Publié le
15 sept. 2022
Temps de lecture
4 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Quel futur bouclier européen contre les produits issus du travail forcé ?

Publié le
15 sept. 2022

La Commission européenne a dévoilé le 13 septembre ses mesures visant à interdire l'importation et la vente de produits du travail forcé. Contrairement aux mesures prises par les États-Unis, les propositions ne ciblent par spécifiquement la région du Xinjiang et les produits liés au Ouïghours. Autre différence: ce sera en Europe aux pouvoirs publics de démontrer les liens d'un produit avec le travail forcé, là où Washington fait peser sur les marques la charge de la preuve.


Couturières Ouïghours photographiées lors d'une visite organisée en avril 2019 à Hotan, dans le Xinjiang - Shutterstock



L'annonce était particulièrement attendue, quelques jours après que l'ONU a finalement publié les résultats de ses enquêtes et consultations sur le Xinjiang, évoquant de possibles "crimes contre l'humanité", des "preuves crédibles" de tortures et de violences sexuelles à l'égard de la minorité musulmane des Ouïghours. Les Nations Unies viennent par ailleurs de publier leur rapport sur le travail forcé, estimant à 50 millions le nombre de victimes d'esclavage moderne en 2021.

"Dans la géopolitique actuelle, nous avons besoin de chaînes d'approvisionnement sûres et durables", estime le commissaire européen au commerce Thierry Breton. "Nous ne pouvons pas conserver un modèle de consommation de marchandises produites de manière non durable. Notre position de leader industriel et technologique présuppose une plus grande fermeté dans la défense de nos valeurs et dans la définition de nos règles et de nos normes. Notre marché unique est un atout formidable pour empêcher la circulation dans l'UE des produits issus du travail forcé et il constitue un levier pour promouvoir une plus grande durabilité dans le monde".

Reste que les mesures proposées (consultables ici) ont été accueillies de façon partagée par élus et ONG, qui saluent dans l'ensemble une prise de position attendue et bienvenue sur le sujet, mais pointent les freins et oublis risquant d'amoindrir l'impact de la décision. Si certains déplorent que le Xinjiang ne soit pas ciblé spécifiquement, comme c'est le cas côté américain, ce point est notamment à lire à l'aune d'un problème souvent oublié: les Ouïghours sont, de longue date, dépêchés dans les usines (notamment textiles) d'autres provinces chinoises. Un point qui était souligné dès le rapport initial de l'ASPI, qui avait lancé le débat en mars 2020 (notre article dédié).

Enquêtes, saisies et destructions



L'autre aspect des propositions de la commission va s'avérer plus problématique pour les ONG. Alors que celles-ci espéraient voir les marques et importateurs contraints de démontrer l'absence de travail forcé autour d'un produit, les commissaires ont choisi d'inverser la charge de la preuve. C'est aux États d'évaluer "les risques de travail forcé", et de saisir au besoin les autorités compétentes locales (en France, il s'agira de la DGCCRF) pour mener une enquête préliminaire. Elles pourront s'appuyer en cela sur une base de données européenne prévue à cet effet, recensant les risques selon produits, sociétés ou zones.

Si des preuves sont identifiées lors de cette phase, une enquête plus fouillée pourra être initiée, et pourra cette fois s'appuyer sur les enquêtes et données apportées par des ONG, ainsi que sur toutes sources "vérifiables et indépendantes". Les produits dont l'absence de lien avec le travail forcé n'aura pas été démontré à cette étape seront retenus par les autorités, pour être détruits ou recyclés.


Shutterstock


Par cette approche, la Commission espère pousser les entreprises concernées à coopérer avec les investigations. "Si les autorités nationales ne peuvent réunir tous les éléments de preuve dont elles ont besoin, par exemple en raison d'un manque de coopération de la part d'une entreprise ou d'une autorité d'un État non membre de l'UE, elles peuvent prendre leur décision sur la base des données disponibles" prévient ainsi l'instance.

Le texte de la Commission doit désormais être examiné et approuvé par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Dès lors, il faudra 24 mois pour une entrée en vigueur du texte. Dans les 18 mois à compter de l'entrée en vigueur du règlement, la Commission publiera quant à elle ses lignes directrices sur le sujet. Dont "des orientations sur le devoir de vigilance en matière de travail forcé et des informations sur les indicateurs de risque du travail forcé", indique Bruxelles.
 

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com