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Traduit par
Paul Kaplan
Publié le
21 mars 2022
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Roland Herlory (Vilebrequin): "Il faut laisser du temps au temps"

Auteur :
Traduit par
Paul Kaplan
Publié le
21 mars 2022

"Il faut laisser du temps au temps", nous explique Roland Herlory, le PDG de Vilebrequin, en dévoilant une toute nouvelle collaboration entre trois artistes célèbres et la marque de vêtements de plage, qu'il a discrètement transformée en numéro un du marché des maillots de bain de luxe.


Roland Herlory, CEO of Vilebrequin and of Sonia Rykiel - - Vilebrequin


 
Le lancement — qui met à l'honneur Sylvie Fleury, Kenny Scharf et John M Armleder — n'est qu'un des nombreux projets supervisés par Roland Herlory. Récemment, ce dernier a aussi été nommé PDG de Sonia Rykiel, après son acquisition par la société new-yorkaise G-III, qui a racheté Vilebrequin fin 2021. Heureusement, le dirigeant prévoit d'adopter la même approche stratégique pour la marque de luxe française rachetée par le groupe américain.
 
Cette attitude réfléchie est manifeste dans la dernière collaboration de Vilebrequin. Au départ, la marque avait prévu un quatuor, mais les idées de l'artiste afro-américaine Mickalene Thomas s'étant avérées trop complexes pour être concrétisées dans les temps, Vilebrequin a préféré repousser son lancement.

"Notre quatrième artiste n'était pas encore prête. Mickalene Thomas cherche à repousser les limites, et cela prend du temps. Nous devons respecter ce principe, et ses aspirations", insiste Roland Herlory autour d'un café au restaurant La Plume, sur le toit de Paris.
 
Ce cadre particulièrement cérébral a eu l'idée de cette collaboration artistique en voulant travailler avec l'éditeur JRP Editions et son fondateur Lionel Bovier, un commissaire d'exposition réputé et le directeur du MAMCO, le principal musée d'art moderne de Genève, où se trouve le siège de Vilebrequin.
 

Vilebrequin



"Au départ, nous voulions collaborer avec des artistes pour qui le textile fait l'objet d'un engagement naturel, au coeur de leur pratique. J'hésitais à mélanger l'art et la mode. Mais c'est Lionel qui a identifié ceux dont le travail pouvait s'inscrire logiquement dans notre univers", confie Roland Herlory.
 
Sylvie Fleury est souvent qualifiée d'"artiste de l'appropriation", car elle emprunte et mélange avec une ironie absurde les artefacts et l'imagerie de la culture populaire américaine et du luxe européen. Ses maillots de bain Vilebrequin ornés de tuyaux d'échappement flamboyants font écho aux obsessions de l'artiste pour les cabriolets américains.
 
Kenny Scharf, dont le style pourrait se résumer à "la haute couture du street art", a déjà collaboré avec Dior sur une collection ayant pour thème Saint Laurent à Miami. Les shorts de Kenny Scharf reprennent ses sympathiques monstres grimaçants en graffiti, ou une série de crabes, ce crustacé fétiche de Vilebrequin. Tandis que les liens de John M Armleder avec le conceptualisme néo-géométrique l'ont conduit de manière inattendue à une forme d'abstraction gestuelle.
 
Les idées de chaque artiste se concrétisent à travers des serviettes, des chapeaux de plage, des bikinis et des chemises en lin. Dès le printemps prochain, Vilebrequin les commercialisera dans seulement 20 boutiques, et en ligne sur les sites web de la marque. Mais probablement pas chez ses partenaires e-commerçants, même si Vilebrequin travaille avec toutes les grandes enseignes du secteur — Net a Porter, Mytheresa, Zalando et Farfetch.
 
"Je ne veux pas qu'ils soient vendus comme n'importe quels autres maillots. Ils ne sont pas une œuvre d'art, mais des prolongements de l'œuvre d'un artiste. Il faut donc qu'ils soient présentés avec une explication adéquate", estime Roland Herlory.
 

vilebrequin



En effet, le partenariat concerne autant l'image que la vente. Car Vilebrequin pourrait gagner dix fois plus en s'associant à un grand designer.
 
"Mais il faut rêver pour faire rêver nos clients. Cela permet d'élever le niveau de notre marque et de générer une impulsion. Ensuite, cela nous fait progresser d'un point de vue technique. Nous y apprenons tous quelque chose. Et troisièmement, travailler sur quelque chose de rare et de beau, cela a de quoi rendre fier", conclut Roland Herlory, dont le penchant pour les pantalons larges en velours côtelé et les vestes en tweed le fait ressembler davantage à un intellectuel qu'à un cadre.
 
La toute première collaboration artistique de Vilebrequin s'est nouée avec Massimo Vitali, un photographe italien célèbre pour ses photos grand format de plages.
 
"Massimo est l'artiste par excellence de la plage, cet environnement particulier qui a vu naître Vilebrequin. Il aimait la marque, et pour créer ses images, il a demandé aux participants de porter des shorts blancs sur les plages de la Presqu'île de Gien ou de Porquerolles. Pour respecter le travail de l'artiste, c'était techniquement très difficile — il fallait même s'assurer que l'image se prolonge correctement dans la poche. Mais nous y sommes parvenus", se réjouit-il. Le résultat : une série de maillots de bain légendaires, des icônes du beachwear.
 
Par la suite, il a ajouté Alex Israel, Derrick Adams, Donald Sultan, les Rolling Stones et Karl Lagerfeld au catalogue. Plus récemment, Palm Angels et Space Jam, le film. Dans 10 ans, Roland Herlory espère monter une grande exposition de toutes ces collaborations.
 
L'année dernière, Vilebrequin a célébré le 50e anniversaire de la marque fondée par Fred Prysquel, photographe sportif daltonien et fan de courses automobiles. En 1971, celui-ci a l'idée d'un nouveau maillot de bain vraiment original. Après avoir cousu lui-même le premier exemplaire et trouvé ses premiers clients, il lance sa marque.
 
Il y a plus de vingt ans, Pierre Blum des montres Ebel s'offre Vilebrequin et transfère son siège à Genève. Il y a dix ans, G-III, détenteur des licences de Calvin Klein et de Tommy Hilfiger, rachète Vilebrequin à la société néerlandaise Fashion Fund One pour 85,5 millions d'euros, soit près du double du chiffre d'affaires de la marque en 2011, qui s'élevait à 45 millions d'euros.
 
G-III, société cotée au Nasdaq, ne précise pas le chiffre d'affaires annuel de Vilebrequin, mais Roland Herlory affirme qu'il s'élève à "environ 100 millions d'euros, ou 200 millions d'euros au détail". Jeudi, G-III a annoncé des bénéfices de 200 millions de dollars pour un chiffre d'affaires annuel de 2,77 milliards de dollars, contre 23,5 millions de dollars et 2,06 milliards de dollars un an plus tôt.
 

Herlory ne tarit pas d'éloges sur le PDG de G-III, Morris Goldfarb.


 
"Morris aime construire des marques. Il possède un petit groupe de marques, et il apprécie la manière très stricte dont nous développons Vilebrequin. Les Américains sont parfois très agressifs en matière de croissance. Mais Morris soutient et accepte un rythme plus long chez Vilebrequin. Oui, nous nous développons chaque année, mais à un rythme naturel pour la marque, en ajoutant des marchés, mais avec précaution. Et c'est ainsi que nous allons procéder chez Rykiel", indique Roland Herlory, qui parle un anglais parfait mais s'exprime en français.
 
Celui est devenu PDG de la marque lors du rachat de G-III, après avoir passé 23 ans chez Hermès où il a occupé plusieurs postes dont ceux de directeur commercial du groupe, de directeur pour l'Amérique latine, et de responsable des projets spéciaux de Jean-Louis Dumas, le plus génial des PDG de la marque.
 
"J'ai été attiré par Vilebrequin parce que c'est une vraie référence dans sa spécialité. Elle défend une vraie vision, tout en proposant un produit vraiment original — le premier véritable short de bain, conçu pour profiter au maximum de la plage. Nous avons voulu pousser plus loin cet exercice d'excellence et faire preuve d'inventivité", explique Roland Herlory, qui a récemment fêté son propre demi-siècle, un anniversaire à l'occasion duquel il a fait voeu de ne dire que la vérité, rien que la vérité.


Fred Prysquel, fondateur de la marque - - Vilebrequin



Au cours des deux premières années, tout était axé sur "la modernisation, la modernisation et la modernisation". Il fallait s'assurer de n'utiliser que des doublures, des embouts, des matériaux élastiques et des mailles de la meilleure qualité, un facteur essentiel car les shorts Vilebrequin sont réputés pour être extrêmement confortables et sécher rapidement. Le filet est constitué d'un fil de polyester entouré de coton. Les cuissards sont fabriqués en polyamide élastique filé en France, tandis que les imprimés sont tantôt français, tantôt italiens. Utilisant un fil haute densité, les tissus sont brossés avec du papier de verre pour créer une sorte de moleskine en micro velours.
 
"Le toucher vous procure un sentiment de confort. Pour un ressenti humain et naturel", explique Roland Herlory, qui a grandi à l'est de Metz, avant de monter à Paris pour étudier à la Sorbonne.
 
A-t-il appris des choses chez Hermès qu'il applique désormais chez Vilebrequin ?
 
"La qualité et la longévité. Pour moi, la vraie éco-responsabilité, c'est la solidité. Un produit qui dure des années. On peut réparer nos shorts, changer l'élastique ou le filet à l'infini. Ça, je le tiens d'Hermès. Aujourd'hui, tous nos fils sont recyclables. Nous tirons notre polyamide de filets de pêche et même de tapis. Même les matériaux plus fins sont récupérés dans des bouteilles plastiques. Nous collaborons également avec 1.500 pêcheurs en Espagne", précise-t-il.
 
À l'heure actuelle, Vilebrequin exploite environ 200 magasins indépendants, notamment dans 10 aéroports, et certains ne mesurent que 20 mètres carrés. Par ailleurs, la marque est distribuée dans environ 150 points de vente dans des grands magasins de prestige comme KVD, Harrods, Selfridges, Galeries Lafayette, Nordstrom, Neiman Markus, Saks et Bloomingdales.
 
"Certes, de nombreux grands magasins ont été confrontés à de graves difficultés, même si certaines enseignes américaines se sont très bien débrouillées avec leurs sites de e-commerce. Mais à mon avis, Internet est une véritable escroquerie. Si on paie davantage, on obtient une position plus élevée sur Google. C'est pratiquement comme une guerre des gangs. Nous déboursons 85 cents pour chaque clic généré par la recherche d'un maillot de bain de luxe, et plus encore en haute saison", s'indigne-t-il.

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