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Un Black Friday noir pour Amazon

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5 déc. 2019

Du blocage de plusieurs centres logistiques aux critiques environnementales émises par Élisabeth Borne en passant par les accusations de destructions d'emplois chiffrées par Mounir Mahjoubi, Amazon France a connu en 2019 un Black Friday rythmé par les polémiques, sur fond de probable pic des ventes. Des reproches auxquels le géant américain a tenté de répondre, mais qui montrent surtout un pure-player devenu pour certains l'incarnation des dérives de la vente en ligne toute entière, voire de la surconsommation elle-même.


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Amazon, "un moteur pour l'économie locale et l'emploi". C'est avec ces mots que le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O conviait la presse à le suivre le 22 octobre dernier pour la visite du nouveau centre logistique Amazon de Brétigny-sur-Orge. Une bienveillance du gouvernement qui va trouver un coup d'arrêt quatre semaines plus tard. "A titre personnel", la ministre de l'Écologie Élisabeth Borne prend position contre le Black Friday : une opération qui "ne profite qu'aux grandes plateformes en ligne", dont Amazon est la principale incarnation. Et qui "multiplie par dix le nombre de colis à livrer le lendemain", souligne la ministre, qui évoque l'impact écologique des livraisons. Des propos qui s'inscrivent dans le sillage d'une étude de l'ONG Attac avançant le chiffre de 56 millions de tonnes de gaz à effet de serre générées par Amazon en 2018.

Sollicité, Amazon nous adresse un communiqué intitulé "Le numérique : une chance pour tous" et même "pour la planète", et évoque notamment la possibilité offerte par la vente en ligne de désenclaver commercialement les zone rurales. Plus concrètement, dans une interview à BFM TV, le directeur général d'Amazon France Frédéric Duval a réfuté les données d'Attac. Et s'arme d'une comparaison : "Personne ne réfute aujourd'hui que les transports en commun polluent moins que le transport individuel", répond le dirigeant. "Pourquoi ne pas appliquer cet état de fait à des marchandises que nous livrons de façon mutualisée par des transports optimisés, et impactant donc moins que si chaque client allait chercher les produits sur des lieux de consommation ?."

Du côté de Bercy, compréhensible silence, le ministère des Finances ayant fait de la taxation des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) l'un de ses chevaux de bataille. Un bras de fer qui a déclenché un rapport de force entre L'Élysée et la Maison Blanche, lequel a connu un nouveau rebondissement le 3 décembre dernier, Washington menaçant de taxer en retour les importations de produits français, En pleine polémique tricolore, Amazon reçoit donc l'appui de son pays natal.

Polémique sur l'emploi



Reste que les derniers jours n'ont pas été sans dommages pour l'image d'Amazon France. D'autant que le député Mounir Mahjoubi, ministre du Numérique jusqu'en mars dernier, a également choisi ce Black Friday pour lancer une lourde attaque contre Amazon France. L'ex-locataire de Bercy s'était déjà énervé en mars dernier du refus d'Amazon de signer une charte de bonne conduite avec les PME. Dans un document de 18 pages, il s'attèle désormais à démonter point par point le discours de l'entreprise quant à ses créations d'emplois. Et avance qu'Amazon détruit plus d'emplois qu'il n'en crée.


Estimations publiées par Mounir Mahjoubi - DR


Sur les 9 300 CDI tricolores d'Amazon (dont 1 800 créés cette année), Mounir Mahjoubi estime que 10 400 emplois de commerces de proximité en équivalent temps plein ont été détruits, un chiffre porté à 20 200 en comptant les vendeurs tiers recourant à la marketplace. En partant du fait qu'à chiffre d'affaires équivalent, les entrepôts Amazon emploient 2,2 fois moins de salariés que le commerce traditionnel, le document fait donc peser sur Amazon le chiffre de 7 900 destructions d'emplois.

"Cette étude est une extrapolation tirée d'une étude de 2016 portant sur les Etats-Unis et appliquée à la France", a répondu Frédéric Duval sur BFM TV. Notons que Mounir Mahjoubi cite effectivement une étude de l'Institute for Local Self-Reliance (ILSR), mais cela afin de la comparer à ses propres conclusions, et non pour s'en servir de base de calcul. 

Frédéric Duval a cependant indiqué préférer se "référer aux chiffres de la Direction générale des entreprises (DGE, rattachée à Bercy, ndlr), qui estime que sur trois ans le commerce a créé 100 000 emplois". Et le dirigeant d'ajouter qu'Amazon est "très content d'avoir participé à la création de ces emplois, avec 5 500 emplois directs et plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans le secteur logistique".

De son côté, le communiqué publié par Amazon France va plus loin. "Amazon se soucie de ses clients, et des communautés au sein desquelles la société est implantée. Elle se soucie aussi tout particulièrement de ses collaborateurs", indique le document, qui précise : "84 % des employés de nos centres de distribution en France se disent satisfaits de leur travail, et 7 sur 10 recommandent à leur proches de nous rejoindre".

De quoi Amazon est-il l'incarnation ?



Via son succès grandissant, Amazon est dans l'opinion publique devenu le nom d'autre chose. Celui des Gafa, tout d'abord, ces géants de l'activité numérique dont les optimisations fiscales sont surveillées et tancées depuis des années. Celui de l'e-commerce, ensuite, la vente en ligne ayant écopé durant la décennie écoulée du même procès en destruction de petits commerces que celui fait, en leurs temps, aux premières grandes surfaces, centres commerciaux, villages de marques et autres magasins discount. Des grands commerces physiques d'ailleurs mobilisés contre "l'iniquité fiscale" les séparant de leurs concurrents en ligne.


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Mais Amazon est aussi devenu l'emblème du Black Friday lui-même. De par sa nationalité, Amazon était un symbole tout choisi par les militants écologistes pour les blocages d'entrepôts qui ont rythmé le "Black Friday". S'ils tendent à oublier le rôle d'enseignes françaises comme Darty, Fnac ou Habitat dans l'apparition d'un Black Friday en France, nombre de consommateurs perçoivent désormais Amazon comme le maître d'œuvre de cette arrivée. De même qu'il est transmis que c'est l'Américain Coca Cola qui rendit le Père Noël rouge.

Au-delà de tous ces enjeux, parfois bien antérieurs à la domination du portail en France, Amazon est surtout le symbole de la surconsommation. A l'heure de la déconsommation choisie, des destructions d'invendus et de l'engouement pour les produits de seconde main, Amazon est devenu la cible privilégiée dans la mise en accusation d'un mode de consommation dont il n'est que la dernière incarnation en date. Avec le risque que cet antagonisme symbolique fasse perdre de vue les enjeux directs liées à Amazon, à l'instar des conditions de travail strictes déjà moteur de plusieurs grèves européennes ou de l'automatisation des métiers logistiques, dont le centre de Brétigny-sur-Orge n'est qu'un avant-goût.

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