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3 avr. 2020
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Mode Grand Ouest : repenser une filière régionale pour produire des masques

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3 avr. 2020

Une filière textile ne se réorganise pas facilement en fournisseuse de masques médicaux. A l'image des différents pôles textiles tricolores, l'organisme Mode Grand Ouest en a fait l'expérience, se confrontant à de nombreux défis en termes d'approvisionnement et de logistique. Et l'amenant à constituer un système centralisé de fournitures des tissus et de répartition des produits finis, comme nous l'expliquent ses dirigeants.


Mode Grand Ouest


L'ensemble des productions de l'Ouest étaient stoppées, le mardi 17 mars. Les ventes de produits de luxe à l'export étaient d'ores et déjà tombées de plus de 50 %, en raison de la crise chinoise. Tandis que les approvisionnements, en grande partie dépendants du textile italien, pâtissaient du confinement transalpin. Surtout, les incertitudes d'alors quant à la durée de vie du virus sur une matière inerte ne permettaient pas de garantir la sécurité des personnels. Mais alors que la pénurie de masques commençait à faire parler, la présidente de Mode Grand Ouest, Sylvie Chailloux (Textile du Maine), et son délégué général Laurent Vandenbor, se sont rapidement interrogés sur la possibilité d'y remédier.

"Décision a été prise de solliciter l'ensemble des membres de notre corporation", explique Laurent Vandenbor. "La moitié environ ont répondu présent, soit une trentaine d'unités. Qui ont elles-mêmes sollicités leurs salariés sur la base du volontariat. 300 salariés ont répondu à l'appel (15 % des effectifs habituels de la région, ndlr). La production a démarré le 23 mars, après validation de notre premier modèle par la DGA (direction générale de l'armement, ndlr). Sachant qu'il a fallu trouver un volume d'opérateurs cohérent avec ce que l'on allait arriver à trouver comme matériaux."

Car, et c'est là l'une des premières difficultés de ces productions improvisées de masques, gérer les achats de ces matériaux spécifiques s'avère lourd à porter pour des PME, notamment au niveau financier. C'est là que Mode Grand Ouest a fait intervenir l'une de ses associations, l'APHO (Association pour la promotion de l'habillement de l'Ouest), amenée à agir comme le pivot central de tout le dispositif. La structure gère les commandes et l'intendance, ainsi que le pilotage de production et la mise en marché des produits. Une approche qui a, en l'espace de deux semaines, permis de porter la production à 40 000 pièces par jour. Toutes vendues à prix coûtant.

"C'est une organisation assez lourde", confie le délégué général le 3 avril. "Nous avons de la matière pour travailler encore dix jours. Après quoi nous réadapterons le dispositif en termes de surfaces d'entreprises et de salariés. Car c'est aussi une façon pour les entreprises de limiter le recours au chômage partiel, et donc d'enlever cette charge à l'État."

"Trouver ces matériaux est assez sportif"



Parmi les leçons à tirer de cette expérience pour la filière, Sylvie Chailloux note qu'il aurait fallu dès le départ structurer les rapports entre tisseurs et façonniers. "Les tisseurs sont les plus en capacité de faire des propositions à la DGA en termes de matériaux filtrants, et notre rôle à nous est davantage d'organiser la production derrière", explique la présidente. "Là, tout le monde s'est un peu entrecroisé. Mais cela a au passage créé des liens : j'ai appris à connaitre plein de monde. Tisseurs et façonniers n'ont jamais autant communiqué, autant échangé sur leurs fonctionnements respectifs."

Laurent Vandenbor explique de son côté que l'accès aux matériaux nécessaires peut s'avérer complexe. "Trouver ces matériaux est assez sportif", explique-t-il. "Chaque pays utilise son droit de préemption sur les productions. Il y a donc des difficultés d'approvisionnement, et même une certaine inflation. Forcement car il va falloir dix fois plus de masques que ce que le monde produit d'habitude. Donc cela cause un problème d'élasticité, et nous apprenons en marchant. Là-dessus, chacune de nos entreprises fait fonctionner son carnet d'adresses, la plateforme mise en place par le CSF Mode & Luxe permet de baliser un peu les choses. Mais la gymnastique est assez épuisante."


Masques produits par Mode Grand Ouest - Mode Grand Ouest


Et Mode Grand Ouest n'est qu'un exemple régional parmi d'autres. Quelque 200 entreprises tricolores se seraient lancées dans la production de masques. Se retrouvant temporairement en concurrence avec les spécialistes internationaux des produits de protection. Avec pour les régions un avantage clé : aucun risque de voir des acheteurs américains surenchérir au moment de l'expédition, comme cela a été rapporté par des présidents de régions concernant des commandes passées en Chine. Mais la production de masques reste pour ces entreprises une parenthèse, sur fond d'inquiétudes pour l'avenir. A l'heure où leurs donneurs d'ordres redoutent un retour très lent à la consommation, les carnets de commandes se retrouvent en effet bien vides.

"On voit bien qu'il va y avoir une collection qui ne sera pas présentée, et donc les entreprises s'inquiètent pour les trois mois à venir", déplore Sylvie Chailloux. "Car s'il n'y a pas de collection, il n'y a pas de charges. Et je pense que chacun réfléchit, cherche des solutions, mais tous les fabricants attendent des retours de leurs clients. Que l'on ait des ordres de fabrication réduits, ça je peux l'entendre. Mais je ne vois pas comment on va pouvoir fermer nos ateliers pendant trois mois. Mais ce que l'on vient de vivre va peut-être en faire réfléchir certains sur l'éloignement de leur sourcing."

Alors que l'exécutif vient de faire de la "souveraineté" économique et industrielle l'un de ses nouveaux mots d'ordres, les espoirs d'une relocalisation accélérée se font jour. Reste que la crise en elle-même demeure un obstacle conséquent à franchir. Au niveau européen, 80 % des entreprises du textile-habillement déclarent couper actuellement dans leurs effectifs. Pour la moitié d'entre-elles, le Covid-19 est synonyme d'une chute des ventes dépassant les 50 %. Les prochaines semaines s'avéreront décisives pour la filière.
 

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