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27 oct. 2022
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Mode et luxe face à une recomposition géographique des marchés

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27 oct. 2022

Les tensions géopolitiques générées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les suites de la pandémie et la crainte d’une imminente récession conditionnent fortement le secteur du luxe. Alors qu’il y a un an, la reprise semblait au rendez-vous, l’industrie est confrontée aujourd’hui à une instabilité chronique, qui l’oblige à repenser ses débouchés et à redessiner son réseau géographique, comme l’ont illustré les participants du colloque Milano Fashion Global Summit 2022 (MFGS), qui s’est tenu virtuellement le 25 octobre.


Les griffes misent sur l'Asie, telle AMI qui vient de défiler à Séoul - AMI Paris

 
La Chine constitue le grand point d’interrogation. "Certes il y a eu depuis quelques mois une levée des confinements, qui s’est accompagnée de signaux positifs, avec un pic des ventes en juillet et août, mais je crois qu’à court terme la Chine peut représenter une menace et devrait impacter aussi les estimations pour 2023. Après des croissances à deux chiffres ces deux dernières années, l’an prochain on sera plutôt sur une hausse à un chiffre", estime Francesca Diviccaro, responsable pour le secteur retail et luxe de la division IMI corporate & investment banking de la banque Intesa Sanpaolo.
 
L’analyste continue néanmoins de voir en ce pays une opportunité. "Le plus grand marché du luxe en 2025 sera celui chinois, porté par la prospérité de la classe moyenne, par la génération des jeunes, mais aussi par une reprise ou un début de business dans les villes de second rang", glisse-t-elle. Une position partagée par le directeur financier de Kering, Jean-Marc Duplaix, qui considérait lors de la récente publication des résultats trimestriels du groupe que, malgré le ralentissement économique et les problèmes liés au Covid, la Chine gardait tout son potentiel.

Pour sa part, le PDG de Dolce & Gabbana, Alfonso Dolce, pense qu’il "faudra au moins six à dix-huit mois pour retrouver un équilibre total et pour revoir une nouvelle Chine, qui sera probablement plus forte qu’avant". "Cette reprise permettra une nouvelle économie d’échelle avec des caractéristiques différentes, encore plus qualitatives, où le consommateur n’achète plus un produit, mais un sentiment d’appartenance à un style de vie, à un rêve, et dans notre cas à un rêve italien", souligne-t-il.
 

Les Américains fortunés font leurs achats en Europe



Le scénario a également un peu changé aux Etats-Unis, nouvel eldorado de l’industrie depuis un peu plus d’un an. Si les ventes de biens de luxe y ont été performantes au premier semestre, la croissance s'est révélée marginale entre juillet et septembre, car les Américains ont préféré faire leurs emplettes en Europe, bénéficiant d’un dollar fort. "Même si une grande partie de la demande s’est déplacée en Europe, l’Amérique du Nord reste un marché fort, car il est sous-pénétré par le secteur du luxe", note Chiara Rotelli, directrice exécutive, analyste senior pour les biens de luxe chez Mediobanca.
 
"Les Etats-Unis restent un marché important pour le développement retail, offrant aussi la possibilité de croître par périmètre", poursuit-elle. De New York, où elles se sont implantées en nombre, les griffes migrent désormais vers d’autres villes, telles la marque Stone Island, qui vient d’inaugurer une boutique à Chicago, ou Zegna, à San Francisco. Kering a aussi un plan d’ouvertures important dans cette région, comme l’a laissé entendre Jean-Marc Duplaix. Selon lui, "clairement, les Etats-Unis et les Américains ont été la locomotive du secteur ces derniers trimestres. C’est un marché qui a changé pour l’industrie du luxe, qui est très prometteur, avec un potentiel très fort sur le long terme".
 

Stone Island a choisi Chicago pour inaugurer son nouveau concept de magasin - ph Marco Cappelletti -Stone Island OMA/AMO


Enfin, on assiste au grand retour du Vieux Continent. "Au niveau géographique, avec le retour des flux touristiques et la reprise de la consommation locale, c’est l’Europe qui a tiré le marché du luxe en 2022, alors qu’elle était en queue de peloton en 2021", indique Francesca Diviccaro. "C’est la région où nous avions le plus d’interrogations sur le court terme, compte tenu de la situation économique et géopolitique", admet le directeur financier de Kering, tout en se réjouissant que le groupe ait continué à investir en Europe.
 

"Le Moyen-Orient  est la nouvelle Chine" - Gildo Zegna



A côté de ces trois marchés stratégiques pour le monde du luxe, d’autres régions confirment leur potentiel ou se profilent comme de futurs débouchés intéressants. "Il y a des marchés qui doivent être particulièrement suivis. L’un a déjà explosé, il s’agit de toute la zone des Emirats arabes unis et de la Turquie, qui surfent sur les dépenses des Russes", constate Francesca Diviccaro. Le PDG du groupe Zegna, Gildo Zegna, n’hésite pas à affirmer quant à lui que "le Moyen-Orient est la nouvelle Chine".
 
Avec les restrictions européennes visant la Russie depuis qu’elle a envahi l’Ukraine, la plupart des maisons de luxe ont stoppé leurs activités dans ce territoire, tout en y conservant leurs actifs. Des enseignes comme Sephora et Inditex y ont en revanche cédé leurs activités. Certaines régions comme celle des Emirats arabes unis, qui n’ont pas imposé de sanctions, ont attiré depuis les milliardaires russes et leurs investissements. Oligarques et entrepreneurs ont trouvé refuge notamment à Dubaï.

"Les Emirats arabes unis ne sont plus des pays séparés mais constituent un écosystème avec une propre économie, à l’intérieur d’un même grand territoire", analyse Alfonso Dolce. "Les marchés évolués ne sont plus seulement représentés par les grandes villes, mais par l’extension des territoires d’agrégations des grandes villes, qui crée de nouvelles macro-aires se développant dans leur périphéries ou d’autres régions", poursuit-il.
 
Selon Francesca Diviccaro, "il y a en effet d’autres marchés où l’on peut entrevoir des parcours de croissance intéressants, parmi lesquelles le Japon, la Corée du Sud et les régions de l’Amérique du Sud".  Alfonso Dolce confirme. "Il y a de nouveaux marchés qui s’ouvrent au-delà des capitales. Par exemple, au Brésil, il y a au moins sept ou huit villes représentant la nouvelle économie du pays, telle Goiânia, qui est portée par un important développement immobilier". Le dirigeant invite à suivre ces villes "où il y a encore une envie de consommation, avec une clientèle qui s’essaie pour la première fois à un achat émotionnel".

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