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Timo Schmidt-Eisenhart (Timberland) : "Atteindre 100% de vêtements écoresponsables en 2020"

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5 oct. 2018

Timberland, repris en 2011 par le groupe VF pour deux milliards de dollars, affiche une croissance de 2 % de son chiffre d’affaires au premier trimestre de son exercice décalé. Une progression notamment portée par le marché européen où la marque améliore ses ventes de 5 % par rapport à la même période un an plus tôt. Preuve de cette croissance, Timberland vient d'agrandir son centre logistique d'Almelo aux Pays-Bas pour atteindre les 52 000 mètres carrés. De passage à Paris pour l’inauguration d’une exposition gratuite du photographe et activiste écologiste Sebastian Copeland, installée sur les grilles du Sénat, Timo Schmidt-Eisenhart, patron de la marque sur l’Europe livre à FashionNetwork.com les clés de cette croissance. L’occasion aussi d’évoquer, dans les locaux parisiens du groupe VF France établis rue du Louvre, les engagements « verts » de la marque et l’arrivée en magasins de sa collaboration avec Christopher Raeburn.


Timo Schmidt-Eisenhart - DR


FashionNetwork : Avec cette exposition de Sebastian Copeland, vous vous inscrivez dans un propos écologique très en vogue. Quelle est la stratégie « verte » de Timberland ?

Timo Schmidt-Eisenhart :
Il y a clairement depuis quelques saisons une tendance autour du « green ». Nous voyons ce phénomène de manière très positive car nous nous inscrivons dans ce mouvement depuis 45 ans et la création de la marque dans le New Hampshire sur la côte Est et de son premier modèle Yellow Boot. Depuis cette époque, le côté durable est une part de l’ADN de la marque. Aujourd’hui il y a cette tendance, avec de manière opportuniste, du greenwashing chez certaines sociétés. De notre côté, nous nous sentons bien car nous avons prouvé que ce nous faisions au début était la bonne chose, même si l'époque personne ne s’intéressait à ces questions. Avec le réchauffement climatique, les tempêtes, les inondations, les gens voient que quelque chose ne va pas et que nous devons faire quelque chose. C'est devenu un sujet important.

FNW : Aujourd’hui, c’est un axe fort de votre communication. C’est important de se montrer comme un acteur engagé dans le développement durable ?

TS-E :
Nous conservons notre stratégie, notre ADN. Bien sûr nous l’avons renforcé. Il y a 30 ans, la famille fondatrice a réalisé des démarches écologiques, mais elle n'en parlait pas. Elle pensait juste que c’était la bonne chose à faire. Aujourd’hui, nous avons besoin de parler de nos actions pour créer un impact. Si vous en parlez et que vous êtes reconnu en tant que leader du marché, il y a de fortes chances que les autres vous suivent. Et lorsque vous réussissez vos développements, il y a de fortes chances que toute l’industrie aille dans cette direction.

FNW : Avez-vous d’autres moyens de prendre la parole sur ces questions environnementales ?

TS-E :
Le prochain grand rendez-vous pour nous et le lancement de la collaboration avec Christopher Raeburn. C’est un important lancement de collection qui va avoir lieu mi-octobre dans nos magasins phares, dans les villes clés en Europe. Nous n’avions jamais fait cela avant. Nous avons eu des collaborations sur la chaussure et en particulier sur la Yellow Boot. Mais nous n’avions jamais eu un designer de cette envergure réalisant une collection complète pour nous. Et pas seulement pour une collection, mais sur plusieurs saisons. C’est un engagement fort car son univers et sa philosophie correspondent parfaitement à la nôtre avec des matériaux réutilisés, recyclés ou bio.


La marque est partenaire de l'exposition de Sebastian Copeland actuellement visible sur les grilles du Sénat à Paris. - Sebastian Copeland


FNW : Quelles sont vos actions concrètes pour améliorer votre impact écologique ?

TS-E :
Nous nous appuyons sur trois piliers. D’abord le produit. Par exemple dans le vêtement, sur notre ligne 'Apparel Global line', 82% des produits sont bio, recyclés ou en "good cotton". Notre objectif est d'atteindre 100 % en 2020. C’est vraiment un ancrage fort. Le passage de 82 % à 100% ne se fera pas en un claquement de doigts. Nous travaillons le PET recyclé issu de bouteilles en plastique. Cela représente l'équivalent de 300 millions de bouteilles transformées. Il y a une campagne pour le printemps prochain avec une collection spéciale valorisant cette action. Mais l’effort est bien plus large. C’est juste le sommet de ce que nous mettons en place. Notre second pilier est l’outdoor. C’est illustré par l’exposition que vous voyez sur les grilles du Palais-Royal avec les photographies de Sebastian Copeland. Au cours de la décennie, au niveau global chez Timberland, nous avons planté 9 millions d’arbres (le logo de la marque, nldr). Notre objectif est d’atteindre 10 millions.

FNW : Et votre troisième point ?

TS-E :
Reconnecter les communautés à la nature. Aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes, dans les 10-20 prochaines années ce sera 60 %. Et dans la plupart des grandes villes, la nature est absente. Les enfants ne voient pas un arbre. C'est choquant de penser à cette génération grandissant sans aucune connexion avec l’outdoor. Nous avons créé "My Playgreen" il y a deux ans, avec l’ambition de rendre plus vertes les villes. Nous créons des projets dans les villes, cela peut être des petits jardins, des espaces de jeux, des potagers sur les toits. Nous avons débuté ce projet sur Milan et Londres, puis Berlin lors du Bread && Butter. Et nous allons l'étendre à Paris et Barcelone dans les deux prochaines années. …A Milan nous avons fait 30 000 mètres carrés d'espaces verts. C’est une façon d’amener les personnes plus près de la nature.

FNW : Sur le produit, concrètement comment atteindre votre objectif de 100% de pièces bio ou recyclées ? Quels sont les freins ?

TS-E :
Evidemment tout n’est pas parfait. Dans un vrai "bon monde", il n’y aura plus de bouteilles, donc plus de fil en PET recyclé. Mais nous poussons tout le monde à faire en sorte que cela arrive. C’est certain que les derniers 1 % ou 2 % seront les plus compliqués à atteindre pour n’avoir que du bio ou du recyclé. Mais en tant qu’entreprise, c’est important d’avoir ce but. Nous sommes transparent par rapport à cela et suivons l’évolution. Ce qui est important, c’est d’agir et faire quelque chose qui a du sens.

FNW : Le rachat d’Icebreaker, réalisé l’an dernier par VF, pourrait-il vous aider à atteindre ce but ?

TS-E :
Absolument. Notre CEO, Steve Rendle en a parlé. L’idée de s’appuyer sur la laine, un matériau naturel, est importante. Nous avons maintenant une plateforme, via Smartwool, qui est reconnue pour maîtriser et contrôler la chaîne d’approvisionnement jusqu’au mouton en Nouvelle-Zélande. C’est une approche très responsable. C’est évident que nous allons utiliser cela au sein de VF, en tant que plateforme matière. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est trop tôt pour savoir ce que cela apportera concrètement à l’offre Timberland.

FNW : Vans annonce ses ambitions d'atteindre les cinq milliards de dollars de chiffre d'affaires. Quels sont les objectifs de Timberland ?

TS-E :
Vans a récemment eu ses journées investisseurs durant lesquelles ils ont annoncé leurs perspectives. Nous avons eu les nôtres il y a plus de deux ans. Le plan a été retravaillé avec l’évolution de l’activité. Mais je ne peux donner de détails car nous n’avons pas eu nos journées investisseurs. VF communique une marque après l’autre, nous laissons Vans afficher les gros chiffres. Pour Timberland, je ne peux pas dévoiler les ambitions pour l’heure.

FNW : Sur le dernier trimestre, l’activité de Timberland sur la zone EMEA est en progression par rapport à l’année dernière. Quels sont les moteurs de cette croissance ?

TS-E :
Vous avez bien regardé les chiffres. Sur la zone, clairement le vêtement et la chaussure femme sont les deux catégories qui affichent une hausse à deux chiffres, grâce à de bons produits, de beaux détails et des produits répondant bien à la demande de nos clients. Le masculin est plus stable.

FNW: Avez-vous des exemples de produits qui ont récemment rencontré un franc succès ?

TS-E :
Chez la femme, nous avons la basket Kiri Up qui a très bien fonctionné. Cette offre de sneakers a boosté l’offre au printemps dernier. Elles étaient féminines avec de beaux détails, parfaites en particulier pour les marchés italien, français et espagnol.


Le modèle Kiri Up de Timberland - Timberland


FNW : Cela doit être complexe de sortir de l'image de la Yellow Boot, qui depuis 45 ans est votre produit phare ?

TS-E :
La Yellow Boot, c’est le Saint Graal de la marque, le produit le plus fort que nous ayons. Nous n'y touchons quasiment pas, juste avec des traitements de matières différents ou des collaborations ici ou là. Mais vous ne pouvez pas être dépendant d'un produit en tant que société. Vous ne pouvez pas subir les hauts et les bas de la Yellow Boot et attendre. Vous devez proposer une offre élargie qui vous apporte de la stabilité. C’est ce que nous avons fait depuis l’acquisition. Nous avons voulu étoffer le propos de la marque pour qu’elle soit présente été comme hiver, pour l’homme, la femme et l’enfant, sur la chaussure comme le vêtement et les accessoires. Nous avons maintenant vraiment une empreinte large, alors qu’il y a une dizaine d'années, c’était clairement la Yellow Boot et quelques sacs qui tiraient l'activité. Aujourd’hui, ces derniers représentent un peu plus de 20 % des ventes. C’est toujours important mais le mix est sain.

FNW : Quels sont les équilibres de la marque ?

ET-S :
Nos ventes sont aujourd'hui réparties à  70 % sur la chaussure et 30 % le vêtement. L’homme pèse 50 %, la femme 30 %, l’enfant 10 % et l’accessoire 10 % également. Après cela diffère légèrement selon les pays. Nous sommes toujours une marque de chaussures, mais le vêtement grandit vite.

FNW : Depuis la reprise, le vêtement a été vraiment poussé. Qu’est-ce que vous estimez important dans le développement de l’offre textile ?

ET-S:
Il y a des bases que l’on doit respecter dans l’industrie textile. L’une est le fit. Cela paraît simple, mais c’est un incontournable. Sur ce point, nous avons fait les choses bien dès le début. L’autre base est de faire attention à la manière dont est construit le marché d’un point de vue des besoins des consommateurs. L’Italie et la France ne sont pas comme la Grande-Bretagne, la Suède ou la Russie. Vous avez une clientèle allemande qui n’est pas la même que celle plus mode du sud de la France. Vous devez prendre en compte ces spécificités et avoir les mécanismes qui vous permettent de répondre à chaque marché, sinon vous allez faire une seule chose pour la zone EMEA et ça ne marchera pas. D’un autre côté, vous ne pouvez pas être trop dans le détail. Il faut parvenir à créer une ligne possédant cet équilibre.


Timberland enregistre une croissance à deux chiffres sur ses ventes d'habillement - Timberland


FNW : Au sein du groupe VF, Vans a débuté avec une ligne et en a progressivement ajouté d'autres. Explorez-vous l’opportunité d’appliquer cette recette ?

TS-E :
Ce sont des marques différentes. Mais chaque marque s’appuie sur son cœur d’activité authentique, qui est son héritage. Et après réalise des extensions, via des lignes additionnelles ou en touchant une base de clients plus large. Ce sont les mêmes principes et le diable est dans les détails pour s’adresser à différents segments de consommateurs. L’élément clé c’est que vous ne pouvez pas tout développer. Vous ne pouvez pas passer soudainement du pur outdoor au "high fashion". Cela ne marche jamais. L'évolution doit être raisonnable, gérable. Notre stratégie est de répondre à notre client historique, puis d'étendre l’offre sur des produits qui font sens. Jamais de suivre une tendance qui se meurt en deux ans. Je ne crois pas que le faire soit une manière intelligente de grandir.

FNW : Et comment allez-vous grandir ?

TS-E :
Nous sommes une marque de chaussures depuis les origines. Sur notre marché clé, nous sommes en compétition avec les Geox, Clarks, ce type de concurrents. Dans le même temps, nous avons la possibilité de faire du vêtement, du féminin, de l’accessoire, de l’enfant. Donc nous sommes aussi en compétition avec des acteurs comme Tommy Hilfiger sur le vêtement, ou les grandes marques de sport sur les sneakers. Notre marque est bien positionnée au centre de la société. Là, si nous faisons les choses avec méthode, nous pouvons prendre une grosse part de marché. Nous avons déjà une offre très élargie mais la femme et le vêtement sont clairement des territoires d’expansion. Nous voyons une croissance à deux chiffres sur ces segments. Cela ne veut pas dire que nous allons pas ajouter des choses folles à notre offre. Mais ce que nous avons, nous le renforçons.

FNW : Vos résultats montrent quelques freins sur la partie retail en Europe. Comment analysez-vous ces résultats compliqués ces derniers mois pour vos boutiques physiques?

TS-E :
Nous avons plus de 700 magasins dans la région EMEA, et nous continuons d’en ouvrir 30 à 40 chaque année. Cela fait partie de notre stratégie, même si la profitabilité de certaines de nos boutiques en propre est parfois challengée, notamment du fait des coûts des loyers. Mais avoir un flagship dans des villes clés comme Paris, Londres ou Milan, sur une rue majeure, est quasiment un investissement marketing. C’est un véritable phare pour la marque, même si ce n’est pas toujours aussi profitable qu’une boutique dans une petite ville. Sur Regent Street par exemple, c’est un emplacement incroyable. Nous avons plus de 50 millions de personnes qui passent sur cette zone.

FNW : Quel type de villes visez-vous ?

TS-E :
En France, nous avons 40 magasins, dont une grande part sur Paris. Toutes les grandes villes comme Londres, Paris, Milan, Munich, Berlin sont notre priorité. Nous voulons nous y  développer avant d'aller dans les villes de second et troisième rang. Dans une ville comme Paris par exemple, nous pouvons encore ouvrir cinq magasins sans problème.

FNW : A l'inverse vos résultats en vente en gros sont bons. Comment l'expliquez-vous alors que le marché est dit difficile ?

TS-E :
J’entends depuis des années que l’activité des détaillants est compliquée, que la vente en gros se porte mal. Je pense que c’est faux. Oui, le marché est déstabilisé et régulièrement le bas de la pyramide de distribution souffre. Mais de manière générale, il y a de nombreux vendeurs et mulitmarques qui rencontrent le succès, sur différents canaux. Pourquoi connaissons-nous cette dynamique ? Je pense que c’est parce que nous choisissons les bons partenaires. Nous construisons une stratégie avec eux, de l’indépendant avec quelques magasins aux groupements de plusieurs centaines d’unités. Nous sommes chez toutes les chaînes et les meilleurs spécialistes de la chaussure. L’important pour nous est d’être proche d’eux, d’avoir une stratégie commune et de s'y tenir. C’est le secret, plutôt que de faire un coup sur une saison et sortir.

FNW : Et qu’attendent-ils d'une marque telle que la vôtre ?

TS-E :
Ils veulent une chose et une seule : une marque forte. Cela leur apporte de la stabilité, de la sécurité, du cash-flow et de bons produits. C’est toujours ce qu’ils souhaitent.

 

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