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21 sept. 2021
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Regina Polanco (Pyratex) : "On cherche des matières qui puissent remplacer celles actuelles"

Publié le
21 sept. 2021

Avocate de formation, entrepreneuse textile, l’Espagnole Regina Polanco invente les matières textiles du futur à base d'orties, de chanvre, de déchets de banane ou encore d'algues. A 29 ans, elle dirige Pyratex, la société qu’elle a créée à Madrid, à la fois fournisseur de textiles innovants et spécialisée dans la recherche et le développement de matières naturelles et écoresponsables. Elle a notamment travaillé sur la dernière collection d’AZ Factory d’Alber Elbaz. Actuellement présente au salon textile Première Vision (du 21 au 23 septembre au parc des expositions de Paris Nord Villepinte, ndlr), elle nous raconte son itinéraire, les difficultés rencontrées, mais aussi les avancées dans ce domaine.


Regina Polanco - Pyratex


FashionNetwork.com : Quel est votre parcours?

Regina Polanco :
Fille de diplomates, j’ai passé mon enfance en Afrique, entre le Maroc et la Mauritanie. Après un passage à Genève, je suis rentrée à Madrid, pour connaître mon pays d’origine, l’Espagne, et étudier le droit. En troisième année, je me suis rendue compte que cela ne correspondait pas à mes aspirations. Avocate de formation, j’ai commencé à aider différentes start-up au niveau juridique, tout en lançant mon projet Pyratex. Au départ, je souhaitais créer la marque du futur, proposant des vêtements fonctionnels, bons pour la planète et le corps. C’est là que j’ai découvert l’univers textile.

FNW : Qu’est-ce qui vous a fait bifurquer vers le textile?

RP :
J’ai compris qu’il y avait un énorme vide en termes de matières éco-durables. Pour fabriquer les vêtements fonctionnels sont utilisés principalement des fibres synthétiques et des produits chimiques. J’ai donc fait des recherches sur de nouvelles fibres et matières premières pour réaliser de super fibres permettant de fabriquer de super habits. Je voulais faire l’habit du futur. Je me suis lancée, heureusement, sans rien connaître de cet univers, sinon je n’aurais jamais commencé car c’est extrêmement compliqué!
 
FNW : Comment avez-vous procédé?

RP :
Mon idée était de trouver une fibre avec des performances naturelles pour créer des textiles fonctionnels. J’ai créé un projet de recherche et développement, via une petite levée de fonds auprès de mes amis et ma famille. J’ai contacté l’Institut technologique du textile en Espagne Aitex, avec qui j’ai collaboré de 2015 à 2018, date à laquelle j’ai créé ma société Pyratex en lançant mes cinq premiers textiles. A ce moment-là, j’ai été sélectionnée par Deutsche Telekom pour un projet incubateur à Berlin. Cela m’a permis de me former et de travailler avec plusieurs instituts textiles, un peu comme un Master. Mon activité consiste aujourd’hui à inventer et développer des formules textiles de matières premières, toutes protégées par des brevets et marques déposées, et de voir ensuite comment faire du volume avec ces nouvelles matières.
 
FNW : Comment avez-vous débuté sur le marché?

RP :
En 2018, nous avons travaillé avec des marques allemandes et de l’Europe du Nord, qui sont plus réceptives à ce type de fibres, puis engrangé quelques premiers clients aux Etats-Unis. Dans le prêt-à-porter, nous avons collaboré avec plusieurs designers, notamment de jeunes labels appréciant notre démarche et notre flexibilité. La notion de confort, que l’on développe dans les textiles, est aussi très importante pour les marques. Nos clients nous considèrent plus comme des partenaires que comme de simples fournisseurs.
 

La ligne "Free To" est réalisée à partir de matières Pyratex à base d'algues - AZ Factory

 
FNW : Depuis, vous avez grandi avec de nouveaux partenaires?

RP : 
Oui. En 2019, l’équipementier japonais Asics a investi dans la société, dont je reste l’actionnaire majoritaire. Avec eux, nous avons développé une collection de yoga et travaillons sur plusieurs projets de recherche et développement afin qu’ils puissent utiliser des fibres naturelles à la place du polyester. Ils souhaitent changer de matière sans renoncer à l’aspect très fonctionnel et performant de leurs vêtements. Ils sont devenus un partenaire très important et intéressant pour nous, car ils font beaucoup de recherche, travaillent aussi sur la chaussure et nous donnent une ouverture sur l’Asie.
 
Nous avons commencé aussi à travailler avec des marques de prêt-à-porter et d’athleisure, comme Pangaia. Fin 2020, nous avons débuté avec la griffe d’Alber Elbaz AZ Factory, travaillant sur leur deuxième collection. Nous avons pu montrer que même en utilisant des fibres nouvelles, fonctionnelles et responsables, l’esthétique reste importante.

FNW : Qu’est-ce qui différencie votre société des autres?

RP :
Nous développons un produit innovant avec la double casquette de société de recherche & développement et de fournisseur textile. Il est rare de combiner les deux activités. Nous n’avons pas nos propres usines, mais nous fonctionnons à travers des partenariats avec des fournisseurs de matières premières, des tricoteurs et des filateurs, avec qui nous réalisons les finitions et les teintures. Ils sont situés en Espagne, en Italie, au Portugal et au Mexique pour fournir le marché américain. Nous intervenons sur toute la chaîne de production, ce qui est également atypique et novateur. Enfin, par rapport à un fournisseur textile traditionnel, nous sommes très présents sur les réseaux sociaux et dans la presse. Nos clients communiquent sur nous, nous représentons une valeur ajoutée.
 
FNW : Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour lancer votre activité?

RP :
Le plus compliqué, lorsque l’on veut être écoresponsable, c’est le fait d’être confronté à une filière très segmentée, où l’on ne connaît pas toujours la provenance des matière premières. Tout n’est pas sourcé.
 
FNW : Quels types de fibres avez-vous développés?

RP :
Les premières fibres étaient végétales, issues du bois et de différentes algues. Nous avons créé nos cinq premiers textiles avec des propriétés antioxydantes, anti-irritation et améliorant la circulation sanguine. Aujourd’hui, nous travaillons avec neuf fibres différentes et nous avons créé 40 formules de textile. Nous faisons de la recherche pour les marques -par exemple nous avons développé un mesh pour Phillip Lim-, mais aussi pour d’autres industries, comme le secteur automobile, la beauté, les spécialistes du vêtement professionnel.

Nous sommes ouverts à travailler à partir de toutes les matières premières, du moment qu’elles aient des propriétés régénératrices, qu’elles soient faciles à sourcer et à se transformer en fibres, mais aussi que cela puisse se faire à grande échelle. On cherche vraiment des matières qui puissent remplacer celles actuelles.
 

Un textile développé par l'entreprise - Pyratex


FNW : Quelle dimension a Pyratex aujourd’hui?

RP :
En 2020, nous avons eu 80 clients, tandis que notre chiffre d’affaires a bondi de 300% en 2019 et en 2020. Aujourd’hui, nous sommes 16 à travailler pour l’entreprise et avons la capacité de produire 40 millions de mètres par an. Pour l’instant, nous sommes axés sur la maille. Notre prochaine étape prévoit de développer le chaîne et trame.
 
FNW : Quelles sont vos dernières nouveautés?

RP :
Nous lançons cette saison une très belle collaboration avec Camper et une autre avec la marque française de sportswear spécialisée dans le running Satisfy pour leur toute dernière collection "Desert Drop". Nous amorçons aussi un partenariat avec une maison de luxe de LVMH. Nous avons enfin développé dernièrement une matière double face avec le fabricant textile autrichien Lenzing en ajoutant à sa fibre écologique Tencel, produite à partir de pulpe de bois, un côté réalisé en kapok. C’est une fibre végétale qui se caractérise par son aspect laineux mais aussi ses propriétés antibactériennes et régénératrices.
 
Ici, on est sur une option 100% végétale, qui offre une solution textile végane en opposition à la laine traditionnelle. C’est une plante qui a besoin de très peu. On n’utilise pas d’eau, tout en régénérant les arbres donnant cette fleur de kapok, en favorisant la prolifération de cette plante. Nous cherchons des fibres qui aient cette capacité régénératrice et pas d’impact négatif sur la planète. C’est dans cette direction qu’il faut aller aujourd’hui.
 
FNW : Avez-vous été pénalisés par le Covid-19?

RP :
La pandémie nous a plutôt impacté de manière positive, car même si les usines sont restées fermées, cela a accéléré la prise de conscience du nécessaire changement et de l’importance pour le consommateur de connaître le produit qu'il achète et sa provenance. Il y a eu une évolution énorme sur le concept écoresponsable et sur le fait de comprendre qu’un textile peut nous faire du bien et nous protéger, tout comme bien se nourrir et faire du sport nous aide à vivre mieux et plus longtemps. Le textile peut faire du bien à l’homme et à la planète!
 

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