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4 nov. 2022
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Nike réduit son nombre de revendeurs, certains s'en frottent les mains

Publié le
4 nov. 2022

Foot Locker a inauguré à la rentrée son nouveau navire amiral sur les Champs-Elysées à Paris. Et que trouvait-on porté par les silhouettes mises en avant à l'entrée du nouveau magasin? La collection imaginée par Melody Ehsany, mais aussi les labels Project X, Fresh Ego Kid, Smiley et Adidas, New Balance, Puma ou Converse côté chaussures... Et très, très peu de Nike.


Le nouveau flagship Foot Locker à Paris - FNW


Le choix est marquant et caractérise la distance qui s'est créée entre Foot Locker et le Swoosh (la marque à la virgule), qui ont grandi ensemble internationalement ces dernières décennies. La combinaison du réseau de distribution de Foot Locker avec l'offre très recherchée par les fans de sneakers de Nike a longtemps fait des merveilles. Sauf que la donne a changé.

Alors bien sûr, à l'intérieur du magasin des Champs-Elysées, Nike reste incontournable. Le linéaire des chaussures consacre 14 rangs à Nike et 24 aux autres labels. Et même si l'espace dédié au basketball du niveau -1 n'est plus au concept "House of Hoops", cosigné par Foot Locker et Nike, la majorité des produits affichent encore la virgule ou sont des Jordan (filiale du groupe de l'Oregon).

Richard Johnson, dirigeant historique de Foot Locker qui va prochainement céder son siège de PDG, n'hésite pas à avoir un ton assez offensif vis-à-vis de son partenaire historique. Lors du dernier trimestre, Foot Locker a vu ses ventes reculer et le groupe a décidé de communiquer sur ses performances...hors Nike.

"Alors que nos ventes globales ont baissé de 10,3%, nos ventes hors Nike dans nos enseignes clés ont en fait augmenté de plus de 10%, expliquait le dirigeant lors de la présentation des résultats trimestriels du groupe de distribution, avec un grand nombre de nos vingt premières marques affichant de fortes hausses."

Depuis plusieurs mois, l'américain Foot Locker s'organise face à la stratégie "Nike Direct". En début d'année, lors de la présentation des résultats annuels de son groupe, le dirigeant avait annoncé ses objectifs. "Nous ne prévoyons pas qu'un seul fournisseur représente plus de 55% de nos dépenses en produits. À titre de comparaison, ce pourcentage est actuellement en baisse par rapport à celui d'environ 65% au quatrième trimestre de 2021. Ce changement reflète l'accélération de la transition stratégique de Nike vers la vente directe et les efforts continus de Foot Locker en matière de diversification des marques et des catégories. Pour l'ensemble de l'année 2022, cela équivaudrait à une concentration de Nike d'environ 60%, contre 70% en 2021 et 75% en 2020."


Avec son application SNKRS, Nike veut capter ses clients directement sur leur smartphone - Nike


Nike avait dès 2017 annoncé son projet de réduire drastiquement le nombre de revendeurs et de focaliser la commercialisation de ses produits phares dans son réseau et chez une quarantaine de grands partenaires dans le monde. Une politique radicale qui a en quelques saisons fait le ménage parmi les revendeurs et qui s'est renforcée au gré de la crise née de la pandémie de Covid-19.

Stratégie de vente en direct affirmée



"Il y a deux ans, nous avons introduit une nouvelle phase audacieuse de notre stratégie Consumer Direct Acceleration. Dans les premiers mois de la pandémie, nous ne nous sommes pas contentés de naviguer à travers la volatilité à court terme, détaillait Matthew Friend, directeur financier de Nike, lors des résultats annuels du géant mondial du sport. Au lieu de cela, nous avons défini une vision claire pour poursuivre une séparation concurrentielle encore plus poussée en développant notre avantage digital, en imaginant le marché du futur et en créant des relations plus profondes et plus directes avec les consommateurs. Aujourd'hui, l'élan continu de Nike montre que notre stratégie fonctionne."

D'après le dirigeant, le groupe structure son futur autour de trois axes: sa présence dans le monde entier, sa transformation digitale qui vise la construction d'un lien direct avec le consommateur et, justement, le développement de ses infrastructures pour répondre au mieux aux attentes de ce client final. Et le dirigeant d'affirmer que l'activité digitale du groupe a plus que doublé depuis le début de la pandémie de Covid-19, en particulier grâce à son application SNKRS qui lui permet d'être en lien direct avec ses clients pour ses "drops" (mises sur le marché en cours de saison, ndlr) de modèles en édition limitée, pour dépasser les 10 milliards de dollars annuels.

Surtout, sur les derniers trimestres, c'est l'activité en direct (physique et en ligne) qui tire la croissance du groupe, notamment en Europe. Kantar, dans son dernier panel sur les achats de produits de sport et sportswear, semble valider cette montée en puissance du Swoosh en tant qu'enseigne: sa part de marché en France sur la période de mai à juillet 2022 frôle les 5%.

Fort des résultats de Nike Direct, qui selon le groupe doit prochainement représenter plus de 60% de son activité et lui permettre d'atteindre une marge brute de 40%, le groupe a accéléré son plan.


Magasin Courir des Quatre-Temps à la Défense - Courir


Si Nike a signé des partenariats forts avec des acteurs clés comme Dick's Sporting Goods aux Etats-Unis et Zalando ou JD en Europe, parallèlement, la très grande majorité des boutiques indépendantes, hors les plus pointues qui bénéficient encore de lancements en séries limitées, n'ont plus réellement accès au catalogue du Swoosh, tout comme des grands noms qui ont aussi vu l'accès aux meilleurs produits de la marque se refermer.

Une situation liée tant à la stratégie de resserrement de la distribution qu'à la décision de Nike de prioriser ses ventes en direct alors que ses quantités de produits étaient limitées par les fermetures d'usines au Vietnam et les difficultés d'acheminement des produits depuis l'Asie. Ainsi, de grands acteurs de la distribution comme Intersport ou Courir, pourtant des poids lourds de la distribution, ont vu les délais de livraison s'allonger et leurs dotations sur les modèles les plus recherchés se réduire.

Mais la situation ne devrait pas particulièrement profiter à Adidas, le géant allemand ayant opté lui aussi pour une stratégie renforçant la relation directe avec le consommateur.

Du côté d'Instersport, Jacky Rihouet, président France du géant de la distribution, constatait que, face aux problèmes de production en Asie, "Nike a certainement privilégié certains marchés comme les Etats-Unis et sa vente en direct. Mais Nike reste un acteur majeur, Adidas revient bien et vous avez un outsider qui s'appelle Puma qui est très, très fort, avec des investissements dans le sport et dans la créativité. Et dans le running, des marques comme Hoka mais aussi On, qui est très présente dans le nord de l'Europe et qui devrait se développer en France, émergent. Vous avez aussi la marque Diadora qui avance discrètement. La situation favorise de plus petites marques. Nous sommes diffuseurs de grandes marques internationales mais nous avons vocation à mettre de nouvelles marques en relief."


New Balance applique une stratégie marketing validant ses racines sportives, et accentue son propos mode, notamment en recrutant le talentueux Américain Aimé Leon Dore - New Balance


Chez Courir, leader de la distribution de sneakers en France, Nike reste incontournable. "Nous continuons de travailler avec eux mais nous étions bien moins dépendants que d'autres, analyse Pierre Chambaudrie, le directeur général de l'enseigne française. Nous voyons que depuis un moment New Balance est particulièrement 'en feu'. Les équipes ont fait un travail remarquable depuis des années et cela paye.C'est un cycle haut pour NB, comme pour Converse d'ailleurs. Cependant les grands équilibres ne bougent pas tant que çà avec les deux leaders qui demeurent très forts. Cela n'empêche pas de rester en éveil. Nous avons par exemple travaillé avec des marques comme Faguo ou Ralph Lauren".

New Balance et Puma gagnent du terrain auprès des revendeurs indépendants



New Balance donc, mais aussi Puma, qui a vu ses chaussures bondir de 30% sur le dernier trimestre par rapport à l'an dernier, ont la capacité à répondre à la demande, développant notamment une offre sur de nouveaux segments, et ils possèdent tous deux la force globale nécessaire pour appuyer la distribution en gros avec des investissements marketing.


Puma revient dans l'univers du basket-ball et prépare la sortie de la Lamelo Ball 2 - Puma


Chez Foot Locker, un accord de partenariat avec Adidas a été signé mais la stratégie au niveau global est clairement de dédier de plus en plus de place à de nouvelles marques.

"Nous continuons à voir des progressions importantes sur des marques comme Converse et Vans, qui ont toutes deux augmenté leurs ventes de plus de 20%, expliquait ainsi le patron de Foot Locker lors des résultats du trimestre dernier. Et New Balance et Crocs ont toutes deux augmenté de plus de 50% ce trimestre. De même, notre partenariat avec Puma, y compris l'accès exclusif aux produits de LaMelo Ball, continue de susciter un regain d'intérêt pour la catégorie basket-ball, la MB.01 demeurant l'une de nos chaussures les plus vendues. Cet été, nous avons commencé à déployer Hoka dans certains magasins et en ligne, et nous sommes extrêmement satisfaits de l'accueil reçu jusqu'alors. Nous venons d'ajouter On Running à nos premiers magasins Foot Locker européens. La marque est maintenant présente dans 95 magasins dans le monde entier et nous continuons à développer sa présence avec de bons résultats. Brooks et Asics ont toutes deux connu une croissance de 40% ou plus au cours du dernier trimestre."

Le groupe ouvre donc ses portes à de nouveaux entrants. "On voit que de plus en plus de revendeurs et des groupements sont à la recherche d'une alternative. Nous n'avons pas été contactés par Foot Locker directement mais nous avons pu engager des discussions avec eux pour d'autres enseignes. Notre proposition avec une matière plus responsable les a intéressés", explique Samuel Levy Maytek, directeur commercial de la marque française Moea, qui a développé des sneakers inspirées de l'univers du basket-ball en matières alternatives au cuir à base de végétaux.


La marque française Moea, avec ses baskets réalisées dans des biomatériaux, se positionne parmi les alternatives plus responsables - Moea


Les marques Asics, Hoka One One et On et, dans une moindre mesure, Salomon et Saucony, avec leur historique running et trail, apparaissent ainsi de plus en plus dans les enseignes de sneakers, créant une proposition différente sur ces catégories de produits.

"Nous voyons qu'il y a un réel appel d'air, affirme Franck Gunther, patron du showroom Five O Five qui propose les lignes urbaines de Saucony. Les détaillants constatent ou anticipent la politique de Nike. Pour nous, c'est parfait car Saucony a rapatrié la création en Italie avec une montée en gamme très claire de son offre, tant sur la proposition que sur les matières. Cela intéresse fortement les multimarques indépendants qui, pour certains, se sont vu couper les meilleurs produits Nike".

Elargissement des catégories de produits ou approche responsable 



Plus qu'une réduction de la part de Nike dans les enseignes grand public et chez les spécialistes de la sneaker, certains ont tout simplement vu le Swoosh sortir de leur offre. En n'étant plus référencé directement chez les multimarques, Nike laisse le champ libre à certains de ses concurrents.

Alternative sportive... ou plus durable : les profils intéressant les revendeurs sont diverses. L'atout RSE, qui a bénéficié à des marques comme Veja ou Allbirds, semble attirer de plus en plus d'acteurs, notamment indépendants.

"Cela avait commencé par des minimums d'achats imposés aux multimarques, puis progressivement les magasins ont été évincés de l'offre Nike. Pour certains, cela représentait 10%, 20%, 30% de l'offre, pour d'autres, quelle était leur valeur ajoutée d'avoir les mêmes produits que Zalando ou Sarenza qui proposaient des rabais? Il leur a fallu reconstruire une proposition. Et beaucoup de magasins nous ont contacté car ils ont décidé de composer une offre avec des marques responsables au niveau social ou environnemental, explique Kevin Gougeon, cofondateur de la marque de sneakers équitable française N'Go Shoes qui est présente dans 200 points de vente en Europe. A présent, notre défi est d'entrer mais surtout de rester dans les magasins, car on attend de notre marque des taux de sortie plus élevés que ceux d'une major. On doit donc convaincre qu'on sera là sur le long terme."

C'est aussi pour cela que le label français initie pour le printemps 2023 un nouveau modèle, baptisé Hué, cocréé avec sa communauté, et planifie d'apporter un nouveau pied chaque année, afin de répondre à l'attente de renouvellement du marché.


N'Go Shoes, qui revendique une approche éthique de sa production, vient de lancer son nouveau modèle Hué en précommande sur la plateforme Ulule - N'Go Shoes


Entre apporter une offre différenciée et ne pas manquer les pieds phares de marques établies qui draineront les clients en boutiques, les magasins doivent nécessairement trouver le bon équilibre. Là où Nike paraissait incontournable, de plus en plus construisent leur proposition différemment. 

Depuis la saison estivale, Le Bon Marché et les Galeries Lafayette ne proposent plus directement la marque Nike. Dans les grands magasins parisiens, l'offre fait la part belle à d'autres noms. Au Bon Marché, les sneakers de luxe ont toute leur place, et, sur un segment plus accessible, les équipes ont fait entrer des marques comme On, Autry, Hoka One One, P448, Premiata ou National Standard. Aux Galeries Lafayette des Champs-Elysées, l'offre se concentre à présent sur Converse, Veja, Autry, Bape STA (l'offre sneaker de Bape), Comme des Garçons, mais aussi Y3, New Balance, Axel Arigato, 0-105 ou Suicoke.


On Running avance dans l'univers mode, comme récemment avec une première collaboration avec Loewe - OnXLoewe


Surtout les deux grands magasins compensent la fin de leur relation commerciale directe avec Nike par l'entrée d'un acteur de la seconde main et des produits exclusifs. Chez Galeries Lafayette, c'est la société OP 2.O qui propose une sélection de modèles vintage Nike, Jordan et Yeezy et, au sein du Bon Marché, l'offre de Presented By, présent depuis 2020 dans le grand magasin de la rive gauche, a gagné en volume, Nike limitant auparavant l'offre que pouvait proposer le spécialiste de la seconde main.

Autre acteur fort de ce marché, We The New discute lui aussi la possibilité de proposer son offre de modèles d'exception et de seconde main chez des partenaires qui disposent d'un réseau physique. "Les restrictions drastiques imposées à la distribution par Nike sont plutôt un atout pour nous, explique David Benhaïm, cofondateur de la plateforme de revente We The New avec Michael Holzmann. Nos vendeurs vont aller chercher des pièces exceptionnelles chez Nike ou ont un accès privilégié aux 'drops'. Plus Nike restreint l'accès à son catalogue, plus cela crée des opportunités."

Nike n'est bien évidemment pas naïf sur le sujet et observe la montée en puissance du marché gris, notamment avec la force d'acteurs comme Goat et StockX aux Etats-Unis. Le géant avait d'ailleurs porté plainte contre StockX en début d'année... pour avoir utilisé le logo de Nike sur des produits NFT. Ces derniers mois, le Swoosh a également marquer son territoire en durcissant le ton vis-à-vis du marché de la revente. "Si Nike pense que vous êtes impliqué dans l'achat pour la revente, il se réserve le droit de prendre toute mesure à votre encontre, y compris, de façon non restrictive, de limiter les ventes à votre égard, d’annuler vos commandes et/ou de suspendre ou fermer votre compte", détaille le groupe dans ses conditions d'achat.


OP 2.0 propose sa sélection de modèles en revente aux Galeries Lafayette Champs-Elysées - OP 2.0


Profitant de sa position dominante, Nike entend imposer au marché son approche commerciale. Ses problèmes de production et de livraison ont été des grains de sable qui ont enrayé légèrement sa marche en avant ces derniers mois, mais sa puissance semble lui permettre de traverser la période. Le géant américain ne semble pas près de céder sa place tout en haut du marché de la sneaker. Il n'en reste pas moins que l'opportunité est belle pour d'autres acteurs, marques ou revendeurs, d'émerger dans un marché plus segmenté, que ce soit avec de nouvelles tendances, notamment running et outdoor, ou des approches plus responsables. Reste à voir quels acteurs sortiront du lot dans cette redistribution des cartes.

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