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Clémentine Martin
Publié le
9 janv. 2020
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Marketing et beauté : une alliance qui vaut de l’or

Traduit par
Clémentine Martin
Publié le
9 janv. 2020

Difficile d’imaginer ce qui pousse des centaines de millions de personnes à suivre le même profil Instagram. Et comment estimer la valeur d’une telle communauté ? Certains, comme le géant américain de la beauté Coty, font le pari de se jeter à l’eau. L’entreprise a clôturé 2019 en injectant 600 millions de dollars (537 millions d'euros) dans la marque Kylie Cosmetics, obtenant ainsi une participation de 51 % et raflant le contrôle de la société montée par la petite dernière du clan Kardashian. La griffe est actuellement évaluée à 1,2 milliard d’euros et dispose de plus de 22 millions de followers, auxquels viennent s’ajouter les près de 3 millions de fans de la ligne Kylie Skin et, surtout, les 156 millions de leur fondatrice.


Collection de l’influenceuse Chiara Ferragni pour le géant Lancôme - Lancôme


Ces chiffres astronomiques défient les normes du retour sur investissement et de la valeur médiatique des publications, dans ce secteur largement dominé par Instagram. Dans son rapport « Behind Beauty : comprendre les investissements marketing de l’avenir », le cabinet Launchmetrics analyse à l’aide de son propre algorithme l’impact obtenu par 40 marques de luxe et de consommation courante dans l’industrie de la beauté du 1er janvier au 30 septembre 2019. Quelles sont les stratégies marketing qui payent sur ce segment lucratif ?

Dior Makeup, le numéro un du luxe

Selon les données de Launchmetrics, la ligne de cosmétiques de la maison française Dior arrive en tête du classement des marques de maquillage de luxe. Au cours des neuf premiers mois de l’année 2019, elle a généré un impact médiatique estimé à 316 millions de dollars (283 millions d'euros). Nars arrive en deuxième position avec 309 millions de dollars (276 millions d'euros), suivie de Lancôme (255 millions dollars, soit 228 millions d'euros) et Laura Mercier (201 millions de dollars). Le secret du succès de Dior Makeup ? La multiplication des publications, avec des chiffres atteignant parfois le double de ceux de ses concurrents. La liste du cabinet d’analyse comporte de grands noms de la beauté comme Estée Lauder ou Chanel Beauté, mais aussi des marques indépendantes comme Pat McGrath Labs ou Kevyn Aucoin, qui ont su percer aussi bien en ligne qu’en distribution physique.

Chez les marques grand public, les chiffres sont encore plus élevés. Huda Beauté, la marque lancée en 2013 par la maquilleuse Huda Kattan, arrache la médaille d’or avec un impact médiatique évalué à 745 millions de dollars (666 millions d'euros). Rihanna, en deuxième position avec sa marque Fenty, rafle 604 millions de dollars (540 millions d'euros). Anastasia Beverly Hills et Morphe génèrent respectivement 591 et 512 millions de dollars (529 et 458 millions d'euros). Dominé par les influenceurs et orienté vers les réseaux sociaux, ce segment se distingue par des produits viraux qui deviennent culte, adoptés par une communauté virtuelle de passionnés de beauté ne jurant que par Instagram et YouTube.

Une stratégie marketing par marque



Malgré de remarquables efforts pour s’adapter à son nouvel environnement digital, Dior Makeup garde une stratégie plutôt conservatrice, ne voyant probablement pas l’utilité d’en changer. La griffe française touche un large panel de clientes d’horizons divers et se concentre sur la fidélisation des existantes, sans oublier d’attirer de nouvelles clientes principalement grâce à des publications papier et en ligne. Les influenceuses prennent de l’importance, mises en scène lors de voyages exotiques à l’occasion des lancements de produits.

Nars mise encore plus sur les médias traditionnels, mais crée également des contenus sur mesure pour Instagram avec des célébrités comme Naomi Campbell ou Susanne Bartsch. En revanche, Lancôme fait quasiment l’impasse sur les publications papier, préférant faire appel à de nombreuses influenceuses sur tous les canaux digitaux. La marque a notamment créé son propre hashtag, #happinessactivists, et a récemment signé une collaboration avec la star des réseaux Chiara Ferragni.


Cette publication sur le profil Instagram de l’influenceur James Charles a généré 1,4million de dollars d’impact médiatique - Instagram: James Charles


Mais c’est dans le secteur des marques grand public que la valeur des mentions sur les réseaux sociaux explose. Sur le canal digital, Huda Beauty adopte un positionnement stratégique à destination des consommateurs férus de technologie en s’associant avec des personnalités aussi en vogue que sa fondatrice. Huda Kattan a su trouver la clé du succès avec des vidéos YouTube mêlant tutoriels à l’aide de ses produits et détails croustillants sur sa vie privée. Une recette qui marche, avec 62 millions de dollars générés au cours des derniers mois.

Anastasia Beverly Hills utilise une stratégie similaire et travaille avec des influenceuses pour des campagnes entières, des lancements de produits, des annonces exclusives ou de courtes publications qui génèrent là aussi une belle valeur médiatique. L’exemple le plus représentatif est la collaboration de la marque avec l’influenceur spécialisé James Charles, qui caracole en tête de ses résultats avec un impact médiatique évalué à 480 millions de dollars. Fenty ne néglige pas les influenceurs, mais ne leur accorde pas autant d’importance que ses concurrents. La marque a pourtant obtenu pas moins de 46 779 mentions dans les médias, grâce à la renommée mondiale de sa fondatrice, la chanteuse pop Rihanna.

Tutoriels, conseils professionnels, célébrités et nouveaux formats



Si l’on regarde l’impact généré par publication sur les réseaux sociaux, les influenceurs sont les prescripteurs les plus intéressants pour les marques de luxe comme pour les griffes grand public. Côté formats, en revanche, pas de règle : les tutoriels YouTube ou Instagram classiques mettant en avant certaines spécificités des produits fonctionnent très bien, comme le prouve la somme rondelette de 1,2 million de dollars d’impact médiatique qu’arrivent à générer Sadaf Beauty pour Lancôme ou Charlotte Tilbury.

Mais les codes promo insérés dans les descriptions des vidéos séduisent aussi et ont permis à Morphe d’obtenir 2,7 millions de dollars d’impact médiatique grâce à une collaboration avec James Charles. Parmi les tendances en hausse, on retiendra la publication de contenus créés en partenariat avec des maquilleurs professionnels en vogue comme Tati Westbrook et Scott Barnes pour Urban Decay, avec un impact de 1,4 million de dollars à la clé.


Sur le marché du luxe, c’est une publication de Tatcha qui arrive en tête des statistiques : une vidéo YouTube de Jeffree Star qui, selon Launchmetrics, a rapporté 3,8 millions de dollars à la marque sans même mentionner ses produits. Estée Lauder a su se distinguer en Indonésie en faisant appel à un influenceur de niche : Jovi Adhiguna Hunter, star du milieu LGBTQ, a participé à une campagne de « gifting » pour développer la notoriété de la marque sur le marché avec de beaux résultats au niveau local et des centaines de milliers d’interactions.


Huda Beauty, la marque de Huda Kattan, a obtenu 641millions de dollars d’impact médiatique grâce aux influenceurs - Instagram : Huda Beauty


À l’échelle locale, Maybelline Brasil sort du lot avec plus d’un million de commentaires obtenus grâce à une collaboration avec l’influenceuse brésilienne Mari Maria sous forme d’un « take over ». Ce format consiste à laisser temporairement les manettes d’un site ou d’un réseau social à une tierce personne. Maybelline Brasil a invité Mari Maria à la Fashion Week de New York, lui laissant le soin de créer des contenus spécifiques. Une formule gagnante pour la griffe.

Et qu’en est-il des célébrités ? Elles conservent leur influence, mais doivent privilégier des publications sur leurs propres profils et adopter des rôles d’ambassadrices. C’est ce que font notamment les chanteuses Camila Cabello pour L’Oréal et Angèle pour Chanel Beauté. Elles ont respectivement généré 1,1 million de dollars et 379 000 dollars pour les deux marques. Gigi Hadid, de son côté, a contribué au développement de la notoriété de la marque Pat McGrath grâce à une mention dans un repost d’une série de photos et de vidéos du dernier défilé de Marc Jacobs qui ont atteint 2,2 millions de likes.

Quel est le rôle des médias ?



Dans son rapport, Launchmetrics sépare les publications en ligne et hors ligne. Côté médias en ligne, c’est Chanel qui domine le secteur du luxe grâce à une publication de The New York Times évaluée à 78 500 dollars. Carine Roitfeld y évoque le lancement de son parfum et cite la marque française comme source d’inspiration et de désir.

Dans le secteur de la beauté grand public, c’est un entretien entre Rihanna et Jeremy O.Harris pour le NY Times Magazine à propos du lancement de sa marque de mode qui remporte la palme, avec 163 000 dollars générés pour Fenty Beauty en une seule mention. Les courts articles de conseils ou de tendances de maquillage sont toujours très appréciés dans les revues de mode. Pour travailler leur crédibilité éditoriale, les marques misent sur des partenariats exclusifs avec des mannequins.


La publicité pour le parfum Miss Dior est la publication papier ayant eu le plus d’influence dans le secteur de la beauté de luxe - Dior


Sur papier, Dior a gagné 345 000 dollars grâce à l’annonce publicitaire de son parfum Miss Dior parue dans Shape USA, mettant en scène l’actrice Natalie Portman. Il s’agit de la publication imprimée la plus rentable de la beauté de luxe. Si l’on en croit les résultats de Launchmetrics, les annonces publicitaires traditionnelles restent importantes dans la création de valeur pour les marques. Le rapport indique d’ailleurs que les publications imprimées sont en moyenne plus rentables pour les marques bien établies. La raison ? Les baby boomers seraient apparemment plus enclins à lire des revues imprimées, tandis que les jeunes générations privilégieraient le digital. Cela explique pourquoi les marques indépendantes préfèrent orienter leurs budgets marketing vers d’autres canaux.

Séduire les clients



Alors, que conclure de ce rapport ? Launchmetrics souligne la nécessité pour les marques consolidées de définir des stratégies digitales pour ne pas céder de terrain à leurs jeunes concurrents, mais aussi pour renforcer l’authenticité de leur discours et augmenter ainsi la valeur de leurs contenus. Selon le cabinet, c’est ce qui leur permettra de maximiser leur impact et de construire des relations durables avec leurs clients, qui cherchent aujourd’hui des expériences omnicanales mêlant le web et le canal physique.

Le marché de la beauté est saturé et le produit semble perdre en importance, souligne le cabinet d’analyse. Les marques doivent donc imaginer des stratégies encourageant les interactions et proposant des expériences. La vente n’occupe plus le devant de la scène : l’important, c’est de gagner le cœur du client. La toute-puissante Kylie Jenner l’a bien compris.

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