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16 juin 2021
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Vers de nouveaux équilibres pour le commerce à Paris?

Publié le
16 juin 2021

Abandonnée par les touristes, fuie par ses résidents les plus fortunés, transformée par la généralisation du télétravail... la ville de Paris a subi de plein fouet les contrecoups de la crise Covid. Des changements profonds qui pourraient modifier durablement son activité commerciale. Ce 15 juin, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, présidée par Dominique Restino, organisait une matinée pour analyser ces impacts.


Le profil des consommateurs et les lieux de shopping évoluent fortement dans Paris - Shutterstock


"La crise a rebattu les cartes de façon très violente. Cette accélération radicale oblige de regarder des paramètres de temps long que l’on a parfois tendance à mettre de côté", a avancé Philippe Goetzmann, élu de la CCI, expert en retail, en introduction, rappelant que "sur Paris il y a 1,8 million d’emplois pour près de 2 millions d'habitants, un rapport très important qui implique une suractivité commerciale."

L'Apur, qui réalise depuis vingt ans une analyse des activités dans la capitale et qui, avec son recul, permet d'avoir une vision des transformations à l'œuvre a ainsi présenté les fruits de son enquête réalisée en octobre 2020, entre le premier et le deuxième confinement. A cette date, Paris comptait 61.540 commerces, dont 19.917 commerces non alimentaires. A titre de comparaison, sur le non alimentaire, Paris compte quasiment 10 magasins pour 1.000 habitants contre moins de 6 pour Marseille, Lille et Lyon. "C'est énorme! Paris fait partie des exceptions sur sa densité commerciale en France mais aussi dans le monde. Nous avons voulu donner en valeur absolue la vacance commerciale, car en pourcentage cela n'aurait pas été très apparent, explique Dominique Alba, directrice générale de l'Apur. Pour autant, il y a des interrogations autour de cette relative augmentation des commerces vacants".


Paris dispose d'un maillage commercial plus important que la majorité des villes - Apur


Alors qu'entre 2014 et 2017, lors des deux dernières études, le nombre de commerces avait très peu fluctué, en 2020, la capitale comptait 1.164 commerces en moins par rapport à 2017. La plupart de ces commerces sont restés vacants, 174 sont devenus des centres médicaux et d'autres ont été fusionnés pour agrandir des commerces existants.

Au final en trois ans, le taux de vacance est passé de 9,3% à 10,5%, avec de très fortes progressions sur des arrondissements qui ne connaissaient pas ces tensions, comme le VIIe arrondissement, autour des Champs-Elysées, ou les Ier, IIe, IIe et IVe arrondissements.


Sans touristes et avec moins de travailleurs, les équilibres commerciaux du quartier des Champs-Elysées ont été malmenés ces derniers mois - Shutterstock


Dans ce registre, alors que les magasins bio ont fleuri, les commerces dédiés à la mode ont clairement payé un lourd tribut. "Avec les confinements et le télétravail, des zones comme le VIIIe arrondissement ont été désertées. Il faut rester prudent quant aux reculs. Les fermetures de commerces de gros étaient engagées de longue date. Le taux de rotation dans la restauration rapide est de 52% et n'est pas surprenant car le renouvellement des concepts est rapide. Mais le taux de rotation du commerce de vêtements est quasiment de 40%. C’est trop élevé pour ce type de commerce car il nécessite de l'investissement."

La mode touchée au premier chef



Une complexité pour le secteur de la mode, qui a perdu plus d'un millier de commerces entre 2017 et 2020 (-13%) et qui est le plus affecté dans la capitale. Sur les dernières années, les réseaux de commerces, qui représentent 23% des locaux mais 38% de surfaces commerciales, ont particulièrement souffert avec un repli de 8% de surface en moins en 2020 par rapport à 2017. Des baisses qui affectent particulièrement le prêt-à-porter et la chaussure.


Les quartiers touristiques et de bureaux ont vu bondir le taux de vacance commerciale - Apur


En effet, ce ne sont pas seulement des indépendants malmenés. Emily Mayer, directrice Business Insight du cabinet IRI, qui a analysé les impacts de la crise Covid sur la fréquentation de Paris et de ses quartiers, relève que dans la capitale les dépenses dédiées au non-alimentaire ont reculé de 20% en 2020 par rapport à 2019, contre 14% au plan national. Le budget mode, qui représente 20,9% des dépenses non alimentaires à Paris (contre 18,4% au plan national) s'est contracté de 24%.


Yohann Petiot, directeur général de l'Alliance du commerce, et Pierre-François Le Louët, président de la Fédération du prêt-à-porter féminin, ont d'ailleurs tout d'eux, dans différentes tables rondes, souligné les complexités du secteur.


Apur


"Il y a un véritable sujet sur la ville de demain. Je crois qu'il faut sortir d'une vision dogmatique d'une ville idéale où tout serait disponible. Nous avions au cœur de Paris une boutique, Colette, qui était dans le monde entier l’exemple du concept-store et attirait les influenceurs. Aujourd’hui, dans un rayon de 150 mètres, Sportmax, Stuart Weitzman, Bonpoint, Moschino, Diane von Furstenberg viennent de fermer, alors que c'était l’épicentre du shopping mondial, a avancé Pierre-François le Louët. J'attends avec impatience la montée en puissance des nouveaux modèles. Nous en connaissons, qu'ils soient 100% digital comme Rouje ou Sézane, ou qu'il s'agisse de marques qui se sont réinventées, comme Ba&Sh qui a donné un smartphone à tous ces vendeurs. Il y a des possibilités de réinvention mais en parlant avec les patrons de la mode, Paris n’est plus la priorité. Les grandes chaînes ont fermé 15% de leur réseau. A quoi vont ressembler nos rues? Je n'ai pas de solution... je partage mon inquiétude de voir que Paris n'est plus la priorité."

L'importance du télétravail va durablement modifier les équilibres



Les inconnues sur la reprise d'activité commerciale sont en effet nombreuses. "Du 19 au 31 mai, qui a été une très belle reprise, on était à +50% (d'activité, ndlr) au plan national, explique Yohann Petiot de son côté. Et seulement +18% dans la capitale. Paris est plus en retard sur la reprise. C'est d'abord lié à l’absence de tourisme international et local. Mais nous savons aussi qu'il n'y aura pas de retour à la normale sur le télétravail. Avec l’importance des emplois à Paris, cela va avoir un impact majeur sur nos commerces. Camaïeu a fermé dix magasins dans la capitale, Celio huit. Ces enseignes sont en train de revoir leur réseau. Les villes moyennes prennent leur revanche en termes de consommation. Ce qui nous inquiète ce sont les situations des grandes villes, et de Paris au premier rang."


Les commerces d'équipement de la personne ont été très nombreux à fermer entre 2017 et 2020 - Apur


Ainsi, le développement du télétravail ne modifie pas seulement les habitudes de déjeuner et d'achats de snacks. Le shopping plaisir et mode est aussi concerné. Les flux ont été profondément modifié dans la capitale... et commencent à redéfinir le centre de gravité du commerce.

Ainsi en 2020, le Triangle d'or et les zones de bureaux ont été très largement délaissés, amputant l'activité du tissu commercial local. En revanche, les zones plus résidentielles, qu'Emily Mayer définit comme le Paris branché, ont su réagir. Et les commerçants de ces quartiers, quand ils ont pu rester ouverts, ont connu une période moins délicate.

"Il y a donc des choses à imaginer pour recréer du flux. Il y a des dynamiques sur la seconde main, l’occasion, la location, la réparation. Le local et le consommer mieux vont rester. Il y a un réinvestissement des Parisiens dans leur vie de quartier. En étant a minima une fois par semaine chez soi pour travailler, les réseaux de commerces vont se poser la question de se rapprocher de ces zones résidentielles. Il va falloir que la ville les fasse se déplacer. Elle devra avoir des commerces attractifs qui vont créer l’événement, des concepts hybrides où il sera possible de déjeuner et d'acheter, et proposer de l'expérientiel pour séduire les jeunes générations".


Evolution des dépenses des foyers français et parisiens entre 2019 et 2020 - IRI



Un challenge majeur à l'heure où les commerces font face aux nombreuses injonctions de transformations responsable, conceptuelle et digitale. La question des loyers est forcément sur la table, alors que les chiffres d'affaires sont en baisse dans les quartiers qui étaient encore les plus attractifs en 2019. Mais la réinvention du rôle du magasin, avec une mixité des usages du commerce de rue, est aussi à l'œuvre, à l'instar de l'arrivée des espaces Auchan Piéton, qui promet quelque 150 points de retrait de 50 à 120 mètres carrés en Ile-de-France, avec la présence de partenaires comme Mondial Relay, La Poste mais aussi Vinted.

"L’accélération de la transformation du commerce a mis en place de nouveaux standards, analyse Pierre-François Le Louët. Il faut avoir les moyens mais surtout l'envie de lancer ces chantiers. Ce sont de nouveaux standards qui risquent de rendre obsolètes extrêmement vite ceux qui n’auront pas bougé. Malgré la crise, il faut en avoir encore sous le pied pour cette mutation très rapide. Mais il y a une grande volonté de la part des commerçants d'apprendre et de s'adapter. La réouverture d’un grand magasin comme La Samaritaine n’arrive pas tous les ans. Cette arrivée avec une résonance internationale, comme l'ouverture de la Fondation Pinault, sont de très bonnes nouvelles. Cela va redonner à tous l’envie de voir ce qui se passe à Paris."

Des atouts pour donner aux touristes, mais aussi aux Franciliens et Parisiens, le désir de redécouvrir la ville Lumière... et ses commerces.











 

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