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24 juin 2022
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Yann Rivoallan (FFPAPF) : "La mode est une industrie résiliente"

Publié le
24 juin 2022

Le conseil d'administration de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, l'organe représentatif des entreprises de mode tricolores, dispose depuis ce 23 juin d'un nouveau président. Signe de l'évolution du secteur, c'est un dirigeant aguerri du digital qui prend la suite de Pierre-François Le Louët, président de l'agence de conseil en stratégie Nelly Rodi, qui a présidé l'organisation ces six dernières années. Yann Rivoallan est le cofondateur de The OZ (The Other Store), spécialiste de solutions e-commerce pour les marques de mode, et il a aussi lancé en 2021 la société de formation Everywhere Anytime. Administrateur de la FFPAPF depuis 2019, actif pendant la crise du Covid en animant notamment des webinaires et des formations sur l'adaptation de l'activité e-commerce durant les confinements, le dirigeant détaille pour FashionNetwork.com sa vision du futur de la mode.  


Yann Rivoallan est le nouveau président de la FFPAPF - DR


FNW : Vous êtes le nouveau président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin. Vous êtes dans le secteur depuis une vingtaine d'années, mais vous n'êtes pas à la tête d'une marque. Qu'est-ce qui a fait la différence pour votre élection?

Yann Rivoallan :
Il y a deux éléments, je crois, qui me caractérisent. A l'origine, je suis un fils de prof qui a grandi en province et qui décide un jour de créer une entreprise durant ses années de fac. Cela peut paraître assez commun, mais à l'époque c'était rarissime. J'ai ce côté entrepreneur depuis toujours, d'abord dans la création d'une agence de photographes. De la photo, avec une sensibilité artistique et créative, j'ai évolué vers le secteur de la mode. Le deuxième point fort, c'est en effet le digital depuis 2007. A l'époque, les marques croyaient peu à l'e-commerce et, avec mes associés, nous avons lancé The Other Store. De même qu'actuellement les directeurs du digital deviennent des patrons de marques, c'est un honneur d'être choisi par les administrateurs en tant qu'entrepreneur venu du digital pour pouvoir réussir cette mission.

FNW : Après Pierre-François Le Louët qui était responsable d'une agence de conseil en stratégie, vous êtes un nouveau président qui n'est pas dirigeant de marque...

YR :
Oui mais The Other Store était un franchisé, avec Des Petits Hauts, Darel et toutes les marques qui nous ont fait confiance. Donc oui, je suis commerçant avec une vision extrêmement transversale. Que ce soit sur le volet de la création, de la distribution, de la construction de contenus, de la logistique, du service client et de la génération de trafic j'ai la chance d'avoir cette vision globale.

FNW : Votre prédécesseur nous a récemment partagé un conseil à votre endroit, à savoir d'aller sur le terrain et d'écouter les entreprises. Comment le recevez-vous?

YR :
J'entends très bien son conseil. Mes études m'ont appris à aller sur le terrain. Ma façon de développer mes entreprises m'a permis d'être sur le terrain. Il n'y a que sur le terrain que l'on voit ce qui fonctionne ou pas. Développer son entreprise seulement avec des tableaux Excel et des jumelles, cela ne fonctionne jamais. Une bonne fédération, comme dans une entreprise, c'est la capacité à être accompagné par des personnes enthousiastes et qui ont la qualité du bon geste. Etre sur le terrain, voir ce qui est bien fait et imaginer comment l'améliorer, c'est la clé du succès.

FNW : Votre élection signifie-t-elle que le digital sera la priorité de la fédération?

YR :
Nous sommes dans une véritable continuité. Toutes les actions lancées par Pierre-François Le Louët, sur la responsabilité sociale des entreprises, le digital, l'international, vont être naturellement reprises. Tous ces sujets seront amplifiés. L'analyse des opportunités se fera tout de suite. La force des gens du digital, c'est de savoir passer à une échelle supérieure les activités.

FNW : Qu'est-ce que cela signifie?

YR:
Par exemple, pour Talents, qui est une opération exemplaire mise en place par la fédération, la question est de savoir comment il est possible de "scaler" (déployer à plus grande échelle, ndlr), comme disent les acteurs du digital, ce programme de soutien aux jeunes structures. C'est une réflexion à mener avec les équipes. Est-ce que l'on peut passer de 5 à 100 marques accompagnées en développant des outils. Ou en fait-on une franchise, comme par exemple Tedx? C'est une approche de démultiplication des contenus comme cela existe dans le digital.

FNW : Quelles sont les ressources nécessaires pour cela?

YR :
Pour cette amplification, il faut digitaliser la plateforme de la fédération. Cela passe par des outils digitaux, mais aussi via des méthodes projets, comme dans les start-up, qui permettent de lancer plus d'actions et de manière plus efficace.

FNW : Pensez-vous que les dirigeants du secteur soient réceptifs à ces approches?

YR :
Il y a six ans, la part de l'e-commerce était de 5%. Nous sommes désormais autour des 25%. Avec la crise sanitaire que l'on a vécue, le développement du télétravail a rendu beaucoup de choses possibles. En réalité, entre la question de l'organisation de l'entreprise, les problématiques de logistique, de l'offre, de la distribution... la seule façon de s'en sortir c'est justement la digitalisation. Pour que tout le monde communique. Pour cela, il faut du sens, des méthodes et des outils. La combinaison des trois permet d'amplifier les actions. Dans une période de crise comme aujourd'hui, cela amène de profondes mutations et donc des opportunités.

FNW : Quelle est votre vision du commerce physique?

YR :
Quand on dit que le digital pèse 25%, cela signifie que le commerce physique représente encore les trois quarts de l'activité du secteur. Surtout il y a une expérience sensuelle qui ne peut exister que via le physique. Le digital a mille avantages, mais qui ne permet pas d'entrer dans cette partie plus rêveuse permise par le physique. La partie physique doit se réinventer en se demandant comment créer une nouvelle expérience client. Cela peut se faire par le jeu, par la personnalisation... Il faut voir comment des process peuvent être automatisés. Le rôle du personnel de vente va aussi évoluer. Tout ce qu'on a connu durant les confinements avec le live shopping peut clairement s'amplifier. Les marques ont plein de marges de progrès.

FNW : Présider une fédération est aussi une fonction politique. Comment approchez-vous ce volet de votre nouveau rôle?

YR :
Je le perçois dans le sens noble du terme politique. Comprendre les intérêts des marques, les besoins des collaborateurs, les évolutions et enjeux de la société, c'est une synthèse de ce que j'ai pu apprendre au sein de The Other Store. C'était un accompagnement avec une compréhension des enjeux de chacune de nos marques. Notre force était aussi de réfléchir sur l'avenir du digital et de la mode à moyen et long terme. Ensuite, sur la question de la transformation des organisations des entreprises, j'avais lancé cela il y a plus de six ans chez The Other Store.  La partie politique, à travers l'approche fédératrice et l'accompagnement humain, c'est quelque chose que j'ai toujours fait.

FNW : Avec une fédération qui représente une grande diversité de marques, quelle est, selon vous, la place de Paris et son rôle pour le secteur?

YR :
Je pense qu'on peut être très fier du travail réalisé depuis six ans pour affirmer la place de Paris au niveau de la mode mondiale. Il faut entretenir cela. Le deuxième point, c'est que grâce à Paris, la France est reconnue comme un pôle d'ingénierie, en particulier au niveau digital, avec un énorme savoir-faire. Enfin, il y a une cause écologique forte en France qui sous-tend un sentiment d'évolution nécessaire des pratiques. Nous avons ces capacités d'évolution qui sont positives pour la place de Paris. Par exemple, les marques de la fédération, avec une temporalité d'activité moins liée au rythme des défilés, peuvent rentrer dans des considérations RSE.

FNW : Mais quel pourrait être le rôle de la fédération sur ce thème?

YR :
De comprendre le véritable sens de la saisonnalité. On voit que les soldes qui viennent de débuter sont quasiment passés inaperçus. Si on prend le dérèglement climatique, les changements de distribution et les modifications dans l'approvisionnement, le système des saisons, qui a très bien fonctionné durant des années, n'a plus de raison d'être. Si on l'arrête, comment les marques doivent-elles fonctionner? Il faut repenser les business plans.

FNW : Cela semble être un énorme chantier!

YR :
Les marques travaillent sur ce chantier, petit à petit, depuis des années. Et nous avons à apprendre des plus mauvais. Je parle des plus mauvais au niveau écologique et social. Si vous regardez la société Shein, en termes de réactivité, d'utilisation de l'intelligence artificielle et d'adaptation, elle a des pratiques exemplaires. L'idée c'est de capter ces pratiques, mais cette fois-ci dans le respect de l'humain et de la planète. 

FNW : Outre les questions environnementales, la crise sanitaire et l'inflation liée à la crise ukrainienne, quel est d'après-vous le défi à relever à court terme?

YR :
C'est de réussir à associer les différentes problématiques. Il y a clairement actuellement un risque entre le pouvoir d'achat, d'un côté, et le besoin de marges des marques, de l'autre. Si on avait uniquement la problématique du dérèglement climatique, de l'inflation, de l'offre, de la distribution, on pourrait les prendre par silo. Mais comme on a toutes les transformations en même temps, cela nous oblige à trouver un nouveau business et imaginer la mode de 2025. Nous sommes dans une période de mutation qui va permettre une accélération.

FNW : Quels sont les éléments qui peuvent permettre d'être optimiste face à ce challenge?

YR :
La capacité de résilience des marques. Nous sommes dans une industrie résiliente et créative. Elle a su traverser en vingt ans de très nombreuses crises et les acteurs ont su s'adapter. Je pense aux constructeurs automobiles qui sont passés de l'ère du diesel à l'horizon de l'électrique en 2035. Tout le business développé depuis un siècle et demi est terminé. En 2035, nous vendrons toujours des robes et des t-shirts, mais il faudra que cela se fasse dans le respect de normes sociales et environnementales, et en prenant en compte le plaisir du client. Car d'ici 2035, on ne sait pas si le client achètera toujours en boutique, en live shopping, dans le métavers... L'évolution du digital est chaque fois trop brutale pour avoir une vision claire à dix ans. Par contre, à trois ans, la route est droite.

FNW : Vers où mène-t-elle?

YR :
La proximité va être plus importante avec chacun des clients. La partie live shopping va nécessairement se développer. Il y a aussi un besoin de virtuel qui est là. La vente de vêtements dans les jeux vidéo est un carton. Il y a une demande de singularisation dans ces environnements et cela pose la question de l'adaptation de la mode à ceux-ci.


Yann Rivoallan présentant le concept de web3 lors de l'évènement Role Modèle



FNW : Donc web3, métavers, NFT... tout cela est important?

YR :
Le web3 est une véritable révolution technologique. La mise en place de la blockchain est engagée depuis dix ans. Donc il y a une continuité de développement. Mais il y a deux niveaux d'évolution. D'abord l'expérience client: la création d'une autre expérience dans un métavers et comment un NFT peut permettre d'avoir un accueil différent en boutique. A nous de voir quand cela correspond à un besoin client. Ensuite, cela permettra une automatisation, avec des organisations décentralisées, afin d'alléger la logistique, la traçabilité et ainsi proposer une version plus écologique des choses.

FNW : Mais, alors que nous sommes dans une période délicate, ces développements ne vont-il pas demander d'importants investissements?

YR :
Nous avons la chance en France d'avoir de superbes start-up qui fonctionnent très bien sur tous ces segments. Et elles souhaitent travailler avec la mode car elles savent que c'est un secteur créatif et agile. A nous de trouver comment créer ces ponts.

FNW : Alors que de nouveaux présidents sont également nommés dans d'autres fédérations représentatives du secteur de la mode (FHCM, FNH...), comment voyez-vous les relations entre toutes ces organisations?

YR :
Nous sommes confrontés aux mêmes problématiques. Toutefois nos marques et entreprises peuvent avoir des besoins différents. Je pense que nous devons avoir une vision commune du futur. Et, au-delà de nos différentes expertises, identifier des sujets dont on est sûr de leur évolution et, dès lors, travailler ensemble pour contribuer au changement. On peut toujours appliquer la grande maxime "Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin".

 

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