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12 oct. 2018
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Comment les influenceurs modifient les métiers du marketing

Publié le
12 oct. 2018

Ils s'appellent Federica (@junesixtyfive), Alice et J-S (@jaimetoutcheztoi) ou encore Charlotte Groeneveld (@thefashionguitar). Si aux yeux du grand public ce sont parfois de parfaits inconnus, ils sont de véritables stars de la mode. Leur notoriété, ils la tirent des réseaux sociaux, et notamment d'Instagram où des centaines de milliers, voire des millions de personnes, suivent leurs pérégrinations sur la planète fashion. Loin d'être des loups solitaires qui s'improvisent "top model 3.0", ces influenceurs sont des professionnels qui ouvrent la voie à de nouveaux métiers. A tel point que, selon un sondage Launchmetrics, 9,3 % des professionnels du luxe, de la mode et de la beauté affirment avoir une équipe dédiée aux relations avec les influenceurs en 2017. Ils étaient 7 % l'an passé.
 

Eva Chen, directrice des partenariats de mode chez Instagram et influenceuse au million d'abonnés - Shutterstock


Pour autant, les annonceurs n’ont pour l’instant pas forcément l’habitude de travailler avec des professionnels dédiés à ce type de stratégie puisqu'actuellement, pour 41,3 % des sondés par Launchmetrics, c’est l’équipe de communication et de relations presse qui s’en occupe, et pour 17,6 % d'entre eux l’équipe dévolue aux réseaux sociaux. Camille Clance, qui officie dans le bureau de presse Pop and Partners en tant que directrice presse digitale, travaille aussi bien avec les personnalités des réseaux sociaux que les médias en ligne et observe un glissement progressif : « Aujourd’hui, les influenceurs représentent 50 % de mon activité. Les clients formulent des demandes toujours plus importantes sur le travail avec eux ». Mais elle constate que de nouveaux agents interviennent désormais fréquemment auprès des annonceurs : « Les agents d’influenceurs contactent de plus en plus les marques directement, sans passer par les équipes de relations presse ».

Agent d’influenceurs, c’est le métier qu’a choisi Clara Martinage après une carrière d'attachée de presse dans la mode. « J’ai fondé ma société, Freak, il y a un peu plus de six mois. L’idée, c’est de rassembler sous ma houlette des influenceurs d’univers différents pour qu’ils s’enrichissent les uns les autres. » Son principal souci : miser sur la transparence. La jeune femme a constaté, dans son précédent métier, l’opacité qui peut exister entre agents et influenceurs, avec les premiers prélevant parfois jusqu’à la moitié des cachets des seconds. « Avec Freak, l’idée c’est d’être limpide sur les tarifs, qui sont valables pour tous les influenceurs et établis en amont. 20 % du cachet revient à Freak si c’est moi qui dégote le contrat de l’influenceur, 10% si c’est l’influenceur qui le trouve mais qu’il me demande d’intervenir dans la négociation. »

Au quotidien, en plus du volet commercial, elle aide les influenceurs qui travaillent avec elle à maximiser les rencontres qu’ils font ou encore à utiliser à bon escient leur carnet d’adresses. Clara Martinage demande aussi à ses clients de se fixer des objectifs à un an, en termes d’image, de ligne éditoriale et de communauté, afin de pouvoir travailler avec eux à leur évolution.
 
Des entremetteurs 3.0 entre influenceurs et marques de mode

L’intérêt autour de la micro-influence a aussi favorisé la naissance de nouveaux types de start-up. Octoly, Yoô ou encore Hivency sont autant de jeunes entreprises créées respectivement en 2014, 2015 et 2016. C’est sous l’ombrelle de son atelier d’influence Woô qu’Agathe Nicolle a eu l’idée de créer Yoô, une plateforme à destination des marques et des consommateurs influents. Le but : s’appuyer sur « la notoriété de personnalités digitales pour construire des stratégies de communication innovantes et internationales ». Comme l’explique Florian Cons Beltran, en charge du développement et de la stratégie de Yoô, cette plateforme a pour objet de conseiller et accompagner les griffes dans leur stratégie de micro-influence via une plateforme qui regroupe 17 000 influenceurs inscrits.
 
Après publication d’un brief présentant la marque, la campagne, la dotation et les contenus attendus, Yoô sélectionne les profils qui peuvent correspondre aux attentes de la griffe. Les influenceurs ont jusqu’à deux semaines pour publier sur leurs réseaux du contenu à l’aide des produits reçus. La marque a accès, via son compte sur Yoô, à toutes les informations relatives aux posts des micro-influenceurs : nombre de contenus posté, engagement, impressions générées…
 
L’intérêt pour les 500 marques utilisatrices de la plateforme ? « Les micro-influenceurs vont jouer le jeu en créant un contenu naturel et authentique, créatif et efficace ». Et de souligner qu’aujourd’hui, « on recherche, en plus de l’originalité, le potentiel de créativité et de découverte des influenceurs émergents ». Pour Yoô, la rémunération s’effectue avec un accès payant à la plateforme pour les marques, qui sont soumises à un forfait variant en fonction du nombre d’influenceurs souhaités pour la campagne, du nombre de pays impliqués, etc.
 
A l’image de Woô, mais aussi d’Ykone, ou encore d’Influenzzz, plusieurs agences de marketing d’influence se sont créées. Leur créneau : accompagner les marques pour mettre en place des campagnes digitales faisant appel à des influenceurs et réfléchir à une stratégie consistante sur les réseaux sociaux.
 
C’est le cas de D&C Influence, agence lancée par Marie-Caroline Villiet et Dorothée Dewitte en 2017. Les deux entrepreneures, qui ont travaillé à la publicité chez Condé Nast et pour le magazine Glamour notamment pendant une dizaine d’années, sont parties du constat que « le marketing d’influence génèrerait deux fois plus de ventes que la publicité traditionnelle ». Elles proposent donc aux marques des solutions comprenant aussi bien du brand content que des événements ou des collaborations avec des influenceurs, puisque « les marques recherchent de nouveaux relais pour séduire leurs consommateurs, (et que) les prescripteurs s’imposent comme un média d’avenir ». Parmi leurs derniers faits d’armes, organiser avec Nike et les Galeries Lafayette un événement de rentrée à destination des enfants en proposant à ces derniers de passer un après-midi en compagnie de Sophie Trem, la blogueuse aux 57 900 fans qui se cache derrière The Other Art of Living.
 

La collection automne-hiver 2018/19 de Musier - Musier


D’autres métiers, plus inattendus, ont aussi fait leur apparition avec l’essor des influenceurs. Il en est ainsi de celui d’Axelle Aimé et Dorothée Rubinski qui ont créé en 2017 leur concept It Collection. Ensemble, elles créent des marques pour les influenceurs, s’occupant de toute la production, distribution, etc. et laissant le soin à ces personnalités de représenter leurs griffes, avec en guise de rémunération un pourcentage du chiffre d’affaires. Elles sont notamment derrière la griffe Musier d’Anne-Laure Mais Moreau, aka Adenorah, à la tête d’un compte Instagram fort de 464 000 abonnés.
 
Des fonctions que l’on pourrait appeler « support » apparaissent aussi. Car pour alimenter les comptes Instagram de tous ces influenceurs, il faut des photographes. Quand il ne s’agit pas du fameux "Instagram husband" (le copain qui prend toutes les photos), des professionnels de la photographie se cachent derrière les clichés. Et certains d’entre eux connaissent un véritable succès, à l’image d’Alix de Beer, qui immortalise entre autres Nabilla, Noholita ou encore Capucine Anavoff. Elle-même dispose d’une communauté de 64 700 abonnés, dont profitent aussi les marques qui font appel à elle pour signer certaines campagnes digitales. Comme les influenceuses qu’elle shoote, elle est invitée en voyages de presse et aux événements pour les immortaliser.

Lil Miquela , l'influenceuse virtuelle aux 1,3 million d'abonnés
 
Enfin, depuis peu, des influenceurs 100 % virtuels arrivent sur les réseaux sociaux. La plus connue s’appelle Lil Miquela et compte 1,3 million d’abonnés sur Instagram. Comme sa biographie le précise, elle a 19 ans, vit à Los Angeles et est un robot (ou gynoïde). Mise en scène dans le monde réel, cette espèce de Sims très stylée tague, comme les influenceuses de chair et d’os les vêtements qu’elle porte et a même sorti une capsule de vêtements en décembre 2017. Derrière Lil Miquela, Brud, une « start-up basée à Los Angeles spécialisée en intelligence artificielle et robotique », qui a accepté qu'elle participe à la campagne anniversaire de la marque UGG (40 ans au compteur), aux côtés d'égérie de chair et d'os comme le créateur Heron Preston ou encore le mannequin Adwoa Aboah.


Lil Miquaela dans la campagne anniversaire de Ugg - Ugg



L’autre influenceuse virtuelle qui a fait parler d’elle ces derniers mois se nomme Shudu Gram et revendique, en plus de ses 134 000 abonnés sur Instagram, la place de « premier supermodel digital du monde ». Imaginée en avril 2017 par l’artiste Cameron-James Wilson, elle a été l’objet de critiques car son créateur à la peau de couleur blanche, elle, noire, et que certains y ont vu un nouveau cas d’appropriation culturelle, tout en s’attristant du fait que le monde du luxe s’entichait d’un mannequin noir en 3D plutôt que d’un top noir bien réel.

Parmi les enjeux du futur, le marketing d’influence va certainement devoir se concentrer sur les points de rencontre entre les communautés et les influenceurs : vide-dressings, workshops ou autres. Les abonnés veulent rencontrer dans la vraie vie ceux qu’ils suivent sur les réseaux sociaux. De la même manière, il faudra s’adapter aux nouvelles pratiques souvent initiées par les réseaux sociaux eux-mêmes. Le shopping sur Instagram, IGTV (Instagram vidéo)... ne sont que les prémices de ces changements et feront sûrement éclore des utilisations novatrices.
 
Quant à la vieille querelle entre journalistes et influenceurs, elle semble de plus en plus oubliée. Si pendant la Fashion Week printemps-été 2017, certains journalistes du Vogue américain se plaignaient « des blogueurs qui se changent toutes les heures dans des looks payés des pieds à la tête par les marques » et les enjoignaient à « trouver un autre business », l’association entre médias et influenceurs apparaît désormais comme inévitable. Depuis déjà plusieurs années, TF1, M6, ou encore Webedia disposent de leurs "studios de création" nommés respectivement Studio 71, Golden Moustache ou encore Mixicom, qui créent des programmes sur YouTube avec des influenceurs français. Encore dernièrement, la régie publicitaire de M6 a pris une participation majoritaire au sein du capital de l'agence de marketing d'influence CTZAR, qui dispose d'un réseau nommé Sociaddict fort de plus de 15 000 influenceurs. 

Les médias traditionnels veulent aussi leur part du gâteau
 
Les médias dédiés au luxe rejoignent désormais à leur tour la danse. En février dernier, Condé Nast (qui édite Vogue) lançait sa plateforme, censée identifier « les voix les plus influentes pour les annonceurs (comprenant) des talents internes et externes (au groupe) ». Pamela Drucker Mann, directrice marketing de Condé Nast, commentait alors par voie de communiqué : « En combinant les avantages et l’influence de nos journalises avec l’impact exponentiel de notre groupe d’influenceurs externes, nous offrons aux clients un niveau incomparable d’engagement mesurable et de retour sur investissement sur toutes les plateformes (…) il est crucial de cibler la bonne audience et nos capacités éditoriales et en data nous donnent un avantage significatif par rapport à nos rivaux ».
 
Rivaux qui se lancent aussi dans le secteur, peut-être pour pallier le manque de revenus liés à la publicité traditionnelle. Ainsi, le site américain Fashionista a lancé son "Insiders Network" en août dernier. Composé de 40 it girls (quand Condé Nast en a sélectionné 3 500), ce réseau veut mettre en relation les annonceurs avec « de vraies personnalités uniques ».
 

Capture du site Popsugar.com le 6 juillet 2018 - DR


Mais parmi les enjeux principaux des prochaines années, il ne faut surtout pas oublier celui qui touche aux problématiques de droit à l’image. Le récent scandale mêlant le magazine en ligne Popsugar et des photos empruntées à des dizaines d’influenceurs n’est peut-être que le début d’affaires susceptibles de modifier les politiques regardant le droit à l’image sur les différents réseaux sociaux. L'instagrameuse Nita Batra (@nextwithnita sur Instagram, 212 000 abonnés) a porté plainte contre le site qui aurait utilisé sans son consentement des photos d'elle provenant de son compte sur le réseau social pour les mettre sur le site Popsugar. A sa suite, deux autres influenceuses ont porté plainte contre le site, Cathy O’Brien et Laura Adney, en plus de l’affiliateur RewardStyle/Liketoknow.it. Une affaire qui pourrait faire jurisprudence et modifier durablement les pratiques des médias, des marques et des influenceurs.   

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