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18 oct. 2019
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Que peut concrètement apporter la blockchain à une entreprise de mode ?

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18 oct. 2019

Son nom est aussi connu que son fonctionnement demeure obscur. La blockchain est depuis plusieurs années évoquée sur les conférences et salons technologiques, et les grands groupes du luxe comme les prestataires ont lancé leurs chantiers. Mais, au-delà de ses applications industrielles, quelles sont les implications de la "chaîne de blocs" dans l’univers de la distribution, de la seconde main et de la relation client ?


Shutterstock


Plus qu’un système, la blockchain relève davantage d’un nouvel écosystème de transmission d’informations. Elle peut être publique, privée, ou réunir les acteurs d’un secteur souhaitant collaborer. A l’échelle d’une entreprise, un utilisateur peut y spécifier le nombre de vêtements livrés à un commerce. Et d’autres utilisateurs, comme le commerce lui-même, ainsi que le transporteur, vont pouvoir confirmer ou non ces chiffres.

A intervalles réguliers, toutes les données recueillies sont regroupées et verrouillées, formant l’un des fameux "bloc". La "chaîne" consiste dans cette succession de blocs de données vérifiées, accessibles et surtout non modifiables, assurant à toutes les parties leur véracité et leur traçabilité dans le temps. Le cœur de la blockchain étant ses données infalsifiables, c’est sans surprise que le procédé a très rapidement été pris au sérieux par le domaine de la lutte anti-contrefaçon. Car l’écosystème permet de créer au produit physique une identité virtuelle témoignant, dans le temps, de sa véracité.

Traçabilité et contrefaçon



Comme l'abordera FashionNetwork.com dans un second article dédié, la blockchain a dès le départ été identifiée comme un outil pour répondre aux enjeux de traçabilité, ce qui est notamment le cas de LVMH. « Pour l'instant, la blockchain nous permet de contrôler notre approvisionnement, expliquait ainsi récemment Bernard Arnault. Elle certifie les circuits d'approvisionnement de nos différentes marques et maisons : c'est la principale raison de notre intérêt pour cette technologie. Comment allons-nous procéder pour chacune de nos maisons ? C'est une question qu'on se posera plus tard. Mais oui, la blockchain est à l'essai dans plusieurs maisons du groupe en ce moment ».

Car si des acteurs comme LVMH développent leur outil à l'échelle d'un groupe, c'est bien au niveau des marques que la blockchain fera en premier lieu la différence. Et en particulier dans l'univers du luxe, où la création d'une identité numérique pour chaque produit offre sur l'ensemble de sa chaîne de distribution, des magasins aux portails de vente, un facteur de réassurance bienvenu, puisqu'à même de préserver l'image de la marque ainsi que l'expérience d''achat. Si la blockchain ne freinera pas les acheteurs acquérant des faux en toute connaissance de cause, elle peut permettre d'éviter de grosses déconvenues aux clients les moins avertis.

La blockchain, une mine pour le marché de la seconde main



Au-delà de la contrefaçon, cette identification via la blockchain pourrait à terme prendre tout son sens dans le domaine de la seconde main de produits haut de gamme. Un marché en forte croissance sur lequel se sont installés plusieurs acteurs spécialisés. Or l’un des principaux enjeux de leur activité est l’authentification des biens proposés, poussant des acteurs comme Vestiaire Collective à procéder à un contrôle avant livraison à l’acheteur. Une étape que la blockchain pourrait grandement accélérer.


A l'occasion du salon VivaTech en mai 2019, Bernard Arnault confirmait le développement d'une blockchain LVMH, depuis baptisée Aura - DR


En créant une carte d'identité numérique infalsifiable pour un produit, une blockchain offre la possibilité de transférer cette identification au nouveau propriétaire du produit. Du fait de la véracité établie de l'origine du produit, le vendeur peut au passage espérer doper son prix de vente. L’acheteur, lui, pourrait accéder aux données retraçant le parcours de la pièce en question, d’un propriétaire à l’autre, depuis son achat initial.

Une logique dont les grands groupes du luxe ont eux-mêmes bien compris l’intérêt sur le long terme. Outre la sécurisation des produits issus de leur maison, ils peuvent également s’assurer que la valeur de leurs produits ne se dégrade pas de manière accélérée sur un marché de la seconde main longtemps associé à un ternissement de l’aura d’une marque. A l’heure d’un attrait pour la consommation responsable touchant jusqu’aux pièces les plus onéreuses, les grands groupes caressent désormais l’idée d’être les chefs d’orchestre de la revente de leurs produits entre particuliers.

Une arme pour mieux connaître ses clients



Car si la lutte anti-contrefaçon se dessine comme le point d’entrée de la blockchain dans l’univers de la mode et du luxe, elle offre sur une plus longue échéance l’opportunité de tisser un lien inédit entre marques et acheteurs. La marque étant la seule à pouvoir délivrer le certificat virtuel d’authenticité au client, elle devient du même coup détentrice d’une cartographie permanente de sa clientèle, et des produits qu’elle détient. Et l’outil référençant les identités virtuelles des produits est également par nature celui à même de gérer leur transfert entre propriétaires.

Via les métadonnées ainsi réunies, une marque se trouve en mesure d’analyser par exemple le rythme auquel un client revend ses pièces afin de prendre les devants en lui proposant une offre de reprise. La même marque va par ailleurs pouvoir connaître l’identité des personnes achetant ses produits en seconde main, et avoir la possibilité de faire directement des offres à ceux-ci, en produits neufs comme d’occasion. A l’heure où le marketing individualisé devient la norme, et même une attente du consommateur, la blockchain se fait une arme commerciale.

Renforcer la protection d'informations confidentielles



Mais la blockchain peut aussi avoir un impact à l’échelle des entreprises. « Avant même les questions de contrefaçon, le point essentiel de la blockchain est, pour moi, ses implications pour la protection du secret des affaires », note Corinne Champagner Katz, spécialiste en propriété intellectuelle et consultante en intelligence économique. « Si un collaborateur d’une entreprise décide d’un nouveau projet de croissance externe ou de création d’une marque, il a besoin d’échanger avec les équipes. A l’échelle d’une entreprise, la blockchain apporte donc un espace sécurisé nouveau », relève l’avocate spécialisée, qui insiste sur la sous-estimation du pillage dont les entreprises sont victimes via des cyberattaques ou par simple défaut de sécurisation.

En revanche, insiste Corinne Champagner Katz, la blockchain ne constituera pas un outil de protection légale pour les créateurs : « La propriété intellectuelle repose sur deux choses : prouver qu’un modèle n’existait pas avant, et prouver la date à laquelle vous l’avez créé. Or les systèmes juridiques français et anglo-saxons exigent des preuves incontestables, ce qui implique un huissier ou un officié ministériel. Si vous exhibez une date issue d’une blockchain, que va-t-il se passer en termes de conflit ? Le tribunal devra nommer un expert technique pour vérifier, occasionnant des frais supplémentaires. Peut-être, à terme, faudra-t-il faire évoluer la législation. »

La neutralité des outils, un impératif pour instaurer la confiance



Reste qu’une bataille s’annonce. D’un côté, les blockchains propres aux grands groupes comme LVMH, potentiellement ouvertes à leurs concurrents. De l’autre, des initiatives collectives visant à placer dans des mains neutres un outil partagé. « L’interrogation de départ était de savoir comment amener des concurrents à utiliser un même système d’information dans une totale confiance », explique Pierre Nicolas Hurstel, CEO de la blockchain Arianee, qui a choisi la seconde option.

« La décentralisation du système, élément central d’une blockchain, donne l’assurance d’une neutralité, contrairement à des organes centralisés comme les Gafa. Chacun peut utiliser notre protocole et le mettre en place à sa convenance, mais toujours avec l’assurance qu’il dispose des mêmes outils et de la même sécurité que ses concurrents », poursuit-il.

De son côté Aura, la blockchain du groupe LVMH, indique être « ouverte à toutes les marques de luxe », et pas seulement aux différentes maisons qu’il possède. Une course s’engage donc pour amener un maximum de marques à rejoindre telle ou telle blockchain, sachant que la sécurisation, la neutralité et surtout l'attractivité de ces dernières iront croissantes avec le nombre de parties prenantes. Et, à l’instar de l’écrémage qu’a progressivement connu le marché des pure-players de l’e-commerce, le marché des blockchains est logiquement amené à se clairsemer avec le temps. Son devenir reposant, pour l’heure, sur sa capacité à vanter les atouts d’un outil techniquement difficile à vulgariser.

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