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Traduit par
Marguerite Capelle
Publié le
27 juin 2022
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Peter Philips, directeur créatif du maquillage Dior, parle de son respect de la vision des créateurs, de gloss et de féminisme

Traduit par
Marguerite Capelle
Publié le
27 juin 2022

Rares sont les maquilleurs qui ont autant influencé leur profession que Peter Philips, directeur de la création du maquillage pour les parfums Dior. Ce Belge plutôt réservé a rejoint Dior en mars 2014, pour travailler d’abord avec Raf Simons, puis récemment avec Maria Grazia Chiuri.


Peter Philips - Photo: Dior


Il s’agissait d’une nouvelle étape dans une carrière impressionnante, qui l’a amené à créer du maquillage pour Chanel et travailler avec Karl Lagerfeld, rien de moins.

Peter Philips a commencé tôt, travaillant déjà avec Raf Simons et collaborant avec des grands comme Alexander McQueen et Dries Van Noten.

Son dernier défilé avait lieu ce mois-ci à Séville, pour la spirituelle collection croisière de Maria Grazia Chiuri, présentée dans la capitale andalouse. Un mélange de style équestre et de détails gothiques ibériques, avec une multiplicité de chapeaux.

Ainsi, à peine quelques secondes avant que les mannequins ne s’élancent dans la splendeur monumentale de la place d'Espagne, nous avons pris un moment avec Peter Philips pour qu’il nous parle de sa collaboration avec la créatrice, du secret pour éviter les clichés en maquillage, et du trash qui peut être chic.


Dior Croisière Printemps/été 2023 - Photo: Dior


FashionNetwork.com: Pour cette collection croisière, comment avez-vous décidé d’interpréter les thèmes que Maria Grazia Chiuri avait en tête?

Peter Philips : Eh bien c’est un dialogue. Un travail d’équipe entre Guido (Palau, styliste coiffure), moi, la création du décor (Alexandre de Betak) et la musique (Michel Gaubert). On doit appuyer sa vision [celle de Maria Grazia]. Le maquillage de ce défilé s’est développé peu à peu. Au début, on avait l’intention de ne rien faire, de garder un teint frais et glowy parce que les vêtements sont un peu lourds. Les broderies, les costumes, les chapeaux. On voulait donc que ce soit très frais, très jeune.

Mais dans cet environnement immense, ce vaste décor, pour un défilé du soir, il faut quand même faire quelque chose pour que les filles ne disparaissent pas. Et on ne voulait pas de lèvres rouges. On ne voulait pas que ce soit trop cliché. Alors on a joué avec une ombre, un œil smoky noir, mais pas traditionnel.

Je voulais que l’ombre à paupières commence à filer un peu, comme quand on a dansé toute la nuit, qu’on commence à transpirer. Pas trop trash, mais pour que ce soit plus lumineux. Parce que par cette chaleur, en fait, c’est aussi plus facile de faire quelque chose de pas trop propre, plutôt qu’un truc parfait qui se dégrade avec la météo.

FNW : Qu’est-ce que vous avez voulu faire pour les lèvres?

PP : Je les ai juste gommé pour qu’il n’y ait pas de peaux mortes, et hydratées avec un baume à lèvres. Du baume Rouge Dior. Et pour les filles à la peau foncée, on avait des baumes teintés. Ils sont très transparents mais ajoutent juste un peu de couleur sur les lèvres. Mais c’est plus pour le brillant que la couleur.


Photo: Dior

 
FNW : Quels produits Dior avez-vous utilisés pour ce défilé?

PP : J’ai commencé dès la préparation du teint. J’ai utilisé la gamme de soins Capture Total pour m’assurer que la peau [des mannequins] soit belle et hydratée. Je sais que ça donne un bel éclat rosé sous le fond de teint. Ensuite j’ai utilisé le fond de teint corps et visage, qui a un fini un peu mat, je le sais, mais associé aux soins Capture Totale, ça vieillit bien et c’est très beau par temps chaud. Ça brille sans donner l’impression de transpirer, et c’est ce que je voulais pour ce soir. Ensuite on fait simplement la zone T. On matifie.

FNW : Vous vous êtes rendu célèbre pour vos maquillages spectaculaires, en particulier chez Raf Simons et Chanel. Comment avez-vous voulu interpréter votre rôle chez Dior?

PP : Il y a des façons de faire différentes chez Dior. Quand je faisais les défilé et quand je travaillais avec Raf, c’était pour l’aider à faire aboutir sa vision. Avec Maria Grazia, c’est sa vision à elle. Avec Karl, c’était ce que lui voulait. Je m’adapte pour porter leur vision, et aussi ma créativité et ma vision. Parfois je fais les deux, et parfois j’en garde sous le pied. C’est un jeu d’équilibre. Maria Grazia, en général, n’aime pas qu’il y ait trop de maquillage. Mais en réalité, j’ai fait des choses assez osées pour elle. En se concentrant toujours sur les yeux. Toujours en noir.

FNW : Un peu comme Maria Grazia, pas vrai?

PP : Exactement, un peu comme elle. Ça affecte ce qu’elle veut, sa vision.


Photo: Dior


FNW : On la considère souvent comme une créatrice féministe. Est-ce que ça nourrit votre travail?

PP : Eh bien, je me considère moi aussi comme un féministe. Peut-être pas aussi radical que Maria Grazia. Elle est féministe avec son point de vue de femme. Je suis féministe au sens ou je considère que les hommes et les femmes sont égaux. C’est ma vision du féminisme, mais je ne sais pas ce que traversent les femmes pour se révolter autant, et je n’ai pas les mêmes choses à dire. Je pense que nous sommes plus forts ensemble.

FNW : Depuis combien de temps êtes-vous chez Dior?

PP : Déjà huit ans. Ça passe vite. Maria Grazia Chiuri connaît mon portfolio, donc elle sait ce que j’ai fait. Depuis le premier jour, je lui ai dit : "Je suis à ton service. Pour ce que tu veux. Si tu veux de l’audace, je peux le faire. Et si tu ne veux rien, ça ne me dérange pas." Je pense qu’elle a vraiment respecté ça. Au début, elle était un peu sur la défensive, ce qui est compréhensible, mais au bout de quelques défilés, je crois qu’elle a compris que je suis très honnête dans mes propos comme dans mes actes. Quand elle veut quelque chose, je m’exécute.

J’ai fait quelques looks osés. En Grèce (Dior croisière 2021), j’ai mis des perles autour des yeux. Ce n’est pas un look naturel. Et une fois pour un défilé haute couture avec Stephen Jones, qui crée des masques incroyables, on a fait de l’eyeliner à pointes. Je suis devenu un expert en variations autour de l’eyeliner. J’en ai fait tellement que je pourrais écrire un livre sur l’eyeliner.


Photo: Dior


 
FNW : En tant que directeur de la création, qu’est-ce qui vous excite le plus aujourd’hui?

PP : Je suis très excité par la ligne nommée Backstage. C’était quelque chose qu’on a lancé il y a sept ans. C’était un de mes premiers projets avec l’avènement des millennials, quand Dior, en tant que marque de luxe, s’est dit : "Comment faire pour toucher ce public jeune?" C’est là que j’ai inventé le concept de la ligne Backstage. J’ai dit : "Ok, on a besoin de quelqu’un de jeune pour être la star de la campagne". Et puis la plupart des millennials ne vont pas en parfumerie, ils vont chez Sephora. On avait quelques produits chez eux qu’on a repris dans la ligne Backstage, comme les vernis et les sérums repulpants. Je me suis dit : "Pourquoi ne pas développer une ligne composée de purs basiques, faciles à porter, facile à appliquer, et pas intimidants?" C’est un positionnement plus jeune et plus neutre qui attirera la nouvelle génération. En même temps, ça ne fait pas peur à nos clientes fidèles. Ça a été un carton. On est numéro un des marques de luxe dans presque toutes les régions maintenant.

FNW : Dans ce cas, j’espère que Bernard Arnault (le PDG du groupe LVMH, détenteur de Dior) vous paye correctement?

PP : Oui, enfin, je ne me plains pas (grand éclat de rire partagé). Parce que Dior, c’est les montagnes russes. C’est un fonctionnement totalement différent de Chanel.

FNW : En quel sens?

PP : J’ai passé un moment formidable chez Chanel et je me suis bien amusé avec Karl. Mais c’est une entreprise très secrète. Le mécanisme est différent. Ce n’est pas le marketing qui prime. Mon studio de création était énorme, maintenant j’ai une petite équipe. Dior, c’est une machine marketing. Et j’ai pris conscience que je suis un créatif plutôt commercial. J’aime que les femmes portent mes rouges à lèvres et mes ombres à paupières. C’est une approche où il faut aussi les respecter, c’est une façon d’être commercial. C’est une manière de garantir une qualité, quelque chose de pas trop intimidant, mais en même temps de lancer des choses excitantes.

FNW : Quel sera le prochain gros lancement?

PP : On a un rouge génial qui sort en septembre. Une formule fantastique. Sans aucun transfert, longue durée, et on a changé le packaging pour un mat classique. J’ai enfin fait du mat! Je suis très excité par ça.

 
 
 

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