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18 juin 2021
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Alain Griset (Ministre délégué aux PME): " Il faut que nous réinventions le commerce en France"

Publié le
18 juin 2021

Il y a trois mois, Alain Griset appelait les commerces à "tenir bon" jusqu'à la reprise. Aujourd'hui, le ministre délégué aux PME prépare des Assises du Commerce devant dessiner les contours d'un commerce ayant tiré les leçons de la crise sanitaire. A l'occasion de de sa visite sur le salon Viva Technology le 16 juin, le ministre revient pour FashionNetwork.com sur les derniers freins à la numérisation des commerces, les polémiques entourant Amazon et l'e-commerce, ou encore le bras de fer entre commerces de centre-ville et de périphérie.


Alain Griset (à droite) lors de sa visite sur Viva Technology - Bercy



FashionNetwork : Il y a un an, vous incitiez les commerces français à se numériser. Quel bilan tirez-vous de l'année écoulée ?

Alain Griset : Je pense que cette crise a été terrible sur le plan sanitaire, mais l'a également été sur le plan économique. La décision du gouvernement de maintenir l'économie en vie a été une décision fondamentale. Cela n'a pas été le cas dans beaucoup d'autres pays. Mais cette crise a eu pour effet de gagner du temps en termes de changements de mentalités et de comportements. On voit bien que ce qui aurait eu lieu en 5-6 ans s'est produit en 5-6 mois. Et en particulier dans le commerce de centre-ville. La numérisation, le click&collect, tout cela s'est mis en place à une vitesse importante. D'où la décision de faire de la digitalisation une partie prenante du Plan de Relance. Afin de faire comprendre aux entrepreneurs, quelque soit leur taille d'entreprise, qu'il s'agit d'un plus. Même avant d'être ministre, j'avais pour principe qu'il ne faut jamais combattre l'évolution technologique. Elle peut dans un premier temps être considérée comme un concurrent, peut-être déloyal car les règles fiscales et sociales ne s'adaptent pas assez vite. Mais il faut toujours utiliser la technologie pour progresser. Quelque soit l'activité, ou la taille de l'entreprise, on doit pouvoir grâce à la technologie ajouter une corde à son arc. Les mentalités ont maintenant évolué. Reste à convaincre les plus durs, ceux qui sont par principe opposés. Il faut pour cela sensibiliser et former. Et apporter un appui financier.

FNW : Reste que demeure une défiance des commerces face à l'e-commerce. Comment avez-vous accueilli la tribune de commerçants ciblant les Prime Day d'Amazon ?

AG : A la demande du Premier ministre, je vais lancer dans les prochaines semaines les Assises du Commerce. L'objectif est de tout mettre à plat : le rôle du commerce, la fiscalité, l'aménagement du territoire… Et ceci pour une raison très simple : l'économie libérale est selon moi indispensable, mais ce n'est pas pour autant le far west. Il faut donc un certain nombre de règles, qui s'appliquent à tous, et je pars du principe de l'équité de traitement sur le plan social et le plan fiscal.

Dans le cas présent, Amazon respecte les règles. La loi lui permet de faire cela. Mais Amazon bénéficie aussi d'un certain nombre de dispositifs. Car l'entreprise ne paye pas les même charges et impôts que le commerce physique. Il faut donc que l'on travaille là-dessus car il n'y a pas de vie possible sans équité. Et on le voit avec ce qu'il se passe au niveau mondial, avec la volonté d'imposer ces entreprises aux Etats-Unis, qui est une économie très libérale. Même dans un pays comme celui-ci, on considère donc qu'il faut une fiscalité identique pour chacun. Et je souhaite que nous concourrions à cela.

J'ai reçu mardi 15 juin les membres de ce collectif de commerçants. Car il faut les écouter, d'abord. Et aussi leur dire qu'ils doivent eux-mêmes changer leur perception des choses. Il ne faut pas désigner un "grand méchant loup", il faut se demander comment devenir meilleur pour le concurrencer. Pour que le consommateur les privilégie eux plutôt que la concurrence.

FNW : La crise a également ravivé les tensions entre commerces de centre-ville et de périphérie. Est-ce là encore un nouvel équilibre à trouver ?

AG : Il y a aujourd'hui un vrai tournant, chez les consommateurs. Et en particulier chez les plus jeunes. Ils veulent connaitre la provenance et composition du produit. Ils veulent éviter de faire 10km en voiture pour acheter une baguette. Ils ont un besoin de proximité. La France a besoin de lien social, de ville vivante. Le plan Action Cœur de Ville, autour de 220 villes, a pour but d'identifier comment faire en sorte que tout le monde puisse vivre correctement dans son territoire. Ce rééquilibrage entre périphérie et centre-ville est indispensable et nécessaire.

A quoi bon devoir faire des kilomètres quand on peut avoir ses commerces à proximité ? Il faut se rappeler que l'essence du mouvement des "Gilets Jaunes", c'était l'abandon des territoires. Cette période qui visait à créer des ZAC en périphérie, souvent assez moche, permettez-moi de le dire, avec des "boîtes à chaussures", et bien cette période est finie. Il faut donc qu'ensemble, y compris avec la grande distribution, nous réinventions le commerce en France. Pour avoir une politique commerciale que nous n'avons jamais eu.

FNW : Des aides aux stocks ont été déployées au printemps pour les commerces d'habillement. Quel premier bilan en tirez-vous ?

AG : Nous avons eu sur ce sujet plusieurs problématiques à résoudre. Dès le mois de novembre, avec le ministre de l'Economie, nous avons considéré suite à nos échanges avec les commerçants qu'un problème de stock allait se poser. Nous avons beaucoup travaillé pour avoir une aide qui soit rapide, et la plus juste possible. Un modèle pouvait être considéré le plus juste, et consistait à dire "Faisons un bilan des stocks au 31 mars 2021, pour le comparer aux stocks de fin mars 2020. Pour ensuite apporter une aide compensant la dépréciation. Nous avons abandonné l'idée car cela exigeait des comptables de faire des bilans comparés, et qu'ensuite la Direction générale des finances publiques contrôle manuellement 40.000 ou 50.000 demandes. Résultat : nous aurions versé ces aides fin 2021, ce qui n'était pas l'attente des commerçants.

FNW : C'est donc ce qui a conduit à une solution basée sur le fonds de solidarité et dispositif coûts fixes

AG: C'était une solution plus rapide. Toutes les entreprises de moins de 50 salariés, dans l'habillement, chaussure, lingerie, maroquinerie, doivent recevoir 80 % du fonds de solidarité qu'ils ont touché au mois de novembre. Cela s'est fait automatiquement à partir du 15 mai, sans aucune demande à faire. Pour une très grande partie d'entre eux, c'est très positif. Cependant les entreprises qui comptent plusieurs magasins ne pouvaient toucher plus de 10.000 euros au mois de novembre (ce qui a changé en décembre, ndlr). D'où le second dispositif basé sur les coûts fixes. Qui fait que ceux qui ont plus d'un million de chiffre d'affaires mensuel ont fait rentrer ces frais fixes.
Il est vrai que maintenant, il y a le cas des commerces qui sont entre deux, qui ont plus de 50 salariés et font moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires par mois. Cela représente relativement peu d’entreprises. Mais nous regardons actuellement ce que nous pouvons faire pour elles.

FNW : Quel bilan tirez-vous de votre visite du salon VivaTech, qui marque le retour des grands événements professionnels ?

AG : Je suis très heureux d'être sur le premier salon tenu après cette longue période fermeture. C'est un signe de renouveau et de redémarrage de l'économie événementielle. C'est un point très important. Je resterai volontiers pour toute la durée du salon, car tous les stands m'intéressent, et je me reproche souvent de ne pas avoir eu les idées que ces gens ont eu. Tout ceci montre bien que l'on a en France la chance d'avoir beaucoup de personnes dotées de nombreuses compétences et d'idées innovantes. Je suis persuadé que tout ce que l'Etat fait aujourd'hui pour accompagner ces entreprises nous permettra d'avoir un certain nombre de leaders français et européens. Ce qui fera que l'on ne considérera plus que seuls les Américains peuvent avoir des géants du numérique. On a aujourd'hui une économie physique, traditionnelle, qui va se développer grâce au numérique.
 

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