
Matthieu Guinebault
11 juil. 2023
Vinted: quelle écoresponsabilité pour le roi de la seconde main?

Matthieu Guinebault
11 juil. 2023
Quelque 3,6 milliards de kilomètres en voiture: c’est l’équivalent carbone (453 kilotonnes de CO2) de ce dont Vinted aurait empêché l’émission, selon une enquête lancée par le groupe lituanien pour évaluer son impact sur l'environnement. Un rapport de 164 pages riche en enseignements qui permet de mieux appréhender l’approche responsable de Vinted, ainsi que ses limites.

L’étude a été menée auprès de 350.000 utilisateurs au printemps et à l’automne 2022, ainsi que via l’étude de 200 millions de transactions. Vinted a été épaulé par Vaayu, spécialiste du calcul automatisé de l’impact carbone des détaillants, qui s’est basé sur les émissions carbone moyennes liées à un type de produit (de 12,42 kg de CO2 pour un hoodie neuf jusqu’à 27,84 kg pour un manteau ajusté) et à un type de livraison. Le tout via une méthodologie sur laquelle Vinted semble vouloir jouer la transparence, en la détaillant sur une cinquantaine de pages.
Parmi les constats tirés, il ressort par exemple que pour 2,56 pièces achetées sur Vinted, c’est l’achat d’une pièce neuve qui est évitée. Soit l’équivalent de 1,8 kg de CO2 économisé (un trajet de 15 km en voiture) pour le leader européen de la vente de seconde main, par ailleurs devenu l’un des principaux pourvoyeurs de mode en ligne du Vieux Continent, avec 80 millions de membres sur 18 marchés.
Des données qui vont alimenter les travaux de l’équipe de Marianne Gybels, directrice durabilité de Vinted. Cette dernière explique à FashionNetwork.com que l’entreprise n’a pas un budget spécifique dédié à la durabilité, celle-ci étant au cœur de l’ensemble des stratégies du groupe. “Mon équipe de trois personnes conseille l’ensemble des unités du groupe, avec l’idée que notre équipe compte au final 1.500 personnes (le nombre d’employés de Vinted, ndlr)”, résume la responsable.
Comportement des consommateurs
Parmi les sondés, 20% achètent sur Vinted par considération sociale ou environnementale. Un chiffre “très encourageant”, pour Marianne Gybels. Il ne s’agit pour l’heure que de la troisième motivation citée par le panel. Une part qui monte respectivement à 29% et 27% chez les acheteurs allemands et néerlandais. Tous pays confondus, les utilisateurs restent 47% à se tourner vers le portail en raison des prix plus bas. Et 25% le consultent par curiosité, en quête d’achats impulsifs.

L’étude met par ailleurs l’emphase sur 20% de clients qui achèteraient de la seconde main même si le neuf était au même prix. Derrière ce chiffre, 37% des répondants indiquent qu’ils préféreraient acheter une pièce neuve, auxquels s’ajoutent 32% qui préféreraient “plutôt” cette option. Sans oublier 12% qui ne sauraient choisir entre neuf et occasion s’ils étaient au même prix.
“Mais, au final, peu importe la raison pour laquelle vous achetez de la seconde main”, souligne la directrice durabilité, qui revient régulièrement sur le mantra de l’entreprise: “Quel que soit le choix que vous faites sur Vinted, c’est le meilleur choix. Voilà l’idée que nous voulons installer”.
Du côté des vendeurs, seuls 9% des sondés utiliseraient leurs gains pour acheter des pièces neuves. Dans près de 30% des cas, les fonds vont à un achat sur Vinted, contre 21% mettant ces fonds de côté, et 27% ne se prononçant pas.
Et si Vinted n’existait pas? Plus de 65% n'auraient pas tenté de revendre leurs pièces, qui seraient allées à un organisme de charité (19%) ou auraient dormi dans un placard (13%). Seuls 24% indiquent qu’ils auraient tenté de vendre sur une autre plateforme.

L’un des points clefs de l’étude est le taux de remplacement, c'est-à-dire lorsqu’un client remplace dans son armoire un produit de première main par un produit d’occasion. 39% des achats effectués sur Vinted se feraient dans ce but. En parallèle, 25% des achats sur la plateforme sont réalisés de façon impulsive (part exclue de cette catégorie “remplacement” dans l’étude).
Un chiffre dans lequel réside le reproche récurrent fait à Vinted, à savoir celui de contribuer à une nouvelle forme de surconsommation. “Nous avons cherché des études sur le taux de remplacement dans la première main, mais nous n’avons pour l’heure pas de quoi faire une comparaison fiable”, note sur ce point Marianne Gybels. “Sur les achats d’impulsion, Vinted est comme n’importe quel site. A la différence que nous incitons à prendre soin des vêtements en vue de les revendre.”
Le défi d’une logistique à décarboner
Le transport concentre à lui seul 96% des émissions carbone d’un achat Vinted, avec 1,28kg de CO2 par livraison, et 977 grammes par produit. L’expédition et livraison via relais (dites “PUDO” pour Pick up & Drop off) permettrait de réduire de 62% les émissions. Le tout sachant que pour un quart des répondants le trajet vers un relais représente en moyenne 13 minutes.
Ce point est d’importance à l’heure où Vinted mise largement sur les livraisons via PUDO, et a en ce sens déployé l'an passé sa propre filiale logistique dédiée, Vinted Go. Laboratoire du dispositif, la France comptera 2.000 consignes automatiques à la fin de l’année, que Vinted entend même mettre au service d’autres portails de vente en ligne. “Le fait de connaître exactement l’impact par type de trajet et par volume est la clef pour nous améliorer sur ces questions de transport”, indique la directrice durabilité de Vinted.

En attendant, cette étude d’impact éclaire sur la distance séparant les utilisateurs de ces relais. Et c’est en France qu’elle est la plus élevée, avec 2,3km.
Il ressort par ailleurs que les Français, Belges, Italiens et Britanniques se rendent majoritairement en voiture à ces relais, là où la marche domine en Espagne et en Pologne, tandis que les Néerlandais sont un tiers à utiliser leur vélo. En moyenne, ce sont 183g de CO2 qui sont émis par trajet vers ces dépôts.
Quid du packaging, qui représente 3,12% de l’impact carbone de Vinted? Chaque packaging aurait un impact de 30,86g de CO2, sachant que 62% des utilisateurs ont recours à des packaging déjà utilisés. Vinted aurait ainsi en 2021 permis d’éviter 17 kilotonnes de CO2 émis par des packagings neufs (l'équivalent de 140 millions de km en voiture).
Ce donc n’est pas par hasard si des boîtes de céréales, transformées en emballages par certains vendeurs, trônaient début juillet dans le décor de la présentation parisienne de cette étude... qui pousse le détail jusqu’au scotch: il représente 20% de l’impact carbone du colis moyen, qui est de 40,9g de CO2.
Vinted a-t-il ouvert la voie aux acteurs de l'ultra fast-fashion ?
Les études d’impact sont souvent révélatrices des angles morts de certaines stratégies durables. Dans le cas de Vinted, le portail a contribué à populariser un mode de consommation reposant sur un arrivage constant de vêtements à très bas prix. De quoi amener certaines ONG et des responsables de la filière à considérer, sur le ton de la confidence, que Vinted aurait malencontreusement préparé le terrain pour des Shein et Temu.
Ce dont se défend Marianne Gybels: “Des acteurs comme ceux-ci auraient existé avec ou sans Vinted”, lance la responsable, pour qui le portail lituanien se place même en total opposition avec l’idée d’une mode jetable, incitant au contraire à prolonger au maximum l’utilisation des pièces existantes. “Nous voulons que les gens achètent de la seconde main car c’est le meilleur choix possible. Ce que j’espère voir à l’avenir c’est que, considérant qu’ils peuvent un jour revendre leurs pièces, les consommateurs iront vers des produits durables et de meilleure qualité”.

Là se trouve la ligne à ne pas franchir pour Vinted: à la différence d’un Vestiaire Collective, pas question pour le lituanien de bannir les marques les moins regardantes environnementalement. “Vinted n’est que le reflet de ce que les gens consomment”, estime la directrice durabilité de l’entreprise. “Arrêter de proposer certaines marques ou acteurs de la fast-fashion n’empêchera pas les gens de les acheter. Le temps dira si nous sommes capables d’emmener progressivement le marché vers une nouvelle manière d’envisager ses dépenses de mode”.
Matières et recyclage
Toujours concernant l’offre, ce rapport détaillé n’offre pas d’informations sur les matières les plus représentées. Et pour cause: la case dédiée à la matière n’a été créée que récemment sur les fiches produits. Pour Marianne Gybels, les futures données permettront notamment de guider les consommateurs à faire de meilleurs choix, “car certaines matières sont plus vertueuses que d’autres, et cela permettra d’identifier la part des pièces potentiellement recyclables”.
Une analyse du gisement de matériaux qui pourrait s’avérer d’importance, à l’heure où l’Europe structure sa filière de recyclage textile. Dispositif dans lequel Vinted pourrait à terme jouer un rôle important. “Nous irons peut-être un jour dans cette direction”, indique sa directrice développement, qui évoque un intérêt non démenti de l’entreprise pour la question. Même si, pour l’heure, Vinted entend se concentrer sur “ce qu’il fait de mieux”: la revente.
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