous sommes toujours en difficulté pour négocier seul sur ces sujets. En tant que pays, on ne peut négocier que jusqu'au point où cela ne dessert pas l'intérêt national. Mais, si les pays avancent groupés, on peut négocier proprement, de façon plus juste, avec marques et donneurs d'ordres. Avec la future législation européenne sur le devoir de vigilance, il est d'autant plus important que l'UE ne regarde plus ses partenaires commerciaux comme des pays individuels sur lesquels on peut faire pression, d'une façon ou d'une autre. Mais bien comme un bloc de pays ayant des intérêts communs.


Shutterstock



FNW: Cette coordination des pays intervient au sortir d'une crise sanitaire complexe pour l'industrie mondialisée. Comment votre filière a-t-elle vécu cette période ?

MA: Le Covid-19 nous a posé une vraie crise existentielle. En mars 2020, nous assistions à l'arrêt total de notre industrie. Presque toutes les marques nous ont retiré l'assurance de commandes futures. Mais pas toutes: certains groupes comme H&M ou ID Kids (Okaïdi) ont continué à prendre leurs commandes malgré leurs magasins fermés. Voilà ce que j'appelle un vrai partenariat et, en tant que fournisseurs, nous nous en souviendrons toujours. Mais la plupart des sociétés ont dit "on annule tout" ou "on revient vers vous".

Notre gouvernement a pour la première fois pris une disposition spéciale, assurant le paiement des ouvriers textiles (mais pas des cadres) durant trois mois. Mais cela a posé un défi: le paiement ne devait pas passer par les entreprises, mais aller directement de la banque à l'ouvrier. Il a donc fallu en trois semaines créer des comptes bancaires pour l'ensemble des travailleurs textiles du Bangladesh. Cela a été un énorme défi domestique.

Côté commandes, les choses se sont stabilisées vers fin avril 2020, et certaines marques sont revenues progressivement. Mais vinrent ensuite les montagnes russes, avec notamment les reconfinements européens fin 2020. Au premier semestre 2021, la filière a fait le va-et-vient entre optimisme et pessimisme. Puis mi-2021 une convergence d'évènements ont transformé le marché textile à notre avantage.

FNW : Quels événements ?

MA: Le premier a été la guerre civile en Éthiopie, qui a mis à mal une zone de production encore réduite mais néanmoins en forte croissance. Il y a par ailleurs eu le coup d'État en Birmanie, qui a conduit nombre de marques à ne plus produire sur place, ou au moins à envisager de ne plus le faire. Le troisième élément a été le bannissement du coton du Xinjiang. Ce bannissement est certes américain, mais quand vous êtes un groupe international, si vous acheter au Xinjiang, vous risquez de contaminer tous vos stocks. Donc le "ban" américain a aussi eu un impact sur les marques européennes. Puis, dans la dernière partie de 2021, la gestion vietnamienne du Covid-19 s'est effondrée, et la partie sud du pays a été confinée, et la production textile réduite de 70%.

Tous ces événements ont fait que Bangladesh, Indonésie, Pakistan et Turquie sont devenues les seules sources possibles pour un approvisionnement assuré. Car, dans la chaussure, si vous n'achetez pas au Vietnam, ça vous laisse l'Indonésie. Si vous voulez du denim, cela laisse Bangladesh ou Pakistan. Quant à la Turquie, elle bénéficiait déjà quant à elle de sa situation monétaire hors-norme, qui l'amène à être aujourd'hui l'un des exportateurs en plus forte accélération. Pour le Bangladesh, les montagnes russes ont néanmoins continué en 2022. Notamment pour des raisons logistiques. Car les retards de livraison ont un effet à moyen terme.

Réduction des commandes pour l'été 2023



FNW : La crise du fret en 2021/22 pénalise les commandes pour 2023 ?

MA : Le trafic ralenti des navires a fait effet boule de neige. En 2022, les grands ports américains ont pris des retards de 28 à 45 jours pour accueillir les navires. Certains des produits arrivaient comme prévu pour le printemps-été, mais d'autres sont arrivés trop tard pour la saison. Cela a causé un effondrement des gestions de stocks. Les marques ont donc dû réduire leurs commandes pour l'été 2023, car elles vont devoir l’an prochain écouler les produits de l’été 2022 qui étaient arrivés trop tard. Et cela, c'est juste un exemple, car il y a d'autres défis en Europe.

FNW : La guerre en Ukraine impacte également vos commandes ?

MA: La Russie elle-même était un marché grandissant pour le textile bangladais, atteignant presque le milliard de dollars dans nos exportations. Mais la moitié de nos exportations vers la Russie étaient du fait d'enseignes européennes vendant en Russie: H&M, Decathlon, Zara, Bestseller et autres… Quand ces marques ont suspendu leur activité russe, c'est donc pour nous la moitié de ce marché qui a disparu. Pour les marques, c’est une chute de chiffre d’affaires qui limite leur capacité à nous commander de futurs produits. En outre, cela intervient à un moment où leurs clients voient leur pouvoir d’achat impacté par la guerre.


Le Bangladesh Denim Expo à Dhaka en 2017 - Shutterstock



FNW : Cet enchainement d'événements est intervenu alors que le Bangladesh investissait massivement dans les usines vertes. Cette ambition a-t-elle été freinée ?

MA:  Nous partons du constat que la prospérité à long terme du textile bangladais dépendra de la compétitivité de notre pays, et en particulier sur les questions de responsabilité. Nous sommes sur ces points plus "compliant" (conformes, ndlr) que nos principaux concurrents internationaux.

Notre objectif est de donner aux marques une base durable d'approvisionnement dont elles peuvent être sûres qu'elle ne viendra pas causer du tort à leur réputation. Nous avons le plus grand nombre d'usines vertes au monde, et ce nombre va croissant. Nous avons 57 entreprises classées "platinum" et 105 "gold" (selon le classement de l'ONG américaine US Green Bulding Council, ndlr).

FNW : Début 2020, l'ex-présidente du BGMEA nous parlait de la problématique de dépendance du Bangladesh aux pièces en coton, à certains types de produits, et aux commandes occidentales. Où en est cette réflexion aujourd'hui ?

MA: L'Amérique du Nord, l'Europe de l'ouest et maintenant l'Australie sont notre cœur d'activité. Nous regardons désormais vers le Japon et, par extension, ver la Chine. Mais aussi, de façon plus surprenante, vers l'Inde. Notamment parce que c'est intéressant pour les marques internationales de produire au Bangladesh les produits destinés au marché indien.

L'un de nos constats est que l'un des marchés en plus forte croissance est l'athleisure, mais que le Bangladesh était quasiment inexistant dans ce domaine. Nous y progressons désormais, grâce à des acteurs comme Decathlon, qui produit une bonne part de ses pièces en tissu synthétique chez nous. Nous travaillons quasi-exclusivement le coton, et il n'y a par le passé pas eu assez d'investissements autour des matériaux synthétiques. Or, pour rester compétitif, il nous faut certaines capacités liées au synthétique. Pas toutes, mais au moins une partie, pour pouvoir être réactif sur les commandes. Car, encore une fois, le marché de la mode repose sur la vitesse, pas sur les matériaux que vous avez sous la main. Et l'un des moyens d'être rapide, c'est par la logistique. Et le Bangladesh va connaitre sur ce terrain des changements profonds dans les cinq ans.

Hub logistique aérien et port en eau profonde



FNW: De nouvelles infrastructures pour accélérer les livraisons à l'Occident ?

MA: Un nouveau terminal d'aéroport est en préparation, qui inclura un hub logistique pour l'import/export. C'est important pour notre approvisionnement matières. Car, pour l'heure, importer par les airs nous est très problématique.

Un autre projet clef est notre port en eau profonde qui sera lancé en 2025/26. Avant de gagner l’Occident, les navires venant de Shanghai et Singapour s'arrêtent à Colombo (Sri Lanka). Or, à Colombo, 80% de ce qu'ils chargent sont des productions bangladaises. Quand nous aurons notre propre port en eau profonde sur l'île de Sonadia (sud-est du pays), nous deviendrons leur arrêt prioritaire. Et nos marchandises gagneront du temps, car les cargos ne s'arrêteront plus nécessairement à Colombo avant de gagner Europe et Amérique.


Shutterstock



FNW : En avril, cela fera dix ans depuis l'effondrement du Rana Plaza. Quelles traces laissent aujourd'hui ce drame dans votre stratégie de filière ?

MA: Chacune de nos actions vient des leçons tirées du drame national qu'est le Rana Plaza. Et j'espère d'ailleurs que ces leçons ne profitent pas qu'au Bangladesh, mais bien à l'ensemble des pays industriels. En juin dernier, nos représentants sont allés à Genève signer avec l'Organisation Internationale du Travail (ILO) un nouveau régime d'indemnisation des accidents du travail. Car nous reconnaissons que l'actuel compensation de nos travailleurs en cas d'accident ou décès est insuffisante. L'objectif est donc d'instaurer une meilleure compensation pour ce qu'il se passe en usines comme à l'extérieur. C'est un pilote de trois ans conduit par les marques, qui sera ensuite financé par les industriels.

Le Rana Plaza a aussi eu un impact sur le long terme, avec la création du ReadyMade Garment Sustainably Council (RASC). Cette instance, que je dirige, a pris en 2020 le relais de "l'Accord on Fire and Building Safety". Il réunit marques, syndicats et industriels qui, dans une cohabitation peu commune, ont pour rôle de résoudre les soucis qui leur sont remontés du terrain. Le RSC, qui fonctionne d'ailleurs bien mieux que ne l'a fait l'Accord par le passé, est mandaté par le gouvernement bangladais sur ces questions. Nous devons donc répondre aux autorités locales tout comme nous devons répondre aux plus hauts standards internationaux. L'instance syndicale IndustriALL souhaite d'ailleurs que des structures similaires se créent ailleurs, notamment au Pakistan et au Maroc. Au Bangladesh, le Rana Plaza a pour de bon fait entrer la sécurité des sites et la transparence dans l'ADN de notre filière. Nous ne voulons plus fuir les problèmes.

 

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