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17 mai 2021
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Réouvertures: des commerçants entre préparatifs et inquiétudes

Publié le
17 mai 2021

Dernier coup d'aspirateur, réserves de gel hydroalcoolique... Mercredi 19 mai, c'est la réouverture de tous les magasins, fermés pour certains depuis deux mois pour cause de crise du Covid-19, et parfois depuis janvier pour les centres commerciaux de certaines zones. Un "grand soulagement" pour les professionnels qui attendent avec impatience le retour de leurs clients. Et notamment dans le secteur de la mode où, alors qu'un débat sur les dates de soldes fait rage, des entreprises comme Eram, Nat & Nin ou Bonton se sont préparées à cette relance.


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Mais quels préparatifs cette réouverture implique-t-elle? "Oh vous savez, on n'a pas grand chose à faire avant mercredi, tout est déjà prêt!" Emile Wakselman, marchand de chaussures installé près de la Porte d'Orléans à Paris, a surtout hâte de pouvoir ouvrir "aux gens qui frappent au carreau toute la journée".

Petite boutique, grande enseigne, centres commerciaux... La réouverture, "c'est un grand soulagement", se réjouit Sophie Brenot, présidente de la Fédération des détaillants Maroquinerie et Voyages. "En Normandie, à La Baule, des adhérents se plaignent de ne pas ouvrir dès ce week-end vu le monde qu'il y a dans la rue", expliquait-elle vendredi. "Bon, moi je suis installée à Paris et à Asnières, il n'y a personne et il pleut..."

En attendant, les aspirateurs vrombissent et les équipes de nettoyage s'activent pour préparer le retour des clients en boutique. "Il faut re-nettoyer les centres, préparer la chaufferie pour l'air conditionné... Si vous y passez lundi ou mardi, vous verrez que c'est déjà pas mal animé", explique Christophe Deshayes, directeur général France du groupe McArthurGlen, qui exploite trois magasins d'usine à Troyes, Roubaix et Miramas.

"C'est une grande machine à remettre en place, même si l'ensemble de nos centres sont restés ouverts pour les commerces essentiels qui y sont installés, notamment les grandes surfaces alimentaires", explique Frédéric Merlin, président de la Société des Grands Magasins (SGM), une foncière qui détient et exploite une dizaine de centres commerciaux de centres-villes en France.

Déploiement de la jauge limitant l'accueil



Les autorités ont détaillé un protocole sanitaire en plusieurs étapes avec notamment un encadrement du nombre de clients pouvant être accueillis, soit une jauge d'un client maximum pour 8 mètres carrés. Cette jauge passera à un client pour 4 mètres carrés à compter du 9 juin, et doit disparaître le 30 juin.

Les clients seront-ils au rendez-vous? "L'objectif est de se dire que la reprise sera aussi bonne que les deux fois précédentes, pour le moment nous avons plutôt de bons indicateurs", se réjouit Frédéric Merlin. Depuis sa boutique parisienne, Emile Wackselman est plus prudent, et pour cause : "Contrairement à d'autres magasins, la sortie de confinement en mai dernier n'a pas du tout été bonne, avec des ventes en recul de 30% par rapport à l'année précédente."

Chez les opérateurs d'espaces commerciaux, chacun cherche à maximiser cette reprise. McArthurGlen, 90 millions de visiteurs et 4,5 milliards de ventes en 2019, se projette à partir des relances observées dans les 10 pays où le réseau opère. "Certains ont rouvert récemment, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, et on observe de très bons chiffres avec un nombre de visiteurs supérieur à 2019 et avec un panier moyen supérieur également", confirme Christophe Deshayes.

Autre acteur du déstockage, le réseau Marques Avenue a de son côté lancé l'opération "Les Jours Heureux". Les sept outlets situés à Troyes, Talange (Metz) et Romans (Valence), Franconville, Corbeil-Essonnes, Aubergenville et l'Ile-Saint-Denis, vont ainsi être largement fleuris, rythmés par des animations, et garnis de terrasses éphémères pour la restauration. Tirages au sort, goodies offerts et réductions sur les collections été sont en outre annoncés à FashionNetwork.com par la direction.

La foncière Klépierre prépare quant à elle deux campagnes numériques pour marquer la réouverture de ses centres, dont Val d'Europe (Marne-la-Vallée) et Créteil Soleil, tandis que le dispositif de click & collect déployé sur le parking de Belle Epine (Thiais) va par exemple profiter à l'ensemble des enseignes pour encourager la reprise. A Rives d'Arcins (Bègles), une terrasse éphémère va être proposée jusqu'au 5 juin, dans un effort global pour proposer sur le réseau des espaces de restauration en extérieur.

Le groupe Hammerson, qui pilote les Terrasses du Port (Marseille), Italie Deux (Paris), les 3 Fontaines (Cergy) ou O'Parinor (Aulnay-sous-Bois) va également mener une campagne digitale via les réseaux sociaux pour soutenir la relance de ses commerces non alimentaires, via une mise en avant des nouveautés, collections ou offres promotionnelles.

L'habillement déconfiné, mais pas sauvé…



La reprise s'annonce en tout cas disparate. En fonction des zones géographiques, avec une prime au littoral et Paris en grand perdant. Mais aussi selon les catégories de produits: l'aménagement de la maison ou les articles de sport restent très porteurs, tandis que l'équipement de la personne ou la cosmétique ont jusque-là beaucoup souffert de la crise du Covid-19.

"Moi, je suis en bord de mer, en juillet et août je travaille ! Mais pour les collègues de Tours, d'Orléans ou de Paris..." Comme Stéphane Rodier à Granville dans la Manche, les commerçants du prêt-à-porter restent préoccupés malgré la réouverture mercredi.


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"Si on cumule, on en est à cinq ou six mois de fermeture administrative depuis un an, le gros enjeu va être d'écouler les stocks", avertit le sociologue à l'université de Paris Vincent Chabault, auteur d'un "Eloge du magasin".

Dans sa boutique de chaussures entre Alesia et Porte d'Orléans à Paris, Emile Wakselman montre un modèle féminin. "C'est léger, confortable, tout ce que vous voulez! Sauf que ce n'est plus de saison pour le printemps, et ça va rester jusqu'à l'automne." Ces chaussures finiront-elle par partir? "La marchandise qui dort, il faut la payer", souligne le commerçant. Et s'il faut solder le modèle, parce que la couleur ou la matière ne sont plus à la page, c'est sa marge qu'il devra amputer d'autant.

La question des stocks et de leur dépréciation a progressivement été entendue par Bercy, qui a officialisé une mesure de soutien pour les commerces indépendants et TPE-PME spécialisées dans la mode (sur la base du fonds de solidarité touché en novembre dernier). Ces structures qui réalisent moins de 12 millions d'euros de ventes annuelles recevront cette aide le 25 mai prochain. Un autre dispositif sur les stocks, dédié aux acteurs de plus grande taille et aux enseignes, doit être annoncé sous peu.

Jusque 40% de ventes en moins



Se pose également la question des rabais, qui ne manqueront pas de rythmer ce redémarrage. En 2019, la moitié des ventes d'habillement se faisaient à prix barré. Mais tandis que les grandes enseignes veulent maintenir ou prolonger les soldes d'été pour rapidement vider leurs sur-stocks, d'épineuses questions de marge et rentabilité se posent chez des commerces mode de tailles moindre, qui militent pour un report.

Payer les fournisseurs, les charges fixes comme le loyer... Les commerçants ont en effet continué à débourser durant la crise et les fermetures afin de maintenir leur activité à flot. Et ceci alors que certains estiment avoir perdu, depuis le déclenchement de la crise du Covid-19, 40% de leur chiffre d'affaires habituel.

Pierre Talamon, créateur de vêtements pour hommes, peut à peine circuler dans le sous-sol de sa boutique du Marais à Paris, encombré de portants sur lesquels patientent vestes d'hiver ou chemises de la saison précédente. Lui demande à être accompagné par des aides d'Etat "tant que l'interaction humaine n'est pas revenue à la normale".

"On ne s'habille pas pour défiler tout seul devant sa glace", plaide-t-il. Cela pourrait changer avec le déconfinement, mais "il aura fallu attendre le mois d'avril 2021", pour qu'une aide permette de compenser la perte de chiffre d'affaires.

Une situation déjà troublée avant-crise



Pour ne rien arranger, les ventes de prêt-à-porter baissent depuis plus de dix ans, rappelle Gildas Minvielle, directeur de l'observatoire économique de l'Institut Français de la Mode (IFM). "La consommation dans les grands pays est arrivée à une forme de maturité en 2007, 2008", détaille-t-il. "Le pouvoir d'achat n'a pas évolué de manière très dynamique depuis la crise des subprimes."


Evolution des ventes françaises d'habillement depuis mars 2020 - IFM


Les boutiques indépendantes ont aussi dû faire face aux assauts successifs des grandes chaînes, puis du e-commerce, tout en souffrant d'événements conjoncturels comme les gilets jaunes ou les grèves dans les transports en commun. Fin d'un modèle? Non, assurent professionnels et spécialistes. "La place du commerce multimarque indépendant a beaucoup diminué ces trente dernières années", concède Gildas Minvielle. "Mais il n'est pas question d'en envisager la disparition."

"Les indépendants répondent à une demande d'authenticité", abonde Vincent Chabault, qui observe en outre "un renouvellement générationnel des commerçants, qui ont su créer un lien, un rapport de fidélité via le numérique et les réseaux sociaux pendant le confinement".

Emile Wakselman a constaté ce dernier point via le click&collect dans sa boutique. "Les clients avaient presque plus de plaisir à venir au magasin que nous à les recevoir", sourit-il. "On s'est rendu compte que le commerce, c'est vraiment la vie de la cité, la vie normale". Un point sur lequel fédérations et exécutif avaient lourdement insisté dès le premier confinement, poussant les commerces indépendants et petits réseaux à se numériser rapidement. En s'adossant notamment à une série d'aides et d'appels d'offres lancés par Bercy.

De son côté, Stéphane Rodier, depuis sa boutique de prêt-à-porter Guinement, explique avoir fait évoluer sa stratégie d'entreprise "depuis deux, trois ans", pour se tourner vers "des marques qu'on n'a pas partout", avec plus de conseil, de sélectivité, plutôt que des grandes références que les consommateurs trouveront sur internet.

Mais "le Covid nous a stoppés", regrette-t-il. "Avec le prêt garanti par l'Etat (PGE), j'ai emprunté 300.000 euros qui n'a servi qu'à auto-financer ma fermeture". Il estime sa perte de chiffre d'affaires à 400.000 euros, "pour 24.000 euros d'aide". Amputant d'autant sa capacité à transformer son activité.

(avec AFP)

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