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Publié le
9 mars 2016
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Tribune : les soubresauts du secteur du luxe vus par Michel Roulleau

Publié le
9 mars 2016

Le ralentissement marqué des ventes de produits de luxe dans le monde, conséquence de tensions politiques et économiques fortes, aura au moins l’intérêt d’imposer une réflexion à une industrie du luxe dominante grâce à ses progressions « double digit » pendant de longues années.

Michel Roulleau - Pixel Formula


Car, si les nouveaux riches, issus des pays à forte croissance ou en phase de décollage économique, sont toujours plus nombreux, les marques seraient bien inspirées de faire un « stop » afin de pouvoir re-déclencher un « go » durable.
 
L’industrie du luxe (comme beaucoup d’autres) a dû faire face à de nouveaux défis que la croissance folle de certains marchés lui a permis d’ignorer ou de reporter aux calendes grecques pendant de nombreuses années.

Au moment où la Fashion Week se termine à Paris, il est intéressant de se questionner sur le sens de ces grand-messes biannuelles et de comprendre à quoi peuvent servir ces événements toujours plus fastueux qui creusent le fossé entre des professionnels soucieux de garder leurs « privilèges » et des clients qui se rapprochent toujours plus des marques et des produits.

Le luxe doit-il garder son caractère mystérieux et aspirationnel en se repliant sur lui-même au risque d’être en décalage avec les attentes exprimées des consommateurs ?

Dans tous les cas de figure, il n’est aujourd’hui plus possible d’éviter de répondre à certaines problématiques de fond. J'en ai retenu six !
 
1/ Politique tarifaire
 
Internet et ses moteurs de recherche ont permis au consommateur de connaître en temps réel les prix pratiqués par tous les points de vente à travers le monde. Or, les fluctuations monétaires, les droits de douane différents d’un pays à l’autre, la fixation des prix en fonction de l’intérêt de la marque pour chacun des marchés étrangers créent des situations ingérables à long terme.

Le prix d’un même sac de luxe peut présenter dans certains cas extrêmes une différence de 50 % pour le consommateur s’il est acheté à Paris plutôt qu’à Shanghai.

Les clients, notamment asiatiques, viennent visiter massivement l’Europe, surtout la Suisse (pour acheter les montres de luxe au prix le plus bas), l’Italie et la France (pour les marques d’accessoires et de mode très sensiblement moins chères que dans leur pays d’origine), et l’Allemagne (pour les costumes d’une marque leader du marché masculin… à bas prix en boutique voire en outlet). Mais est-ce durable ?

Une des plus grandes marques de luxe a déjà donné une réponse l’année passée en commençant à harmoniser sa politique tarifaire mondiale. Ce n’est qu’un premier pas, certainement pas le dernier !

Les marques ne pourront pas durablement fermer les yeux sur cette problématique cruciale.
 
 2/ Directeurs artistiques « stars »

 
Les récents événements (de Galliano à Raf Simons, de Alber Elbaz à Hedi Slimane pour les plus connus…) ont montré que ce monde jusqu’à présent très feutré était en ébullition.

En effet, les collections sont toujours plus nombreuses sous la pression de la fast fashion ; le métier est de plus en plus complexe (directeur artistique, mais aussi marketeur, merchandiseur, communiquant, blogueur…) et le binôme créateur/manager parfois frustrant ; les attentes des actionnaires sont toujours plus fortes (avec des résultats difficiles à tenir quand les collections et donc le chiffre d’affaires ne sont pas au rendez-vous).

Bref… Les maisons de luxe ont le blues et les créateurs autrefois couvés et protégés sont maintenant beaucoup plus exposés et tenus pour responsables des résultats plus tendus.

La starisation à l’extrême nie le travail d’équipe et déstabilise souvent l’organisation (notamment les générations Y et Z).
Il faut trouver rapidement un nouvel équilibre organisationnel et une répartition des responsabilités plus novatrice et rupturiste.
 
3/ De la création à la mise à disposition de l’offre
 
Les discussions actuelles qui enflamment le milieu de la mode à propos du « see now/buy now » risquent de déboucher sur des demi-mesures. Notamment un rythme de présentation des collections qui reste le même avec quelques produits (voire capsules) mis en vente dès la fin du défilé.

Et pourtant… nous sommes entrés dans une société de l’instantanéité où les informations, la satisfaction des désirs, la possibilité de posséder sont immédiates.

Pourra-t-on longtemps refuser ce que le consommateur attend ?
C’est à une révision du process de création, fabrication, marketing, supply chain, jusqu’à la mise à disposition de l’offre en boutique (ou sur le net) qu’il faut réfléchir.

Le temps où il suffisait de créer des produits et de les « pousser » vers le consommateur grâce au marketing et aux équipes de vente est révolu.

Il faut intégrer le client final dans le processus et le raccourcissement des délais profitera à la fois au consommateur et aux marques qui vendront plus et ne donneront pas ces quelques mois d’avance à la fast fashion dont le cycle production/mise à disposition des modèles inspirés des défilés est d’un mois maximum.
 
4/ L'e-commerce
 
L'e-commerce a longtemps été « snobé » par la profession, l’expérience du luxe ne pouvant être vécue et être menée à bien que dans les boutiques.

Tout au plus, les marques se sont lancées (avec beaucoup de retard) sur des sites non-marchands permettant de découvrir leur univers, d’être en direct avec le consommateur et d’enrichir le storytelling. Mais aujourd’hui, l’expérience multicanal (ou omnicanal) est la norme et plutôt que d’y aller à reculons, les marques devraient accélérer pour rattraper leur retard et inventer une nouvelle façon de « commercer luxe » via les outils des nouvelles technologies en inventant un merchandising, un marketing, une vente assistée spécifique au e-commerce.
C’est un relais de croissance incontournable pour les prochaines années.
 
5/ L’international
 
Au regard des moyens dont disposent la plupart de ces marques, il est étonnant de les voir systématiquement « voler en formation serrée » sur leurs marchés cibles. Une marque investit dans un quartier d’une ville à l’autre bout du monde et tous les concurrents prennent l’avion pour aller négocier un emplacement dans un rayon de 50 mètres.

Bien sûr, la concentration des marques de luxe crée le trafic donc le business, mais l’esprit défricheur, avant-gardiste sur des marchés prometteurs fait partie de leur ADN.

Quelle marque se donne véritablement les moyens d’aller explorer le Vietnam, l’Inde, l’Egypte, l’Iran, les pays africains en développement ?

Très peu et pourtant… Le leader avait montré la voie il y a quelques années en ouvrant une boutique à Oulan Bator qui avait laissé sceptique la profession.

 6/ « Le » ou « les » consommateurs 
 
Le créateur crée, les commerciaux vendent, les clients achètent. C’était la bonne vieille économie, peut-être le bon vieux temps, mais l’économie 2.0 ce n’est plus cela.

Et si l’information est la même dans tous les pays (et la mode y arrive en même temps), il y a des différences notables que les marques devraient prendre en compte.

Les morphologies des clientes asiatiques, russes ou africaines ne sont pas les mêmes, les goûts et les coutumes diffèrent et une adaptation locale avec des capsules spécifiques paraît nécessaire.

Sans parler des saisonnalités différentes dans les deux hémisphères voire dans le même pays (le même jour il peut faire 40° d’écart entre certains Etats des Etats-Unis).

Il est très important d’affiner l’approche marketing pour « tenter » le plus possible les clients auxquels on s’adresse.
 
Le nouveau luxe ne sera plus seulement une création fabriquée en masse avec un push produit exprimé dans un écrin toujours plus exceptionnel.

La connaissance et la proximité client seront déterminantes pour la création de produits toujours plus personnalisés distribués via un réseau de distribution élargi et complémentaire.

Mais cette recherche d’instantanéité pour répondre toujours plus vite au client final doit être menée parallèlement à une véritable réflexion sur le rôle des différents intervenants entre la création et la vente (presse, blogueurs…) qui participent d’une part à la valorisation des produits des maisons de luxe, d’autre part au rêve qu’elles véhiculent.

Par Michel Roulleau

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