PARIS, 16 déc 2008 (AFP) - Dans son dégradé brun, orange, jaune, "Flaming" évoque la carosserie d'une belle américaine des années 50. C'est une chaussure de luxe pour homme, signée Pierre Corthay.

Pierre Corthay dans ses ateliers

Pour avoir érigé le soulier masculin en monument du savoir-faire et de la création, ce bottier de 46 ans, chausseur sur mesure du Sultan de Brunei (150 paires), vient de décrocher le titre rare de "Maître d'Art".

Cette reconnaissance nationale, décernée par le ministère de la Culture, s'accompagne d'une bourse de 15 000 €euros, destinée à former un apprenti.

Dans son atelier parisien, près de la Place Vendôme, se pressent des habitués, tels le joaillier de la pâtisserie Pierre Hermé, le réalisateur Roman Polanski ou le chef tri-étoilé de "L'Arpège", Alain Passard.

"Une clientèle hédoniste, mais surtout pas tape-à-l'oeil", précise d'emblée celui qui fut chef d'atelier du bottier Berluti, avant de s'installer à son compte en 1990, accompagné de son frère Christophe. Il avait alors 28 ans.

"Le sur-mesure consiste à chausser non pas un pied, mais une personne. Comment la rendre unique, si ce n'est en cernant sa personnalité ? J'observe ses traits, son allure, son regard, sa posture".

"Il m'arrive de contempler une tige -la partie supérieure du soulier, en peau- pendant trois semaines en pensant à notre client. C'est cela le luxe, insiste Pierre Corthay. Vous ne pouvez faire ce métier sans prendre du temps. Ce que les agités considèrent comme du temps perdu".

Guère plus de 140 paires de souliers sur mesure quittent chaque année l'atelier de six bottiers. "Entre les contreforts, les renforts, les coulisses, les oeillets, une chaussure ne comprend pas moins de 250 éléments. Une paire peut demander jusqu'à 60 heures de travail".

Les prix sont à la mesure du sur-mesure, s'échelonnant de 3 000 à 7 000 euros€.

"Cela dépend aussi de la matière, note Christophe Corthay : autruche, oreille d'éléphant, python, veau", montrant les peaux entreposées dans une cave.

Reste que 140 paires, c'est peu en regard des demandes du Japon, des États-Unis, de Bruxelles ou Munich. D'où l'installation, il y a huit ans, d'une manufacture en région parisienne, où une quarantaine de machines lancent une production en série "made in Corthay", à 2 400 exemplaires l'an.

"Flaming" fait partie de la nouvelle gamme "Electrochoc", qui ose le veau pourpre, le crocodile orange ou le vernis framboise-doublé-violet -hommage au peintre Henri Matisse, grand inspirateur du maître bottier.

Rien ne semble freiner les créations de ce peintre et guitariste à ses heures, tombé précocement dans la marmite des arts, vivement encouragé en cela par des parents comédiens et une tante sculptrice.

"Petit, je faisais du crochet, du modelage, du tricot. Adolescent, je vendais des bracelets, des ceintures, des trousses en cuir.

Le coup de foudre pour le métier lui vient à 16 ans, lors d'une visite à la maison des Compagnons du Devoir. Il se plie pendant six ans au très exigeant apprentissage du métier de bottier, parcourant la France de ville en ville, comme les Compagnons du Moyen Age.

Il est alors embauché par "le graal des bottiers de luxe", John Lobb, passe ensuite chez Berluti, puis s'installe dans ses propres murs.

Maître d'Art ? "Ma grand-mère me l'avait bien dit : bien chaussé, bien chapeauté, tu iras n'importe où dans la vie !"

Par Annick BENOIST