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30 mars 2017
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Luc Mory (Naf Naf) : "Ce n’est pas un hasard si la décision de vendre a été prise"

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30 mars 2017

Alors que le groupe Vivarte a engagé la cession de Naf Naf, son PDG, Luc Mory, a répondu aux questions de FashionNetwork sur la forme actuelle, plutôt bonne, de l’enseigne, et la manière dont elle se projette dans l’avenir.  
 
FashionNetwork : Difficile de parler de Naf Naf aujourd’hui sans parler évidemment du groupe Vivarte et de la mise en vente de l’enseigne ! En tant que PDG, que dites-vous de ce contexte ?


Luc Mory : Le groupe a récemment trouvé un accord, très bon selon moi, qui remet le niveau de dettes en conformité avec ses résultats. Parce qu’on ne dit pas assez que l’EBITDA du groupe Vivarte a toujours été positif. Outre la réduction de la dette, cet accord repousse également l’échéance de deux ans, en 2021. Cela change considérablement les choses pour le groupe. Maintenant, il est certain que la marque ayant été annoncée comme mise en vente en janvier, Naf Naf n’aura pas la chance de vivre cette nouvelle situation du groupe Vivarte…

Luc Mory - DR

 
FNW : Où en est exactement le processus de vente aujourd’hui ?

LM : Il vient de commencer. Il devrait se dérouler sur une bonne partie de l’année 2017. Nous avons eu les premières réunions de travail, l’enjeu pour nous est de trouver un repreneur qui veuille financer le développement de Naf Naf, puisque nous avons remis la marque sur les rails. Ce pourrait être un repreneur français, mais pas seulement. Il y a beaucoup d’intérêt de la part d’acteurs asiatiques… C’est tout ce que je peux dire pour l’instant !

FNW : Sous quel jour Naf Naf se présente aujourd’hui ?

LM : C’est une belle PME, très internationale puisque 30 % du chiffre d’affaires se fait à l’étranger. Il y a à la fois du potentiel en France et hors de nos frontières. Il faut probablement se concentrer sur l’Europe dans un premier temps, mais la Chine et l’Amérique du Sud sont des territoires prometteurs à plus long terme. L’Amérique du Sud est déjà abordée d’ailleurs, avec notamment un partenaire colombien qui a ouvert près de 80 magasins à l’enseigne. On sent un vrai intérêt pour une marque qui joue la carte de la féminité dans les pays latins, y compris en Espagne, qui est notre plus grosse filiale et connaît une croissance à deux chiffres avec 90 points de ventes (15 affiliés, trois succursales et 70 corners, ndlr). Tirer son épingle du jeu sur les terres d’Inditex, ce n’est pas si mal…
 
FNW : C’est évidemment un moment opportun pour reprendre la parole, en vue de la vente...

LM : Evidemment. C’est le moment de s’exprimer. Mais ce n’est pas un hasard si la décision de vendre a été prise. C’est parce que nous arrivons à la fin d’un cycle de retournement et que nos chiffres sont bons ! Le message que nous voulons faire passer, c’est que nous avons des ambitions de développement et que nous sommes prêts. Pour être clair, Patrick Puy ne m’a pas demandé d’habiller la mariée. On m’a juste demandé de tenir les objectifs que j’ai moi-même fixés.
 
FNW : Vous pensez que vous pouvez éviter la casse dans le cadre de la cession ?

LM : Oui, je pense. Globalement. On a simplement une société de service partagée avec Chevignon qu’il va falloir découper. Mais ce sera simple puisque 85 % de l’activité sont consacrés à Naf Naf. Je veux rappeler que ces dernières années, même s’il y a eu des réorganisations chez Naf Naf, il n’y a jamais eu de PSE. L’histoire est simple en fait : moi, si j’étais investisseur, je m’intéresserais à Naf Naf. Nous sommes mis en vente à un prix qui est raisonnable, que je ne peux pas vous dire, mais qui est raisonnable compte tenu du fait que nous sommes rentables ! Notre EBITDA s’améliore de manière assez nette. Je ne veux pas paraître excessivement optimiste, mais il n’y a pas de raisons que nous rencontrions des difficultés dans cette vente.  
 
FNW : Combien de points de vente compte Naf Naf à ce jour ?

LM : Il y a environ 400 points de vente en Europe élargie, dont 220 en France, qu’on peut arrondir à 500 avec le reste du monde. Il faut y ajouter également une présence multimarque en Espagne et en Italie, ce qui porte le total à 1 200 environ. C’est une marque qui a une visibilité internationale plus forte que la moyenne des marques concurrentes ; elle profite de ses quarante ans d’histoire et d’un ADN fort affirmé dans les années 1980 autour du grand méchant look notamment et de la renommée des frères Pariente, des développeurs géniaux. Renouer avec les aspects de marque d’alors, cela a été notre objectif depuis mon arrivée (en 2013, ndlr). Comme on n’a rien fait de mieux depuis, essayons de lui redonner son impact d’alors.
 
FNW : Comment avez-vous procédé ?

LM : Nous avons d’abord testé ces codes, le petit cochon, le rose, le grand méchant look, auprès de la consommatrice et elle a adhéré. Mais c’est aussi une culture d’entreprise et une organisation qui a changé. L’entreprise était historiquement très tournée vers le produit, créée dans le Sentier. J’ai trouvé qu’on avait perdu ça, qu’on avait perdu du terrain côté mode. Tout n’était pas à jeter, mais cela manquait de cohérence. Nous avons opté pour une nouvelle organisation, avec, au lieu d’une responsable collection et une responsable achats, une seule et même tête : Caroline Robert-Pimienta. Cela a créé du lien et a permis de mieux faire travailler ensemble les équipes. Les résultats sont bons depuis quatre saisons. C’est fort de cela que nous voulons reprendre la parole aujourd’hui.
 
FNW : Concrètement, qu’est-ce qui a changé dans l’offre ?

LM : La base, c’est le renouvellement par la micro-saisonnalité. Tous les quinze jours, il y a 80 nouvelles références et un nouveau « grand méchant look » proposé en magasin. Par exemple, il y a un temps fort sur le cuir pendant une quinzaine en septembre et en février, et c’est un carton. On ne va pas donner tous nos trucs, mais c’en est un ! C’est un système très inspiré de la fast fashion, avec le proche import qui pèse maintenant pour 60 %, et 40 % d’export lointain, notamment à destination des clients négoce. Nous avons aujourd’hui une bien meilleure capacité à accélérer ou freiner et limiter nos engagements.

La première saison repensée comme cela, l’hiver 2015, a été positive malgré les attentats et le fait que nous soyons très ancrés en Ile-de-France ; l’été 2016 a été positif alors que la saison n’a jamais démarré ; l’hiver 2016, on a fait +3,5 % à magasins constants et l’été 2017 est bien parti pour tenir la même dynamique. On est cinq à dix points au-dessus du marché selon les mois. Aujourd’hui, nous faisons du plus sur du plus, c’est cela qui est difficile à réaliser.

Et il y a encore un dernier point : le positionnement prix. On manquait d’amplitude. Sur les pantalons par exemple, peu importe les modèles, il n’y avait que deux prix, 50 ou 55 euros en gros. Nous avons redonné du choix en entrée de gamme, avec un denim à 30 euros, mais aussi plus haut, avec des modèles jusqu’à 70 euros. On a fait le pari d’introduire des modèles qui apportent un vrai plus, même en étant plus chers. Nos robes d’exception entre 150 et 200 euros ont bien marché, donc nous travaillons à une véritable capsule premium pour l’automne 2017, élargie et plus seulement consacrée aux robes.
 
FNW : Vous avez travaillé une image mode plus affirmée ?


LM : Notre secteur a pris une mauvaise habitude : regarder vers le bas du marché. Nous voulons de nouveau regarder vers les marques plus haut, c’est plus inspirant. On s’est rendu compte avec l’accueil de certains « grands méchants looks » en boutique qu’on pouvait oser plus. Le niveau d’exigence de Véronique Rodriguez (directrice marketing) sur la question des visuels fait beaucoup, ils sont au niveau des marques premium et ont un vrai impact sur la cliente. Aujourd’hui, la cliente ne veut plus se fatiguer à chercher dans tout le magasin le pantalon qui ira avec le top, elle est pressée et veut trouver vite sa silhouette.

L'intérieur du concept « Room Service » testé sur les Champs-Elysées ce printemps - Naf Naf

 
FNW : Ces dernières années, il y a certainement également eu une réflexion sur le parc de boutiques français ?

LM : Nous avons travaillé sa qualité, qui est plutôt très bonne honnêtement. Nous avons fermé des boutiques qui perdaient de l’argent, mais c’est à la marge sur l’ensemble du réseau. Sur le concept magasin, il a fallu appuyer sur la différenciation, l’ADN dans la communication visible, pour être différenciant. Nous n’avons pas vocation à faire partie du mass market, c’est ce que j’essaierai de faire passer comme idée auprès du futur acquéreur ! Nous nous plaçons plutôt 30 % au-dessus des prix de Zara en moyenne. C’est un créneau qui nous convient bien, juste au-dessus, où ne nous sommes pas si nombreux…

FNW : Y a-t-il eu des ouvertures de boutiques ?

LM : En succursale très peu, trois seulement cette année. Mais il y en a eu en affiliation. Mais notre volonté, après tout le travail évoqué, c’est de reprendre notre développement aujourd’hui, avec un souhait de 10 à 15 ouvertures par an. C’est la fin de notre cycle de retournement, nous avons renoué avec la croissance depuis deux ans, nous sommes prêts !
 
FNW : Vous proposez depuis quelques semaines un nouveau concept baptisé « Room Service » sur les Champs-Elysées, de quoi s’agit-il ?


LM : Nous avions en effet besoin d’affiner notre concept avant d’entrer dans une nouvelle phase de développement. Nous avons voulu mettre sur pied quelque chose qui soit vraiment à mi-chemin entre le physique et le digital, avec un niveau de service inspiré de l’hôtellerie de luxe. On ne repart avec rien, on se fait livrer ses paquets chez soi. Il fallait que nous modernisions notre approche magasin, mais soyons clairs : étant donné le contexte, nous manquions d’argent, nous manquions de temps ! Nous avons eu deux mois pour faire travailler toutes les équipes ensemble et pas simplement commander un concept à une agence. Nous nous sommes demandé comment nous allions sortir du retail traditionnel, dont plus personne ne veut, et comment nous réinventer. Au bout d’un mois, les indicateurs sont bons et tous les concurrents sont venus nous rendre visite, voir ce qu’on a fait. Mais ce sera difficile à copier, parce que justement, c’est du fait maison, une démarche intériorisée par l’équipe toute ensemble, et ça, c’est dur à réaliser…
 
FNW : Qu’est-ce qui est si différent dans ce concept ?

LM : La chose la plus notable, c’est qu’il n’y a pas de caisse par exemple ! C’est important cette dématérialisation. Cela change l’expérience. Le sens de ce métier, on l’a perdu. Est-ce qu’on veut juste vendre de plus en plus de vêtements à des femmes qui n’en ont plus besoin ? Ou est-ce qu’on veut essayer de redonner envie ? Franchement, l’état actuel de notre secteur n’est que le reflet de la société, il y a une quête de sens, d’utilité et de manières de se distinguer de l’uniformité ambiante.
 
FNW : C’est-à-dire ?


LM : En fait, il y a eu l’ère des super gestionnaires, des managers qui ajustaient des paramètres dans les systèmes, ça a marché un temps et puis ça a été suivi par l’ère des gourous dans les années 2000. A ce moment-là, tout ce que Steve Jobs, Bill Gates ou même Xavier Niel disaient, on le suivait. Aujourd’hui, plus personne ne sait vraiment où aller. Tout est imprévisible et surtout, il n’y a plus une seule personne qui a une idée de génie. Maintenant, il faut frotter nos cerveaux ensemble. Mon travail, c’est de créer les conditions d’un travail d’équipe avec moins de hiérarchie, au sens où parfois, le chef a tort. Et ce n’est pas grave. Tout le monde a de bonnes idées, tout le monde peut apporter sa contribution à l’entreprise en tant que collectivité. C’est l’expérience que je veux mener pour retrouver du sens.
 
FNW : Quelles sont les thématiques sur lesquelles vous faites travailler les équipes ?

LM : Le projet Room Service en est l’illustration, c’est à la fois imaginer tout ce que nous permettent les nouvelles technologies aujourd’hui et je crois qu’elles permettent notamment de dégager du temps aux équipes en magasins pour s’occuper de la cliente. Le service a disparu des magasins de prêt-à-porter. On a alors voulu regarder ce qui se passe du côté du luxe, mais franchement, ce ne sont pas les maisons de mode qui nous ont inspiré… C’est du côté de l’hôtellerie de luxe qu’on a trouvé des réponses intéressantes. Nous avons travaillé avec Olivier Dardelin, qui a évolué dans cet univers et notamment chez Sofitel, pour étudier les standards exigeants en matière d’accueil notamment qui y sont pratiqués. Sauf qu’au lieu de prendre une chambre, le but final est que la cliente prenne une cabine d’essayage ! C’est l’endroit le moins sympa dans les boutiques en général, nous avons voulu en faire l’endroit le plus sympa, jusqu’à avoir une sonnette pour appeler une vendeuse. Il s’agit de redonner de la considération à la cliente.

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